Benyamin Netanyahou contre-attaque en jouant la carte de la solidarité anti-terroriste occidentale : assez pour effacer le reste ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a été interviewé ce jeudi 30 mai au soir sur LCI, pendant une trentaine de minutes.
Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a été interviewé ce jeudi 30 mai au soir sur LCI, pendant une trentaine de minutes.
©GIL COHEN-MAGEN / POOL / AFP

Une guerre menée jusqu'au bout

Au regard de l'entretien de Benyamin Netanyahou accordé à LCI, il est possible de conclure que la guerre sera menée jusqu'au bout dans la bande de Gaza.

François Chauvancy

François Chauvancy

Le général (2S) François Chauvancy est consultant en géopolitique. Il est aussi l'auteur de « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ».

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Pierre Berthelot

Pierre Berthelot

Pierre Berthelot est chercheur associé à l' IPSE et directeur de la revue Orients Stratégiques. 

 

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Atlantico : Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a accordé un entretien à TF1 et LCI jeudi soir. Que retenir de cette interview sur les perspectives du conflit à Gaza ? Quels sont les premiers enseignements de cet entretien ?

François Chauvancy : Au regard du discours de Benyamin Netanyahou, il est possible de conclure que la guerre sera menée jusqu'au bout dans la bande de Gaza. Netanyahou poursuivra l’objectif d’éradiquer le Hamas. Les troupes sont engagées depuis des mois. 292 soldats israéliens ont perdu la vie à ce jour dans ces combats. Or, les succès ne sont pas à la hauteur des attentes. Cela s’explique sur le plan militaire car il est très difficile de conquérir une zone urbaine comme Rafah avec un grand nombre de civils et un mouvement terroriste se battant au sein de cette population. Il a rappelé cependant que si les otages étaient libérés et le Hamas déposait les armes, tout serait réglé rapidement.

Benyamin Netanyahou souhaite que la bande de Gaza soit complètement désarmée et pacifiée. Le Premier ministre israélien cherche à ce que le Hamas ne soit plus en mesure d'atteindre Israël, y compris par des roquettes. Il est donc difficile de concevoir que ce conflit ne s’achève sans que cet objectif ne soit totalement atteint. Reste à savoir si Netanyahou pourra mener cette mission à bien.

Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et des dirigeants du Hamas pour des crimes de guerre et crimes contre l'humanité présumés commis dans la bande de Gaza. L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont récemment reconnu officiellement l’existence de l’État de Palestine. Quel bilan tirer de l’entretien du Premier ministre israélien sur les accusations de la CPI et sur ces reconnaissances de l’Etat palestinien à travers le monde occidental ?

François Chauvancy : Dans cette interview, Netanyahou confie qu’il fait don de sa personne à l'Etat d'Israël. Il a rappelé qu’il avait combattu le terrorisme dès son plus jeune âge. Son jeune frère a été tué lors d’une opération pour libérer des otages à Entebbe en 1976.Pour lui, qu'il soit condamné, arrêté ou non, cela n'a aucune importance. Benyamin Netanyahou se sent investi d’une mission, celle de l'éradication du Hamas et de la protection d’Israël. Il veut aller jusqu'au bout de cet objectif.

Il est très clair également sur la création d’un Etat palestinien … à condition qu’il ne soit pas un danger pour Israël. Il a évoqué cette possibilité en conséquences d'une occupation éventuelle totale de Gaza après une victoire sur le terrain. Il ne veut pas que le Hamas se réinstalle dans le futur. Cela exigerait une occupation et une reconstruction dans tous les domaines de ce territoire avec une administration civile. Une force internationale serait souhaitable mais il ne voit pas qui pourrait assurer cette tâche.

Netanyahou précise que l’Etat palestinien doit être déradicalisé. Le Premier ministre israélien a choisi ce terme très fort pour adresser un message aux Français. Trois termes ou expressions résument d’ailleurs la stratégie menée par Netanyahou : détruire le Hamas, démilitariser et déradicaliser. Ce dernier terme s’appuie dans son discours par la référence à l’éducation à la haine d’Israël dans les écoles palestiniennes que ce soit du côté de la Cisjordanie ou de la bande de Gaza.

Cependant Netanyahou a souhaité qu’à l'avenir les Palestiniens et les Israéliens vivent en paix. Cela semble difficile avec plus de 500 000 colons israéliens, en partie extrémistes qui affaiblissent et affaibliront de fait un Etat palestinien. Par ailleurs, interrogé sur les colons en Cisjordanie, Netanyahou a indiqué qu’ils n’étaient pas en dehors du droit international…

Il est donc difficile de concevoir comment la création d’un Etat palestinien peut être envisagée. Netanyahou a très nettement indiqué que ce n'était pas le moment de déclarer un État palestinien. Il estime en effet que cela serait une victoire pour le Hamas.

Pierre Berthelot : Netanyahou a exprimé des réactions très hostiles à l’égard de la CPI et du traitement qui lui a été réservé. La Cour pénale internationale a annoncé qu'elle faisait un parallèle et une équivalence entre Israël et les dirigeants du Hamas dans son inculpation.

Selon le Premier ministre israélien, la position de la Cour pénale internationale et la reconnaissance d'un État palestinien sont un gage donné au Hamas.

Mais il est possible de penser que la pression internationale exercée sur Israël pourrait pousser Netanyahou à réfléchir à une solution politique.

Dans le passé, il a été prouvé que c'est quand Israël subissait des pressions que l’Etat hébreu allait vers la table des négociations. Cela a été le cas avec Menahem Begin, avec les accords de Camp David sous pression américaine, avec George Bush père qui obligea à un début de dialogue avec l'OLP. Il y a eu Oslo ensuite. Cela a permis ensuite d’avoir des périodes un peu bénies pour Israël en termes de sécurité même si les clauses des accords n'ont pas toujours été respectées.

Netanyahou a donc une position de défense classique mais qui sert avant tout à son électorat interne. Il cherche à rassurer son électorat et à rassurer ceux qui, en France ou en Europe, sont sur la même ligne.

Netanyahou affirme que toute concession dans le cadre du conflit à Gaza, toute forme de pression sur Israël constituent un gage donné au terrorisme et au Hamas.

Il y a une position d'hésitation qui existe dans toutes les démocraties occidentales, y compris en France par rapport au contexte à Gaza, à la Palestine et aux Israéliens.

Benyamin Netanyahou, à travers cette interview sur TF1 et LCI espère faire basculer un certain nombre de dirigeants et de citoyens vers cette position de front uni mondial contre l'islamisme, en mélangeant le terrorisme d'État déterritorialisé, c'est-à-dire de type Al-Qaïda et finalement le Hamas, qui est surtout un mouvement national, qui a une action locale.

Netanyahou à travers cet entretien à ne cherchait pas à convaincre les gens qui, par principe, soutiennent la position de la CPI ou qui sont favorables à la reconnaissance d’un Etat palestinien. Ce public ne l'intéresse pas.

Au cours de cette interview, Benyamin Netanyahou s'est présenté en défenseur des nations libres contre le terrorisme. Il a notamment parlé en français en indiquant : « Notre victoire, c'est votre victoire, la victoire de la civilisation judéo-chrétienne contre la barbarie ». Que penser de ce message de la lutte contre le terrorisme adressé aux pays occidentaux à travers le combat contre le Hamas ?

Pierre Berthelot : Il y a une confusion dans le discours de Netanyahou sur le terrorisme. Il y a un terrorisme islamiste globalisé et il y a des groupes terroristes qui ont un agenda local comme le Hamas et qui peuvent devenir des acteurs politiques. Le Hamas a une double nature, c'est un mouvement terroriste armé et c'est aussi une formation politique qui va aux élections. On pourrait dire la même chose du Hezbollah.

En France ou en Europe, les terroristes souhaitent édifier un état islamiste en Europe. Ils ciblent ainsi tout l'Occident, ses valeurs, mais il n'y a pas un objectif territorial précis.

Pour la question de Gaza et du Hamas, il y a aussi des difficultés liées à un conflit de décolonisation.

L'islamisme est multiple. Il peut être national, international, politique, quiétiste.

L’essence primitive de la radicalité trouve un terreau commun mais les différences existent. Le Hamas est issu des Frères musulmans mais il n'y a pas un parti des Frères musulmans identique à un autre. Dans tous les pays où ils sont présents, ils ont souvent un agenda national. La branche des Frères musulmans au Liban n'agit pas comme celle des Frères musulmans en Syrie, en Jordanie, en Palestine, en Egypte.

Netanyahou cherche à rassembler autour de lui l'opinion publique occidentale en faisant passer l'image que nous sommes dans un combat commun contre le terrorisme.

François Chauvancy : Ce discours s'apparente à celui de Volodymyr Zelensky en Ukraine, dans un autre contexte bien entendu. Il donne l'impression qu'il y a des défenseurs de la démocratie à travers le monde et qu’Israël comme l’Ukraine en sont les avant-postes. Si Israël tombe, les autres démocraties tomberont. L'Europe serait menacée si ces défenseurs de la démocratie ne faisaient pas la guerre, même si le contexte est différent, d'un côté, il y a un agresseur, la Russie de Vladimir Poutine alors qu’en Israël, l’opération israélienne fait suite à une attaque terroriste.

Le discours vis-à-vis de l’Occident est le même. Zelensky et Netanyahou affirment qu’ils combattent ceux qui menacent la démocratie. Alors pourquoi soutenir l’Ukraine et pas Israël dans cette cause qui est légitime ? La question est de savoir quelles sont les armes de la démocratie contre le terrorisme d’autant qu’elle a été attaquée en Israël par un mouvement terroriste.

Netanyahou a souhaité faire passer un message auprès de l’opinion internationale mais le fait de parler en français à certains moments et les références historiques à l'affaire Dreyfus, à la Seconde Guerre mondiale ou les remarques sur des dommages collatéraux de l’armée française au Mali sans par ailleurs la mettre en accusation, la guerre ne peut pas éviter les dommages collatéraux, démontrent que les Français étaient au cœur de la stratégie de communication de Netanyahou dans cet entretien.

Cela intervient justement au moment où le président Macron est en pointe sur un certain nombre de causes à défendre et se pose en leader de la politique étrangère et de défense européenne. Le chef de l’Etat français apparaît comme un homme politique beaucoup plus « belliciste » que d'autres et qui pourrait avoir une influence sur la guerre à Gaza.

Netanyahou a souhaité s’adresser aux Français et à Emmanuel Macron afin d’essayer de faire pencher l’opinion publique de son côté et tenter d’avoir une influence sur les positions du président Macron.  

Que faut-il penser du message adressé à la France et à Emmanuel Macron dans cette interview aux nombreuses références comme les bavures au Mali, les attentats de 2015 ou le fait de comparer un Etat palestinien à la solde du Hamas à un potentiel soulèvement dans les banlieues parisiennes mené par des islamistes ?  

François Chauvancy : Tout cela témoigne de la stratégie de communication de Netanyahou. Le débat sur l'islamisme en France est une réalité aujourd'hui. Concernant le terrorisme, Netanyahou a rappelé les attentats du Bataclan, de Nice, l'affaire Merah.

Le Hamas est un mouvement terroriste, proche des Frères musulmans. Netanyahou tente d’agréger la menace terroriste en France et celle du Hamas au Moyen-Orient bien qu’à ma connaissance le Hamas n'a jamais frappé la France. Cependant les mouvements islamistes en France ont quand même prouvé qu'ils étaient capables d'attaquer les fondements de la République et donc de la démocratie.

Vis-à-vis de la France, l’objectif est de peser auprès de l'opinion. Le discours de Netanyahou devait aussi être une réponse au soutien d’une partie de l’opinion publique comme en témoigne cet appel à la manifestation  par LFI devant les locaux de TF1 et LCI contre la diffusion de cette interview. Nous sommes également dans une période pré-électorale avec un engagement très fort de l'extrême gauche propalestinienne. Ces événements sont récupérés politiquement par LFI pour tenter d’attirer des électeurs.

Il y a aussi de nombreuses manifestations à l’échelle internationale en faveur de la Palestine. Aux Etats-Unis, il y a eu 2.000 arrestations et de fortes mobilisations sur les campus universitaires. La mobilisation en France a eu lieu dans des lieux symboliques comme à Sciences-Po ou à l’Ecole Normale Supérieure amenant l’intervention des forces de l’ordre.

Netanyahou, via cette interview, ne souhaite pas que ces mouvements ne s’agrègent et se cristallisent pour faire pression sur les gouvernements. L’objectif est d’affaiblir cette opposition et d’éviter que toutes les opinions publiques ne se retrouvent dans la défense d’une cause humanitaire dérivant vers une approche politique propalestinienne qui pourrait contrecarrer l’opération israélienne  à Gaza.

Pierre Berthelot : Je ne partage pas du tout l'opinion de Benyamin Netanyahou sur le Mali. Il n’est pas possible de comparer l'armée française au Mali et l'armée israélienne à Gaza, cela n'a rien à voir. Il est possible qu'il y ait pu y avoir de manière fort exceptionnelle une bavure au Mali mais elles sont extrêmement rares. Ce ne sont pas des actions répétées et par rapport au nombre de victimes à Gaza, la comparaison me semble totalement inappropriée.

Concernant la question des banlieues, il y a une certaine confusion. Les résidents des banlieues en France sont français dans la grande majorité. Les habitants de Gaza ne sont pas Israéliens. Il n’y a pas de demande d’un Etat indépendant en France.

Le parallèle concerne plutôt le FLNC corse dans les années 80. Une partie des indépendantistes corses étaient tentés par l'action violente.

Tous les Palestiniens ne partagent pas les idées du Hamas.

Certains citoyens en France redoutent que le scénario décrit par Netanyahou se produise un jour en France. A travers cette interview, le Premier ministre israélien cherche à peser sur l’opinion publique française, occidentale et auprès des dirigeants européens pour qu’ils s’alignent sur ses positions.

Quelles pourraient être les conséquences en France d'un tel entretien sur le climat ambiant ?  Il y a eu des appels à manifester devant la chaîne de télévision et dans le contexte de l'élection européenne, avec le rôle de LFI. Quelles pourraient être les conséquences d'un tel entretien sur le plan national ?

Pierre Berthelot : Je ne pense que cela ait beaucoup de conséquences. Cela aurait été très différent si Benyamin Netanyahou avait effectué une visite en France. Il aurait pu être reproché à Emmanuel Macron de recevoir quelqu'un dont on a recommandé l'inculpation. Il aurait pu y avoir un effet sur Emmanuel Macron et la campagne de Renaissance. Les positions vont rester figées. En revanche, si la tête de liste de la majorité présidentielle pour les élections européennes était amenée à réagir suite aux propos de Benyamin Netanyahou, elle risque de s’aventurer sur un terrain glissant et devra éviter les déclarations maladroites. 

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