Banalisation du Front national : un discours qui crée la confusion entre "nation" et "patriotisme"<!-- --> | Atlantico.fr
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"Nation" et "patriotisme" se confondent dans la bouche de Marine Le Pen, selon Cécile Alduy et Stéphane Wahnich.
"Nation" et "patriotisme" se confondent dans la bouche de Marine Le Pen, selon Cécile Alduy et Stéphane Wahnich.
©Reuters

Bonnes feuilles

Alors que Marine Le Pen s'envole dans les sondages, le décryptage sémantique de son discours éclaire le fond de son discours : entre distance et reprise des codes frontistes, la tête du Front National modernise son parti. Mais suffit-il de changer la forme pour changer le fond ? Extrait de "Marine Le Pen prise aux mots", de Cécile Alduy et Stéphane Wahnich aux Editions Seuil aux édition du Seuil (2/2).

Stéphane Wahnich

Stéphane Wahnich

Stéphane Wahnich est Chercheur à l'Université de Tel-Aviv, Laboratoire ADARR et ex Professeur associé des Universités de l'Université Paris Est Créteil (UPEC). 

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Cécile Alduy

Cécile Alduy

Cécile Alduy  est professeure de littérature française à Stanford University et auteur de Politique des "Amours" (Droz, 2007) sur l'émergence de l'identité nationale à la Renaissance, et avec Stéphane Wahnich, de Marine Le Pen prise aux mots (Seuil, 2015).

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Les mots "France", "Français", "nation", "peuple" sont parmi les plus fréquemment utilisés chez Marine Le Pen, à l’instar de son père. Ces mots ont un sens précis dans le corpus d’extrême droite, ils sont porteurs d’une vision de ce qu’est la communauté nationale, de ses frontières et de ses membres. Ils nous apprennent beaucoup sur la forme particulière de nationalisme que revendique Marine Le Pen.

Au-delà des fréquences moyennes globales d’utilisation, comparables chez le père et la fille, on note une évolution du rapport entre ces mots-clés : Marine Le Pen semble reléguer le mot "nation" au profit de "peuple" et "patrie", plus policés, moins connotés d’extrême droite. Le choix de tel mot plutôt que de tel autre, dont il est proche mais non synonyme, en dit beaucoup sur l’objectif du locuteur. En effet, la stratégie de Marine Le Pen n’est nullement de renoncer à la rhétorique nationaliste paternelle, mais plutôt de démocratiser en surface ce discours afin de banaliser les concepts fondamentaux du Front national. Ainsi le terme de "nation" est-il prononcé moins fréquemment par Marine Le Pen que par Jean-Marie Le Pen (2,5 ‰ de présence contre 3,9 ‰). Le mot provient du latin natio, lui-même dérivé de nasci, le fait de naître. Cette étymologie contient en germe une connotation naturaliste, l’idée que la naissance, donc l’ordre biologique, préside à l’identité des individus. Le mot évoque aussi par dérivation les termes à forte charge émotionnelle et polémique de "nationalité" et "nationaux", ce dernier étant nettement marqué du sceau idéologique du Front national première manière, alliance des "nationalistes" et des "nationaux". La notion de nation est aussi plus étroite que celle de "peuple", qui enregistre simplement le fait d’habiter un pays, ou que celle de "patrie" (et ses dérivés, " patriotisme" et "patriotes", qu’affectionnent père et fille dans leurs discours d’appel au rassemblement). De fait, Marine Le Pen préfère largement le mot " peuple" (8,5 ‰ contre 5,9 ‰ pour Jean-Marie Le Pen), moins connoté, plus vague aussi, et qui appartient au registre lexical tant de la gauche que de la droite.

Cette sélection minutieuse du vocabulaire est savamment construite : en évitant toute notion trop abrupte ou connotée et tout relent ambigu de naturalisme ou de racisme qui pourraient être rejetés par les Français et discréditer l’ensemble de son discours, Marine Le Pen développe l’idée d’un nationalisme global, en apparence inclusif et étendu à tous. En effet, à Marseille, elle précise son idée de préférence nationale : "Je demande que les prestations familiales soient réservées aux Français, quelle que soit leur religion ou leur absence de religion, quelles que soient leurs origines ethniques ou la couleur de leur peau, mais aux seuls Français, aux seuls qui ont la nationalité française !" En précisant : " quelle que soit leur religion ou leur absence de religion, quelles que soient leurs origines ethniques ou la couleur de leur peau", elle revendique un nationalisme sans vision raciale.

Plus qu’une "simple" réaction directe à la présence d’étrangers ou d’immigrés en France, comme ce fut le cas entre les deux guerres mondiales ou dans les discours de Jean-Marie Le Pen, le nationalisme de Marine Le Pen est avant tout une réponse idéologique globale aux effets de la mondialisation. En évitant tout racisme direct et toute allusion antisémite, elle fait évoluer l’idée de nation telle que la comprenait sa famille politique d’origine pour en faire une réponse aux difficultés que rencontrent les Français, s’appropriant au passage un nationalisme républicain "de gauche" comme celui de Jean Jaurès, cité à qui mieux mieux par Marine Le Pen et ses lieutenants.

Dans son discours du 1er mai 2013, elle positionne la lutte contre la mondialisation comme un enjeu central de son combat politique : "Alors oui, si vous voulez nous définir, dites que nous sommes en lutte contre la mondialisation sauvage ! Nous sommes en lutte contre tous les totalitarismes du XXIe siècle ! Le mondialisme et l’islamisme fondamentaliste en tête ! Et cela fait de nous, mes chers amis, des patriotes ! Oui, si l’on veut tenter de nous définir, nous sommes profondément patriotes !" Et face au mondialisme la seule réponse de Marine Le Pen est la patrie : "Parce que face à ces totalitarismes, face à ce grand désordre international, seule la patrie permet de jouer collectif." En réalité, les concepts de nation et de patriotisme se confondent dans sa bouche.

"Marine Le Pen prise aux mots", de Cécile Alduy et Stéphane Wahnich aux Editions Seuil

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