Big Father et bébés Tamagochis : où fixer les limites quand la technologie permet aux parents de tout savoir sur les mouvements et la santé de leurs enfants ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La technologie permet aux parents de tout savoir de leurs enfants.
La technologie permet aux parents de tout savoir de leurs enfants.
©Reuters

Sur écoute ?

La technologie actuelle n'hésite pas à pénétrer le moindre interstice du quotidien. Ainsi elle s'impose de plus en plus dans le lien entre les parents et leurs enfants, quitte à transformer le parent attentif en parent-flic. Pour autant, tout savoir sur ce qu'ils font n'est pas une source d'apaisement. Au contraire, la possibilité de tout savoir peut générer une forme d'angoisse.

Christophe Deshayes

Christophe Deshayes

Christophe Deshayes est diplômé de l’INSEEC. PDG fondateur de Documental – observatoire impertinent des TIC – de 1996 à 2012‚ il intervient comme conférencier d’entreprise sur les sujets des technologies numériques‚ leurs usages et leur impact sur les métiers et les rapports sociaux. Il est notamment l'auteur du Petit traité du bonheur 2.0

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Atlantico : La nouvelle technologie s'impose de plus en plus entre les parents et leurs enfants, que ce soit sous forme d'applications pour surveiller la santé de son bébé en permanence et recevoir des conseils, de téléphones portable ou de carte bancaire qui envoie des mails au moindre achat d'un enfant. Cette technologie rassure et renforce l'angoisse. Quelle est la limite à fixer entre le rôle de parent et les nouvelles technologies ?

Christophe Deshayes : Tout d’abord, concernant les rapports entre les parents et leurs adolescents, il est important que les parents n’utilisent pas les nouvelles technologies pour "fliquer" leurs enfants. Et encore moins en se faisant passer pour leurs amis, par exemple en leur demandant l’ajout sur Facebook. Même si l’intention à la base n’est pas d’être constamment derrière eux, le résultat sera inévitablement celui-là. Finalement, le flicage tue le lien de parentalité. Cela signifie que l’on ne fait pas confiance en son enfant, tandis que lui se méfie de vous. La technologie doit permettre de joindre son enfant en cas de besoin, pas plus.

Il est important de noter qu’au départ, les téléphones portables étaient vendus non pas aux enfants mais aux parents afin de les rassurer et de répondre à leur inquiétude. Ce phénomène est tout à fait sociétal. On a peur de ce qui peut arriver à notre enfant. On ignore ce qu’ils font et donc on imagine le pire. La technologie est finalement à double tranchant : elle nous permet de faire beaucoup de choses et notamment de nous rassurer, mais elle nous inquiète tout autant.

Concernant le phénomène des applications pour surveiller son bébé, il s’agit d’une mode qui en dit beaucoup sur notre société, une mode qui s’inscrit dans une tendance à créer des objets connectés et des applications pour un peu tout. Actuellement, on se coache pour tout, alors pourquoi ne pas être coaché dans une activité qui angoisse n’importe qui de sensé, à savoir la parentalité ? Mais si l’on regarde bien, à chaque fois que l’on a vu un nouveau type de coaching émerger, une partie de la population a trouvé ça malsain et illiégitime, du moins au début.

A chaque fois que l’on a besoin de quelqu’un ou de quelque chose, l’avouer peut être pris pour un signe de faiblesse ou d’incompétence. Pour reprendre les applications pour bébé, les recommandations transmises aux parents par l’application sont souvent des recommandations sérieuses, médicales, parfois établies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pourquoi ces recommandations disponibles au bon moment ne seraient-elles une aide pour certains parents ? La question de savoir si cela va trop loin, les Américains pensent que non, nous pensons que oui. Mais la véritable question à se poser est si cela nous aide vraiment et ce qu’on fait réellement de cette technologie. Pour certains parents, à l’évidence, la réponse est positive, alors tant mieux surtout que de toute façon, la technologie est là. Pour d’autres, la réponse est non, alors ça ne sert à rien de rajouter cette source de stress et d’activité. Cela peut même être dangereux.

Concernant les enfants, si c’est pour comprendre et faire au mieux ou si c’est pour discuter avec eux et garder un lien affectif, sans pour autant être son ami, avec son enfant, alors il faut en profiter, sans se culpabiliser.

Comment équilibrer lien social et lien numérique avec son enfant ?

Le vrai problème finalement est la différence de perception de la vie numérique entre les parents et les enfants. Les parents ont dû découvrir tardivement le numérique et ont encore pour certains du mal à le comprendre, tandis que les enfants sont nés avec. La grosse bêtise que l’on puisse faire actuellement est de considérer qu’il y a une vie normale d’un côté et une vie digitale de l’autre. Dès lors que l’on perçoit les choses de cette manière, on aura tendance à dire que la vie numérique est mauvaise et à considérer que nous ne devons pas utiliser la technologie dans notre lien de parentalité. C’est une erreur car on passe de moins en moins de temps dans cette vraie vie. On a donc de moins en moins d’interactions réelles avec ses enfants. Par conséquent, la meilleure chose à faire est d’accepter ce fait et de nous investir dans la vie digitale y compris dans notre relation de parentalité. Sans relations digitales, on peut être sûr que ce manque d’interactions n’ira qu’en s’accroissant.

Finalement, c’est assez simple : il faut apprendre à ne pas envoyer de SMS de réprimande, mais des SMS comme témoignage d’affection. Lorsque la télévision est apparue dans les foyers, on pensait que cela nuirait aux relations familiales. Mais en réalité, on regardait un film et on en parlait après. La technologie et les relations humaines sont loin d’être incompatibles. Parfois même, bien au contraire : cela peut recréer du lien social.

Qu'est-ce que cette surexploitation des nouvelles technologies dans le rôle parental traduit de notre société et de notre manière d'appréhender l'éducation ?

Cela traduit principalement nos angoisses grandissantes d’être de mauvais parents. Par ailleurs, ceux qui nous donnaient des conseils avant étaient les grands-parents, les tantes, les oncles, les parents. Aujourd’hui, beaucoup moins du fait de l’affaissement du lien familial. D’autant plus qu’il existe de plus en plus d’associations, de coachs, de blogs de mamans, de sites Internet qui aident.

Quelles peuvent être les conséquences néfastes d'une technologie utilisée à outrance pour les parents ? Et pour les enfants ?

Les écoles envoient désormais des SMS aux parents dès lors que l’enfant manque les cours. En principe cela aide à ne pas laisser s’installer une situation de décrochage et c’est donc une bonne chose, mais en réalité, bien souvent, le parent surréagit et entre immédiatement en conflit avec l’enfant au travers d’un SMS ou d’une conversation téléphonique houleuse. Dans ce genre de situation, la technologie ne permet pas de prendre le recul nécessaire, l’information va trop vite. Et l’inévitable surréaction tue le lien de confiance qui devrait exister.

Cette perte de confiance aura sur l’adolescent un effet de déresponsabilisation. Or, notre rôle d’éducateur est au contraire de rendre nos enfants autonomes et responsables tout en étant présent si besoin est. On ne peut pas surveiller éternellement son enfant, il faut lui laisser de l’espace, qu’il puisse pousser un peu les limites tout en sachant qu’il peut parler à ses parents en cas de problème. La technologie peut nous aider ou nous fourvoyer : à nous d’apprendre à la domestiquer car elle fait désormais partie de notre vie, que cela nous plaise ou non.

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