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Bidzina Ivanishvili : l’oligarque géorgien qui défie Mikhail Saakashvili et Barack Obama
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Oligarchie

Tête nouvelle dans le paysage politique géorgien, Bidzina Ivanishvili a entamé une intense campagne de lobbying Outre-Atlantique afin de se faire connaître auprès des Américains. Suffisant pour faire oublier son tropisme pro-russe et sa fortune opaque ?

Pierre-Yves Amara

Pierre-Yves Amara

Pierre-Yves Amara est ancien correspondant du Quai d'Orsay en Tunisie puis en Macédoine.

Depuis 2001, il est consultant en géopolitique pour plusieurs entreprises internationales. Vivant à Londres, il voyage beaucoup, notamment dans l'ex-bloc soviétique, en Afrique et en Asie.

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«Cher Président Obama… », quelle personnalité peut se permettre de publier une lettre ouverte au président des Etats-Unis sur une pleine page du Washington Post le 30 janvier dernier ? Bidzina Ivanishvili, l'un des hommes les plus riches du monde, l’a fait ! Il a envoyé un message à Barack Obama dans lequel il dénonce la politique du gouvernement géorgien et appelle les Etats-Unis à s’impliquer davantage. L'objectif de l'oligarque : renverser l'actuel président géorgien, Mikhail Saakashvili et prendre le pouvoir, soutenu par la Russie qui lui facilite en sous-main le travail pour récupérer, par son intermédiaire, le contrôle de son ancienne "colonie" des bords de la Mer Noire. 

Le Washington Post n’est pas le seul quotidien à avoir accordé une telle exposition positive à Bidzina Ivanishvili. Ainsi, le 5 avril dernier, le New York Times publie un article intitulé « De philanthrope à ennemi public en Géorgie », magnifique hagiographie de l’oligarque. Un très bel exercice dans la plus pure tradition soviétique : Ivanishvili y apparaît encore une fois comme un homme d’affaires philanthrope porteur d’une grande espérance populaire en Géorgie. 

Au-delà de cette vitrine achetée dans la presse internationale à coup de milliers de dollars, la réalité est un peu différente : le franco-géorgien a fait fortune (6,4 milliards de dollars d'après Forbes) grâce aux privatisations opaques lors de la transition post-soviétique en achetant au rabais des entreprises d’Etat.

Bidzina Ivanishvili ne fait pas les choses à moitié : il emploie aujourd'hui pas moins de sept cabinets de lobbying pour défendre sa réputation à Washington, dont Patton Boggs, National Strategies et BGR Gabara, les plus prestigieux cabinets internationaux. Depuis novembre, BGR Group recevrait près de 25 000 $ par mois de la part de l’oligarque. Celui-ci rémunère également Sam Patten, un cabinet de consultants basé en Géorgie, à hauteur de 20 000 $ par mois. A son service, travaillent maintenant pour lui Kurt Volker, ancien ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’OTAN et Mark D. Cowan, ancien Assistant Legislative Counsel du directeur de la CIA. On parle d'un budget de plus de 4 millions de dollars par mois dédié à ses seules dépenses en lobbying et relations publiques, des dépenses supérieures à ce que des firmes de l'industrie pharmaceutiques ou de l'industrie du tabac peuvent dépenser chaque année !

Cette mobilisation internationale donne des résultats : l'oligarque a réussi à influencer jusqu'au Congrès américain, pour preuve le nouveau projet de loi anti-Géorgie et anti-Sakachvili, le Georgia Democracy Act of 2012, dévoilé fin mars, dans lequel les intérêts politiques géorgiens de Bidzina Ivanishvili sont très positivement valorisés, le seul homme politique géorgien à être mentionné d'ailleurs. Les opposants au régime de Bahreïn attendent encore une telle implication des membres du Congrès… 

Cette intense campagne de lobbying de Bidzina Ivanishvili vise à promouvoir le lancement de son parti politique « Georgian Dream » tout en cherchant à faire gommer son passé trouble et ses liens avec Moscou, qui, jusqu'à présent, entachaient fortement sa réputation auprès des géorgiens, un peuple qui n'apprécie pas les connexions politiques et économiques de l'oligarque avec le voisin russe. Il faut dire que Bidzina Ivanishvili a su capitaliser sur le mouvement de privatisation des entreprises d'État après la chute de l'URSSS. Fortune faîte, il part maintenant à la conquête du pouvoir en Géorgie pour les prochaines législatives, ce qui n'efface en rien ses liens politique et économique avec la Russie. 

En effet, très pro-russe, certains disent même "plus russe que Poutine", Ivanishvili plaide pour un renforcement des liens entre Tbilissi et Moscou et va même jusqu’à affirmer que "la Géorgie est moins démocratique que la Russie". Côté business, l’oligarque a bâti sa fortune dans les années 1990 en Russie et possède 1% du géant des hydrocarbures Gazprom et une participation minoritaire dans l’entreprise Lukoil. On évalue ses participations à 3 milliards de dollars. Ivanishvili est également à la tête de la très controversée Rossiyskiy Kredit Bank et est présent dans l’hôtellerie de luxe, l’agro-business ou le marché de l’art. Hors de Russie, il est soupçonné de trafic de diamants en Angola ce qui lui vaut une interdiction de territoire par les autorités canadiennes.

Bidzina Ivanishvili est donc légitimement perçu comme l’homme de Moscou et beaucoup le soupçonnent de vouloir, en cas d’élection, vassaliser la Géorgie à la Russie. Lors de la guerre russo-géorgienne, il fut de ceux qui appelèrent les autorités géorgiennes à la modération et à brader l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie afin de maintenir de bonnes relations avec Vladimir Poutine.

Malgré sa fortune, la tâche de cet homme d'affaire s'annonce vaste et beaucoup de temps vont passer avant qu'il puisse vraiment améliorer son image auprès des géorgiens eux-mêmes, mais également auprès de Washington, les milieux informés ayant de la mémoire. Certains observateurs régionaux commencent néanmoins à s'inquiéter : une telle débauche de moyens, presque illimités, ne risque-t-elle pas de fausser les prochains scrutins et de livrer la Géorgie à un oligarque ? Affaire à suivre, tant elle révèle les difficultés des pays du Caucase à composer avec une démocratie très jeune, l'influence de la Russie et le rôle politique pas forcément souhaitable des oligarques, pourtant incontournables de par leur poids économique. 

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