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Le rapport entre les revenus des 20% les plus riches et les revenus des 20% les plus pauvres est de un à quatre, contre de un à sept avant redistribution.
Le rapport entre les revenus des 20% les plus riches et les revenus des 20% les plus pauvres est de un à quatre, contre de un à sept avant redistribution.
©Flickr

Réalités complexes

En sortant la remise à plat de la fiscalité de son chapeau, le gouvernement a souhaité répondre à l'inquiétude croissante des classes sociales les plus pauvres qui sont étouffées par la crise. Un fait qui amène à analyser l'évolution des inégalités depuis 2000 dans le paysage français et ses spécificités.

En ces temps de "remise à plat" fiscale, la question de l'accroissement des inégalités de revenus dans l'Hexagone depuis la crise vient à se poser. Eurostat, Insee, OCDE, les études sur le sujet abondent sans obtenir toujours les mêmes résultats. En France, les principaux outils qui mesurent les évolutions des inégalités de revenus sont pluriels. Le plus connu et le plus souvent cité est l'indice GINI de l'OCDE qui évalue les écarts de revenus en partant de 0 - qui représente une égalité parfaite. Le chiffre est de 0.29 pour l'Hexagone contre 0.34 pour la Grande-Bretagne et 0.29 pour l'Allemagne.

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Source : OCDE

Autre institut travaillant sur le sujet, l'Insee découpe chaque année les revenus des Français en les classant par "déciles" (10%), des plus pauvres aux plus riches. La moyenne du revenu disponible pour les plus modestes était de 12 942 euros/an tandis qu'il était de 62 532 euros pour les 10% les plus aisés en 2010.

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Source : Insee, SIASP

Eurostat mène enfin chaque année une grande enquête (EU-SILC) qui établit un ratio entre les revenus des 20% les plus riches et ceux des 20% les plus pauvres. Il est de 4.2 en France en 2010 (pour un maximum de 8), soit 0.4 points de moins qu'en 2006.

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Source : Eurostat

Atlantico : Peut-on concrètement estimer l'état des inégalités en France ?

Louis Maurin : Si l’on parle uniquement des inégalités de revenus, ce que mesurent les instituts que vous citiez, il est nécessaire de préciser que l’on dispose de données assez partielle sur les très hauts revenus (1%) après impôts et prestations sociales depuis 2004. On peut bien affirmer par contre que ces derniers sont ceux qui progressent le plus sur la décennie.

Évolution des hauts revenus entre 2004 et 2010 - revenus déclarés par personne(ces revenus ne prennent pas en compte les impôts et les prestations sociales, Insee)

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Source : « Comment évoluent les très haut-revenus en France ».Inégalités.fr. Avril 2013

Si l’on prend la question dans un ensemble plus large, on constate par ailleurs très nettement un accroissement des inégalités entre les personnes « aisées » (en dessous des 1%, NDLR) et les revenus les plus faibles.

Nicolas Goetzmann : L’Insee vient de publier son portrait social de la France pour l’année 2013, et offre un contenu suffisamment étoffé pour dresser un bilan. Mais fondamentalement, les chiffres sur les inégalités peuvent être manipulés dans tous les sens car ils impliquent un degré de complexité inouï. Revenus ou patrimoines, avant ou après taxes et redistributions, tranches d’âges, individus ou ménages, dynamique démographique sont autant de facteurs qui peuvent distordre les résultats. Il ne manque qu’une bonne dose d’idéologie pour compléter le tableau.

Selon l’Insee, et après redistributions des différentes prestations sociales, le rapport entre les revenus des 20% les plus riches et les revenus des 20% les plus pauvres est de un à quatre, contre de un à sept avant redistribution. Ces redistributions ont pour effet de réduire de 20% les revenus les plus élevés et d’augmenter de 55% les revenus les plus faibles. Si nous comparons les 10% à chaque extrémité du spectre, les écarts vont de un à dix-sept avant redistribution et de un à six après redistribution.

Le constat est que ce système est fortement redistributif mais cela ne nous dit rien sur son efficacité à réduire la pauvreté et à promouvoir la mobilité sociale. Parce que sur ces deux thèmes, la France ne fait pas mieux que les autres.

Quelle a été la progression des inégalités sur les dix dernières années ?

Nicolas Goetzmann : Si nous prenons en compte le coefficient de Gini, qui est l’indicateur le plus connu, il y a plutôt une stabilité des inégalités en France depuis 10 ans. Il faut prendre en compte une période de croissance entre 2003 et 2008 et de récession ou de stabilité depuis 2008.  Mais encore une fois les inégalités ne nous disent rien sur ce qui est essentiel : La pauvreté et le chômage qui eux sont en hausse parce que nous n’avons pas de croissance.

A titre de comparaison, l’Allemagne a connu une forte hausse de ses inégalités depuis 10 ans, tout en réduisant son taux de chômage de moitié. Ce qui permet de relativiser la validité de l’analyse qui découle des chiffres.

Encore une fois, il me semble hasardeux de conclure sur l’état d’une économie à partir des chiffres sur l’inégalité.

Louis Maurin : Nous avons constaté qu’au début de la décennie 2000-2010, les revenus évoluaient dans leur ensemble vers le haut, dans des proportions bien sûr différentes. Si les revenus des plus riches étaient en claire augmentation, on remarquait dans le même temps une légère hausse, au pire une stagnation, des revenus les moins importants. Depuis 2008 cependant, les revenus des 1% continuent d’augmenter, parfois de façon très importante, tandis que les revenus des plus démunis sont maintenant sur une pente descendante. D’un côté, les 10% les plus pauvres ont vu leurs revenus baisser de 3.4% tandis que ceux des 10% les plus favorisés se sont accrus dans le même temps. Il s’agit bien là d’un changement qui traduit l’ampleur de la crise sur le quotidien de nombreux Français. A la lumière de ces chiffres, il devient difficile d’affirmer que « la crise frappe tout le monde » comme on peut souvent l’entendre.

Peut-on dire que le modèle français est un cas particulier sur le plan des inégalités ?

Nicolas Goetzmann : Sur ce plan, le modèle français n’est pas un cas particulier mais les inégalités y sont plutôt inférieures à la moyenne de l’OCDE. Là où la France est un cas particulier, c’est son niveau de prélèvements de 46% par rapport au PIB. Ce niveau de prélèvement est un frein à la croissance et est négatif en termes d’emplois.

Au final, nous avons un système à double effet : nous fabriquons de la pauvreté en bridant la croissance avec trop d’impôts, et nous compensons ce mal par ces mêmes impôts. Le résultat est que nos inégalités sont inférieures à la moyenne mais notre taux de croissance aussi. Le problème en France repose plus sur la mobilité sociale. Le taux de reproduction des revenus entre enfants et parents est un des plus élevé au monde et cette problématique repose avant tout sur le système éducatif.

Louis Maurin : Le niveau d’inégalités, c’est loin d’être un secret, est effectivement moins développé en France que dans une bonne partie des pays anglo-saxons. On peut selon moi affirmer que la hausse des inégalités est arrivée en vérité un peu plus tard en France que dans le reste des pays développés, contrairement à ce qu’affirme l’OCDE qui maintient que la France est un pays d’exception en la matière. Cependant, le haut niveau de notre protection sociale peut expliquer que les chocs socio-économiques sont d’avantage amortis dans l’Hexagone qu’aux Etats-Unis par exemple. Ainsi, en période de forte croissance la France est généralement à la traîne par rapport aux autres pays, notamment du Nord, mais elle met aussi parallèlement plus de temps à entrer en récession. Autrement dit, il s’agit d’un « frein dans les deux sens ».

La question de la cause des inégalités est un vieux débat qui date au moins de l'époque de Voltaire et de Rousseau. Quelles en sont les mécanismes structurants aujourd'hui sur le plan économique ?

Louis Maurin : Je suis content que vous me posiez la question car le débat est finalement assez peu existant en France en comparaison des pays anglo-saxons. Les facteurs sont évidemment pluriels, et le plus central est évidemment l’émergence du chômage de masse dans les économies développées à partir de la fin des années 1970. On peut aussi relier le phénomène à la modification des structures de travail, liée au déclin continu des grandes entreprises nationales dans la seconde moitié du XXe siècle, puisque les organismes sociaux y étaient représentatifs et permettaient d’entretenir une véritable négociation d’entreprise.

De plus, la question du progrès technique, de la mécanisation croissante du travail, mérite aussi une certaine réflexion car elle génère à première vue des paradoxes notoires : si d’un côté elle marginalise toute une frange de la population de l’emploi, elle a aussi facilité une meilleure formation de la main d’œuvre. Les causes des inégalités par rapport aux dynamiques de la mondialisation sont aussi à prendre avec des pincettes puisque si le développement du libre-échange a certes bien détruit des emplois, il en a créé ailleurs.

On peut enfin poser la question sur la plan de la socio-démographie, puisque la hausse de la monoparentalité est elle aussi corrélée aux évolutions des inégalités économiques. Il est heureux de constater d’ailleurs que le système français est assez protecteur en la matière. Les anglo-saxons ont su démontrer que l’activité féminine était en hausse continue sur les décennies qui ont précédé, ce fait n’étant pas négligeable lorsque l’on sait que l’on a de fortes chances de se marier avec des personnes qui nous ressemblent sur le plan socio-économique (c’est ce que l’on appelle l’homogamie). Cela fait que, schématiquement, l’ensemble des revenus finit par se polariser entre ceux qui gagnent bien leur vie et ceux pour qui le quotidien est plus difficile.

Nicolas Goetzmann : Cela peut surprendre mais le principal facteur des inégalités en France et en Europe en général est la poursuite d’une politique monétaire très contraignante. En se focalisant sur l’inflation, les banques centrales protègent les actifs, le capital, au détriment des revenus du travail. Lorsqu’un choc économique survient, une banque a le choix de le faire porter soit sur le taux de chômage soit sur le capital en permettant un peu plus d’inflation. Depuis les années 80, c’est le taux de chômage qui augmente et les revenus du capital sont par contre protégés. Des politiques monétaires basées sur la recherche perpétuelle de la stabilité des prix sont de puissants mécanismes d’inégalités, car ils brident la croissance. Et c’est la croissance qui explique pour 75% la hausse des revenus des plus pauvres, c’est donc bien une politique de croissance qu’il faut mener pour réduire la pauvreté. Par contre si vous voulez réduire les inégalités, il faut taxer et taxer encore.

Ne peut-on pas dire par ailleurs que considérer la pauvreté sous l'angle des inégalités est un faux débat, et qu'il serait plus efficace de s'occuper exclusivement de la progression des revenus les plus faibles sans l'inscrire dans une comparaison relative ?

Nicolas Goetzmann : Je dirai même que ce débat est purement politique et par nature artificiel. La question des inégalités est devenue centrale depuis que les politiques ont renoncé face au chômage. Lorsque nous parlons des inégalités, nous fabriquons un lien de causalité entre la richesse des uns et la pauvreté des autres, nous fabriquons un rapport de force politique, mais en aucun cas une méthode qui permettrait aux plus pauvres de s’en sortir.

L’exemple de 2012 est frappant à ce sujet, selon l’Insee la hausse des prélèvements a bien permis une réduction des inégalités, mais sans hausse des revenus de plus pauvres. C’est-à-dire que les inégalités se sont réduites uniquement parce que les plus riches payaient plus, et non pas parce que les pauvres vivaient mieux. Politiquement c’est formidable de dire que vous avez réduit les inégalités, mais la réalité est que la pauvreté s’est accentuée. Il est plus facile de taxer les plus hauts revenus que de faire baisser le chômage, la question des inégalités devient dans ce cas-là un cache misère politique.

Louis Maurin : A mon sens, cette vision est assez incomplète, et cela fait d’ailleurs assez longtemps que l’on a réglé la question en décidant de considérer le problème de façon relative. Si l’on poussait d’ailleurs cette logique jusqu’au bout, on ne finirait que par se focaliser sur les situations des très pauvres du Tiers-Monde dont les conditions de vie sont abominables.

Considérer la question de manière relative, c’est définir la pauvreté comme l'exclusion économique d’une société. C’est justement en partant de cette logique que l’on fixe d’ailleurs un seuil de pauvreté propre à chaque pays et à chaque époque.

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