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Bataclan, 2 ans après : tout ce et ceux qui ont changé en France depuis  le 13 novembre 2015
©Reuters

Discours

Bien des choses ont changé depuis deux ans en France après les attentats du 13 novembre 2015, notamment les discours des politiques sur le terrorisme.

Gilles-William Goldnadel

Gilles-William Goldnadel

Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Il a notamment écrit en 2024 "Journal de guerre : C'est l'Occident qu'on assassine" (éditions Fayard) et en 2021 "Manuel de résistance au fascisme d'extrême-gauche" (Les Nouvelles éditions de Passy). 

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Le 13 novembre 2015, 130 personnes trouvaient la mort dans une série d'attentats islamistes perpétrés à Paris et dans sa banlieue. Dans quelle mesure le "13 novembre" a-t-il profondément modifié les différentes lignes de l'échiquier politique français ? Chronologiquement, quelles ont été les phrases clés ayant révélé cette mutation, au fil des mois, de l'approche de partis sur les questions inhérentes aux attentats ?

Gilles-William Goldnadel : En dehors de la Frange la plus extrême de l'islamo gauchisme, il n'est pas douteux que le traumatisme a eu pour effet de libérer la parole. C'est une libération par intermittence, qui n'interdit pas de temps en temps des régressions mais si on regarde la courbe de la libération de la parole elle va en s'améliorant si j'ose dire. Même les esprits les plus obtus n'hésitent pas à qualifier le terrorisme d'islamiste. Il n'est pas douteux qu'il y ait une amélioration de la liberté de parole. L'Islam lui-même est davantage questionné et la plupart des politiques peuvent parfaitement prendre en considération qu'il y a deux islams dont un islam politique radical qui doit être observé.

Pareil sur l'immigration. Elle reste le point noir au niveau de la libération de la parole. Là aussi on peut davantage regretter l'échec de l'intégration en matière d'immigration. On peut davantage considérer que les frontières européennes ou nationales méritent d'être davantage défendues, que les flux peuvent être régulés et que les délinquants expulsables doivent l'être. Ces choses peuvent être dite sans craindre la diabolisation. De ce point de vue-là le malheur du 13 novembre 2015 a eu pour conséquence une certaine libération de la langue.

Même Macron, même si il faut faire le distinguo entre ce qu'il dit pendant la campagne et pendant l'exercice du pouvoir. Il n'a plus à séduire une clientèle particulière. Maintenant qu'il s'est affranchi de cette obligation si j'ose dire commerciale il a été davantage dans l'obligation étatique d'appeler un peu plus les choses par leur nom. Manuel Valls quelque soit le regard que l'on porte sur lui, ses principales qualités ont été la liberté de parole sur le sujet du terrorisme avec une grave régression lorsqu'il a parlé  d'apartheid social et ethnique au moment des attentats. En dehors de ce faux pas tout a fait étonnant, le parcours linguistique doit être à mes yeux salué. Et c'est une parole qui ne lui a pas fait que des alliés, ce qui est d'autant plus admirable.

Vincent Tournier : Le 13-Novembre a achevé de faire sortir la société française de sa torpeur intellectuelle, de son déni de réalité. Les attentats ont réalisé le pire des scénarios. Ils ont montré que ceux qui annonçaient le pire avaient raison. Les prophètes de malheur n’étaient pas ceux que l’on croyait. Désormais, il n’est plus possible de taire ou de minorer les problèmes. Dans l’opinion publique, l’idée selon laquelle l’islam représente une menace pour la République a progressé depuis 2015.

Pour autant, les mythes ont la vie dure. Beaucoup n’ont pas envie de sortir de leur confort intellectuel. Aborder les questions de fond peut s’avérer trop douloureux. Mieux vaut avoir tort avec Edwy Plenel que raison avec Eric Zemmour. C’est pourquoi il y a aujourd’hui un décalage entre d’un côté une action publique qui a dû prendre des mesures souvent drastiques pour assurer la sécurité, et de l’autre un désir puissant de la part d’une partie des élites et de la population de tourner la page. Ce déni se traduit par un faible investissement de la part des médias ou des universitaires sur l’analyse des attentats terroristes. Les hommages aux victimes se font a minima et on préfère mettre en avant les témoignages qui appellent à l’amour et à la tolérance. L’Etat est prêt à « rapatrier » (c’est le terme utilisé par Emmanuel Macron) les anciens djihadistes de l’Etat islamique. Les plaques commémoratives des attentats ne donnent aucune indication sur l’idéologie des auteurs (on se demande ce que les archéologues qui les retrouveront dans 1000 ans pourront savoir de ce qui s’est produit à Paris ce 13 novembre 2015). Aujourd’hui, les seuls débats qui semblent passionner nos clercs sont l’écriture inclusive et la reconnaissance du troisième sexe. Les historiens de demain parleront sans doute d’une seconde querelle sur le sexe des anges : alors que la société française traverse l’une des pires crises existentielles de son histoire, la priorité est de savoir s’il faut écrire chers tous plutôt que cher.e.s tou.te.s. Le débat sur le harcèlement sexuel paraît lui aussi suspect tant il semble venir à point nommé pour banaliser et relativiser le choc des civilités sur la question des femmes. Les dénégateurs devraient remercier Harvey Weinsten : grâce à lui, il est possible d’oublier Cologne, Kamel Daoud, les mariages forcés ou le voile intégral. Heureusement, et de façon presque ironique, l’affaire Tariq Ramadan permet de ne pas perdre totalement de vue la question de l’islam.

Du 13 novembre 2015 au 13 novembre 2017, de la FI au FN en passant par les partis de gouvernement, PS, LREM, LR, comment les différents acteurs ont-ils pu, ou non, modifier leurs discours sur ces questions ?

Gilles-William Goldnadel : Encore une fois le point noir c'est les insoumis qui sont dans une obligation commerciale permanente. A l'intérieur des insoumis il y a des degrés divers de soumission linguistique. En dehors de cela, je crois que les partis dans les mots se sont largement affranchis de tout cela. Il y a peut-être au sein des Républicains, même si cela nécessite un bénéfice d'inventaire, mais du côté des amis de Monsieur Juppé les efforts et les progrès qu'on pourrait attendre de cerveaux bien structurés font encore défaut.

Je trouve qu'on peut dire les choses beaucoup mieux qu'avant sans être lapidé. Ce n'est pas pour autant que les choses se feront mais ce qui est sûr c'est que je peux beaucoup mieux dire les choses en 2017 qu'avant novembre 2015 et encore mieux qu'il y a 20 ans…

Vincent Tournier : L’islam et la laïcité sont devenus des points de clivage majeur dans la société française contemporaine. C’est une ligne de fracture qui traverse désormais toutes les composantes du pays. On a ainsi vu les féministes se diviser férocement, mais aussi les juifs ou les catholiques. L’islam est devenu un point tellement sensible qu’il divise les partis politiques. Les partis français ont réussi à survivre à la crise financière de 2007-2008, mais ils n’ont pas résisté à la vague d’attentats de 2015-2016 qui les fait voler en éclats, contribuant du même coup à la victoire d’Emmanuel Macron. Au PS, les oppositions entre Benoît Hamon et Manuel Valls se sont clairement jouées sur l’islam. Même chose à droite, où le clivage entre Alain Juppé d’un côté, Nicolas Sarkozy et François Fillon de l’autre s’est aussi fait sur la question de l’islam, laquelle occupe maintenant une place centrale dans la recomposition en cours. La gauche radicale n’échappe pas à cette fracturation, comme le montrent les tensions générées au sein de la France insoumise par l’affaire Obono. Même au Front national, la place de l’islam et des questions identitaires constitue une clef pour comprendre le départ de Florian Philippot. Quant à Emmanuel Macron, sa tentative de rassembler le centre-gauche et le centre-droite va se heurter à une difficulté que l’on voit arriver : pourra-t-il concilier Manuel Valls et Alain Juppé ? En vérité, l’islam provoque un mouvement de fond dans tout le pays qui n’a guère d’équivalent dans l’histoire. Cette situation devrait être un sujet d’inquiétude bien plus important qu’elle ne l’est actuellement car nul ne sait ce qui va en sortir.

En quoi le fort recul de l'OEI sur les territoires syrien et irakien ont-ils également pu priver le débat politique français d'un "faux nez" qui avait pu détourner l'attention vers un conflit extérieur alors que la menace provenait davantage du territoire français ? Comment cette réalité a-t-elle pu s'impose progressivement dans le débat ?

Gilles-William Goldnadel : Il était commode pour la classe politique un peu timorée de mettre tout sur le compte et le dos de l'islamisme extérieur, étranger pour faire l'économie de la critique sur l'islamisme intérieur. Cela ne fait aucun doute. Ca a sans doute été une commodité. Au final le problème n'est pas que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur des frontières nationales mais plutôt de tout mettre sur le dos du djihadisme. Or les jours difficiles qui vont venir vont nous montrer qu'il n'y a pas que l'Etat islamique. Peut-être pas que les djihadistes. Al Qaeda Al Nosra ou même les frères musulmans. C'est l'islam politique qui pose de rude problèmes à la France et à ses habitants. On ne peut pas exclure que là aussi les politiques et l'élite médiatique française vont être confronté à une réalité qu'ils n'ont pas été très pressé d'aborder et que l'Etat islamique leur permettait peut-être de pouvoir justement temporiser.

Vincent Tournier : Ce qui est sûr, c’est que, jusqu’à la proclamation du califat en 2014, la question de l’islamisme n’était pas vraiment prise au sérieux en France, alors même que le problème était déjà bien réel puisqu’on a eu les crimes de Mohamed Merah dès 2012. Donc, d’une certaine façon, la création de l’Etat islamique n’a fait que révéler une réalité terrifiante que l’on ne voulait pas voir, à savoir qu’il existe sur le territoire national un nombre important de personnes qui sont fascinées par ce projet théologico-totalitaire et disposées à le rejoindre les armes à la main. La tolérance qui prévalait alors pour d’islamisation en a pris un coup. On a même vu émerger un discours sur « l’ennemi intérieur », formule qui n’était plus utilisée depuis bien longtemps. Les frontières entre l’islam et l’islamisme se sont aussi brouillées car les revendications de certains mouvements musulmans en France sont apparues en résonance avec celles de l’Etat islamique. Que faut-il penser, par exemple, des musulmans qui condamnent la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles, dès lors que cette loi est également condamnée par l’Etat islamique ?

Si la création de l’Etat islamique a donc contribué à faire prendre conscience de l’ampleur du problème, sa disparition risque d’avoir l’effet inverse. Elle peut donner le sentiment que le pire est passé, que le problème est réglé. Or, l’islamisme a des causes bien trop profondes pour disparaître à brève échéance, que ce soit en France ou à l’extérieur. Même sur le plan logistique, les militants de l’Etat islamique ne vont pas perdre tout leur pouvoir de nuisance, comme Al-Qaida n’a nullement disparu après la guerre en Afghanistan. Certes, les islamistes auront moins de facilités pour planifier des attaques massives sur notre sol, ce dont il faut évidemment se féliciter, mais les soldats potentiels du califat sont toujours là, et il y a peu de chances pour qu’ils décident de devenir de bons petits Français, soucieux de trouver du travail et de s’intégrer. Que vont-ils faire ? S’engager dans des mouvements associatifs comme l’UOIF ? Faire un travail de sape dans les quartiers pour pourrir encore davantage la situation ? Faire de l’entrisme dans la société française pour être prêts, le jour venu, à passer à l’acte ?

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