Beaucoup plus grave que la crise de l'euro : les Européens ne croient plus en l'intérêt de l'Union<!-- --> | Atlantico.fr
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Il n'y a plus de classe politique nationale qui croit en l'Europe.
Il n'y a plus de classe politique nationale qui croit en l'Europe.
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Illusions perdues

Alors qu’un nouveau Conseil européen s’est ouvert ce jeudi, l’Europe est de plus en plus critiquée par les politiques et même les peuples semblent s’en détourner. Un sondage Ifop/Atlantico révèle notamment que 27% des Français seraient prêts à remettre en cause l’amitié franco-allemande si c’était le prix à payer pour s’opposer à la rigueur.

Jean-Luc  Sauron

Jean-Luc Sauron

Jean-Luc Sauron est professeur associé à l'Université Paris-Dauphine.

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Atlantico : Alors qu'un Conseil européen a débuté ce jeudi, l’Europe est de plus en plus critiquée par les politiques et même les peuples semblent s’en détourner, comme le montre la percée des mouvements eurosceptiques dans de nombreux pays. Un sondage Ifop/Atlantico révèle également que 27% des Français seraient prêts à remettre en cause l’amitié franco-allemande si c’était le prix pour s’opposer à la rigueur. N’est-ce pas le signe d’une désaffection profonde pour l’Europe ? Est-ce que quelqu’un y croit encore vraiment ?

Jen-Luc Sauron : L'Europe bashing est en effet très à la mode. Il devient même une prophétie auto-réalisatrice : tout le monde dit ou pense que l'Europe ne va pas, ceux qui ne le pensent pas commencent à douter, et ainsi de suite.En réalité, le point commun aux Européens, c'est un sentiment conscient ou inconscient du déclin de leur pays (Grande Bretagne, France, Italie, Espagne, Allemagne, etc.). Cette impuissance à projeter un regard dominateur sur le monde extérieur pour des peuples qui ont gouverné le monde à un moment ou à un autre de leur histoire connaît deux traductions principales. L'une interne se caractérise par une exaltation du moi, de l'ego sur toutes structures familiales, institutionnelles, politiques ou sociétales. Qui n'a pas rencontré dans son environnement proche, ce que les psychiatres appellent "un pervers polyforme" qui sous couvert de l'intérêt général ne cherche que l'expression de sa propre puissance ou plutôt de son propre ego ? Où trouver aujourd'hui dans l'une des sociétés européennes la manifestation de projet collectif auquel il est demandé d'adhérer ? Très logiquement, cette impuissance d'agir sur la réalité qui passe souvent par l'exercice de pouvoirs sur la victime la plus proche se prolonge, en externe, par la remise en cause du seul projet collectif encore en place dans l'imaginaire européen, celui de l'Union européenne. Sortir de l'Union européenne devient alors la recherche de recouvrer sa liberté et lutter contre le déclin. L'actuel Europe bashing n'est que la caricature de ce qui a toujours mené l'Europe depuis le début de sa construction en entités nationales : la méfiance de l'Autre, responsable de toutes les difficultés traversées. Plus que la crise de l'Europe, l'actuelle déstabilisation révèle l'incapacité des Européens à s'adapter à un monde globalisé où ils ne seront plus ni les maîtres intellectuels, ni les dirigeants économiques. Or, à force d'intégrer cette auto-dénigrement, les Européens cessent de croire en eux alors que le jeu reste très ouvert, différent de ce qu'ils ont connu depuis le XVIIIème siècle, mais instable et donc ouvert.

Comment expliquez-vous cette évolution ? A-t-on trop négligé la politique dans la construction européenne ? Celle-ci n’est-elle plus qu’une zone de libre-échange sans âme ?

Pour avoir une construction politique recevant l'adhésion des peuples européens, il faudrait avoir une classe politique en charge des questions européennes et qui ferait carrière dans cette perspective. Les gouverneurs américains rêvent, pour beaucoup, d'être un jour président des Etats-Unis. Une fois le rêve réalisé, ils ne retournent pas à la carrière politique d'un Etat fédéré. La circulation des politiques européens entre les niveaux nationaux et européen montrent bien que la vraie carrière politique reste nationale. Sinon, comment expliquer que certains ministres de l'actuel gouvernement de Jean-Marc Ayrault aient quitté leur poste de parlementaire européen pour celui de ministre français ? Ce n'est certainement pas pour le pouvoir : un président de commission parlementaire au Parlement européen ou certains rapporteurs de textes majeurs (ceux sur le Six pack ou le Two pack) exercent un pouvoir autrement plus fort que celui de beaucoup de ministres nationaux. Mais voilà, nos élites politiques lorsqu'elles se rasent le matin ne pensent ou ne rêvent que national. Cette même élite politique nationale continue de "faire écran" entre leurs populations et l'Union européenne. Il y a une peur inconsciente mais bien réelle de voir les populations se détourner des politiques nationaux si les citoyens prenaient conscience de l'importance de l'Europe dans leurs vies.

Enfin, mais spécifiquement à la France, il y a cette incompréhension des politiques nationaux de l'importance du Parlement européen, mépris sans doute logique quand vous vous remémorez la place du Parlement en France depuis 1958. Cette situation conduit à un mode de sélection des candidats pas toujours en rapport avec la tâche à accomplir à Bruxelles et à Strasbourg. Les battus à droite des législatives de 2012, ceux à gauche qui craignent de faire les frais d'un remaniement, ou enfin ceux qui cherchent un salaire pour continuer à faire de la politique nationale trouvent dans le mode de scrutin proportionnel appliqué aux élections européennes la voie toute tracé vers un mandat rémunérateur ! Mais la conséquence de ce calcul à court terme est double : les positions françaises ne sont pas très bien défendues au sein des débats européens faute de parlementaires en connaissant les arcanes (à l'inverse, regardez le poids d'Alain Lamassoure, de Daniel Cohn-Bendit, de Pervenche Bérès ou de Sylvie Goulard ou de Jean-Paul Gauzès parlementaires européens français expérimentés et je n'ai pas cité tout le monde que les autres me pardonnent). Mais les mêmes, qui sont absents au Parlement européen, le sont en circonscription : comment expliquer ou parler de ce qu'on ignore ? D'où l'absence d'ancrage démocratique parlementaire de l'Europe en France : comment s'étonner de l'absence de racines de l'Union européenne, cela serait bien la première construction politique à se consolider sans l'aide d'un réseaux d'élus!

En France, le traité de Maastricht a été ratifié d’extrême justesse et par la suite, la plupart des référendums sur la question européenne se sont soldés par des résultats négatifs. N’a-t-on pas trop sous-estimé l’attachement des peuples à leurs nations respectives et leur défiance à l’égard d’une construction supranationale ?

Cessons de considérer le référendum comme un moyen démocratique de trancher des questions complexes ! Tous ceux qui soutiennent la stratégie référendaire n'ont pas d'emprise électorale dans le cadre des élections classiques. Le débat référendaire de 2005 a été le summum de manipulations des craintes de nos concitoyens dans un contexte marqué par l'inconsistance des défenseurs (certains ne connaissaient pas le texte qu'ils "défendaient") et les slogans émotionnelles et irrationnelles des anti. Là encore, en 2005, c'est un enjeu national qui était la cible : à droite comment diviser la gauche et à gauche comment affaiblir le poids du parti socialiste. L'échec de Ségolène Royal en 2007 n'est que le prolongement de la division interne au parti socialiste, d'une part, et au sein de la gauche non socialiste (verts, extrême gauche) d'autre part.

Au delà du contingent, il est évident que la mondialisation pousse les citoyens européens à se rapprocher de ce qu'ils connaissent le moins mal (le niveau national) et de ceux à qui ils pensent pouvoir demander des comptes sur ce qui leur arrive. La vrai question est la dissociation entre ceux qui décident vraiment (l'intergouvernemental européen ou les institutions européennes) mais qui échappent au contrôle démocratique adapté et aux sanctions (ce n'est pas moi, ce sont les autres, Angela Merkel, le Conseil européen, la Commission, Bruxelles ou à l'inverse les Etats récalcitrants ou défaillants) et les contrôlés (les élus nationaux) qui n'ont plus, seuls, la capacité à redresser la situation.

Le projet européen a longtemps été porté par les élites. Les pères fondateurs d’abord puis Jacques Delors dans les années 1990. Aujourd’hui, l’attachement des dirigeants  européens à la construction communautaire semble moindre. Les élites sont-elles aussi en train de se détourner de l’Europe ? Dans ces conditions, comment relancer le projet européen ?

Il n'y a plus de classe politique nationale qui croit en l'Europe ! Ce n'est pas d'ailleurs ce qui leur est demandé. Ce sur quoi ils sont jugés, c'est la croissance économique et la descente du taux de chômage, quelle que soit la voie choisie, nationale ou européenne ! L'Europe a quitté les cénacles de militants mais elle n'a pas encore rencontré les citoyens. Ces derniers ont besoin de concret, de se projeter dans un environnement politique. Je regrette l'abandon du mot "Communauté". Il traduisait bien le partage, la vie entre semblables ou proches. Franchement, l'Union est un mot au mieux philosophique au pire technocratique. Dans le contexte européen, l'idée de partage manque. L'Europe sera populaire, au sens de culture partagée, de sens commun. Mais ce serait grave d'en chasser les élites. Tout corps social ou politique a besoin de l'adhésion de toutes ses composantes : élites, corps intermédiaires, actifs/inactifs, etc. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si les extrêmes politiques se construisent toujours contre : contre les patrons, contre les élites mondialisées, contre les étrangers, contre ceux qui n'ont ni la même religion, ni n'ont choisi la même orientation sexuelle. La solution pour consolider l'Europe serait de la structurer sur ses fondations c'est-à-dire les nations. Le rêve d'une fédération européenne née dans je ne sais quel chou ou quelle rose est vain. Je pense qu'il faudrait retisser le liens entre les citoyens et la structure politique qui les représente. Je propose dans mon ouvrage L'Europe est-elle toujours une bonne solution ? de redémarrer avec une fédération rhénane qui regrouperait la France, l'Allemagne et le Bénélux (pour s'appuyer sur une proximité de langue, d'économie et d'histoires), fédération qui resterait dans l'Union européenne et qui se verrait rejoindre petit à petit par les 22 autres Etats. Une autre solution serait de regrouper les Etats membres aux travers de structures régionales regroupant les Etats membres par famille historique ou économique : il serait peut-être plus facile de se rapprocher entre similaires comme première étape d'un resserrement plus vaste au niveau continental européen.

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