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Barème d’indemnité prud'homales : pourquoi Nicole Belloubet a raison de rappeler aux juges l’importance du respect des lois votées
©LUDOVIC MARIN / AFP

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Face à la multiplication des jugements prud'homaux refusant d'appliquer le plafonnement des indemnités qui a été institué par les ordonnances Macron, Nicole Belloubet a adressé une circulaire aux procureurs généraux auprès des cours d'appel.

François Taquet

François Taquet

François Taquet est professeur en droit du travail, formateur auprès des avocats du barreau de Paris et membre du comité social du Conseil supérieur des experts-comptables. Il est également avocat à Cambrai et auteur de nombreux ouvrages sur le droit social.

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Atlantico : Alors que de plus en plus de jugements refusent d'appliquer les ordonnances Macron, et le plafonnement des indemnités prud’homales, la Garde des Sceaux Nicole Belloubet réplique en demandant l'appel au Parquet Général. S'agit-il d'une réaction compréhensible en ce que l'Etat doit faire appliquer la loi, ou au contraire d'une intrusion abusive du pouvoir exécutif dans le domaine judiciaire ?

François Taquet : Le plafonnement des dommages intérêts en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse a été prévu par une des ordonnances dites « Macron » du 22 septembre 2017. Ce système a été essentiellement mis en œuvre pour sécuriser les chefs d’entreprise en chiffrant le risque maximum pour l’employeur. Dès lors que certains conseils de prud’hommes estiment que ce barème n’est pas conforme à certains textes internationaux, il paraît cohérent que les Cours d’appel, puis la Cour de cassation donnent clairement leur point de vue afin de mettre fin à une incertitude…Tel est le sens de l’intervention de la Ministre de la Justice qui a demandé au Parquet Général de se porter partie intervenante afin de rappeler aux juges du siège comment la loi doit être appliquée. Certes la procédure est exceptionnelle s’agissant  de dispositions du droit du travail. Mais l’article 424 du Code de procédure civile prévoit bien que « le ministère public est partie jointe lorsqu'il intervient pour faire connaître son avis sur l'application de la loi dans une affaire dont il a communication ». Cela montre à quel point  le sujet est sensible et l’intervention du Parquet général donne du poids dans cette intervention !

Les "récalcitrants" invoquent l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’article 24 de la charte sociale européenne. Cette lecture de la loi est-elle valable ?

D’abord et à titre liminaire, il est pour le moins étrange que ce barème maximum prévu en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse fasse autant parler de lui alors les autres pays européens disposent d’un tel outil depuis bien longtemps.

Notons également que le Conseil constitutionnel (arrêt du 21 mars 2018) et le Conseil d’Etat (7 décembre 2017) ont validé le système.

Malgré cela plusieurs Conseils de prud’hommes (Troyes, Lyon, Agen, Amiens, Grenoble…) ont estimé que ce barème n’était pas conforme à l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et à l’article 24 de la Charte sociale européenne ! De quoi s’agit-il ? Pour faire simple, l’article 10 de la Convention de l’OIT, prévoit en cas de licenciement abusif « le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée  » ; quant à l’article 24 de la Charte, il renvoie également à une « indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » (on notera que les termes sont très vagues et ne mentionnent pas une réparation « intégrale »).

La référence à la Convention 158 ne semble pas devoir prospérer. En effet, si le barème prévu par la France est condamné, il en sera de même, par effet de domino, de tous les autres pays qui ont prévu dans leur législation des plafonnements de dommages intérêts pour rupture abusive (souvent beaucoup plus contraignants pour les salariés que le système français).

En revanche, le renvoi à la Charte sociale européenne est plus sérieux. En effet, par une décision du 8 septembre 2016 le Comité européen des droits sociaux a rendu une décision estimant que  la Finlande qui limite à 24 mois les indemnités susceptibles d’être allouées en cas de licenciement injustifié ne respectait pas les dispositions de l’article 24 susvisé….Et, bien évidemment, on pense à la France qui plafonne les indemnités à 20 mois…Toutefois,  les apparences sont trompeuses pour plusieurs raisons : d’abord, en Finlande, ce plafonnement est applicable dans toutes les hypothèses, même en cas de nullité de la rupture (ce qui n’est pas le cas dans le système français) ;  en outre, dans le système finnois, les indemnités allouées par le juge sont soumises à impôt et déduites les sommes que le salarié a touché depuis son licenciement…ce qui n’est pas non plus le cas en France. Les systèmes ne sont donc pas comparables.  Et les chances de succès de ces « récalcitrants » sont loin d’être évidentes !

Après un tel rappel à l'ordre lancé par Mme Belloubet, quelles peuvent être les réponses apportées par le Parquet Général ?

Il est à parier que beaucoup d’employeurs condamnés en première instance ont déjà exercé un recours à l’encontre des décisions qui leur sont défavorables ! En tout cas, s’ils ne l’ont fait, la Garde des Sceaux par cette circulaire du 26 février 2019 adressée à l’ensemble des procureurs généraux auprès des cours d’appel entend signifier la fin de la récréation et rappeler les juges à la stricte observation de la loi ! Car ce qui est clair, c’est que nul ne peut se contenter des flottements actuels !

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