Avec une Marine Le Pen qui ne fait plus peur aux Français, combien de temps la droite pourra-t-elle faire l’économie d’une réflexion sur une alliance des droites ? <!-- --> | Atlantico.fr
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D’après un sondage Harris, Marine Le Pen serait en tête au 1er tour de l’élection présidentielle si elle avait lieu demain.
D’après un sondage Harris, Marine Le Pen serait en tête au 1er tour de l’élection présidentielle si elle avait lieu demain.
©FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Fulgurant

Avec un score affiché de 30 à 33%, Marine Le Pen caracole en tête d'une étude portant sur les intentions de vote au premier tour de la présidentielle 2027, réalisée pour Challenges par Toluna Harris Interactive.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Philippe Moreau-Chevrolet

Philippe Moreau-Chevrolet

Philippe Moreau-Chevrolet est communicant et co-fondateur de l'agence de conseils en communication MCBG Conseil.

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Atlantico : D’après un sondage Harris, Marine Le Pen serait en tête au 1er tour de l’élection présidentielle si elle avait lieu demain. Le RN ne fait plus peur aux Français ?

Philippe Moreau-Chevrolet :Marine le Pen a gagné en crédibilité au cours des derniers mois, ce qui lui manquait auparavant. Elle était jugée pas suffisamment compétente. Or ce problème est de plus en plus derrière elle. De plus, elle a pris le contrepied par rapport à La France insoumise. Le RN a surjoué le sérieux à l’Assemblée nationale, d’abord en évitant les coups d’éclat ou en portant des vêtements fonctionnels. En parallèle, il y a une montée en responsabilité et en compétences.

N’oublions pas que Marine Le Pen bénéficie aussi du travail très efficace fait par Jordan Bardella, qui est l’exemple même de la montée en compétences dont je parlais. Le RN a définitivement tourné la page des années Jean-Marie Le Pen.

C'est un parti qui séduit les Français ou c'est parce que les autres sont répulsifs ?

Christophe Boutin : Le sondage Toluna-Harris que vous évoquez est riche d’enseignements. Il place Marine Le Pen, en tête du premier tour d’une élection présidentielle si elle avait lieu demain, et ce largement devant tous les autres candidats, puisque elle ferait un minimum de huit points de plus qu’Édouard Philippe s’il était candidat d’Ensemble, la coalition présidentielle, l’ancien Premier ministre arrivant alors second, mais aussi le double des scores de Bruno Le Maire, second ex-aequo s’il est ce candidat d’Ensemble, et le double encore de celui qui serait le seul second dans toutes les autres hypothèses de candidats Ensemble étudiées dans le sondage (Gérald Darmanin, Gabriel Attal, Elisabeth Borne, Jean Castex, François Bayrou et Yaël Braun-Pivet), Jean-Luc Mélenchon. C’est ici un premier élément de réponse à votre question.

Notons aussi comme éléments importants de ce sondage, en dehors donc de la progression de presque dix points de Marine Le Pen par rapport à 2022 : le tassement de Jean-Luc Mélenchon, qui perdrait six points ; la progression de Fabien Roussel, qui doublerait au minimum son score ; la petite baisse d’Éric Zemmour, un point de moins ; la petite progression de Laurent Wauquiez par rapport à Valérie Pécresse, puisqu’il semble qu’il dépasserait toujours les 5 % ; enfin le score très correct que pourrait faire Bernard Cazeneuve, donné entre 5 et 10 %, sans commune, mesure donc avec les 1,8 % obtenus par Anne Hidalgo en 2022.

Progression d’hommes politiques ou de partis ? N’oublions pas que nous sommes dans une hypothèse d’élection présidentielle, et que c’est au moins autant la personnalité du candidat que la fiabilité du parti qu’il représente qui va séduire les Français. On retrouve en tout cas ici avec Marine Le Pen cette augmentation d’une dizaine de points déjà constatée dans d’autres sondages, et qui semble profiter autant à la candidate qu’à son parti. On pourrait se poser la même question pour les autres : est-ce Jean-Luc Mélenchon qui baisse dans les sondages, ou sont-ce les excès des représentants de son parti à l’Assemblée nationale qui le discréditent ? La réponse est sans doute plus claire pour Bernard Cazeneuve face à une Anne Hidalgo définitivement démonétisée en dehors d’une clique parisienne, mais la question se pose de savoir si la progression de l’ancien Premier ministre socialiste n’est pas due aussi aux tiraillements au sein de la NUPES comme dans ce PS que dirige Olivier Faure et qui est lié à cette dernière.

La « répulsion » que vous évoquez frappe naturellement plus les partis qui ont été au pouvoir et ont créé la situation actuelle de la France, de laquelle bien peu de nos concitoyens (20% ?) semblent satisfaits - soit le PS et LR, tous deux impactés par la majorité présidentielle, le PS en 2017, LR en 2022. Les oppositions, ne pouvant encourir ces reproches, apparaissent neuves, porteuses de promesses. Mais manifestement le RN fait la course en tête, et il faut donc se poser la question de l’adéquation de son programme avec les attentes ou les craintes des Français, et d’une progression qui ne serait plus « par défaut » mais bien « par conviction ». Il devient chaque jour de plus en plus difficile de parler d’électeurs égarés, victimes d’une délétère propagande populiste et démagogique, de simple vote de défiance ou vote de rejet, mais bien d’un vote d’adhésion, ce qui pose la question de la composition – et de la recomposition – de la droite aujourd’hui dans notre pays.

Philippe Moreau-Chevrolet : Les deux je dirais. Le RN monte car il finit par incarner la seule alternative possible étant donné que Renaissance a dévitalisé ou « tué » le PS et LR, l’un après l’autre. Aujourd’hui, ni la gauche ni la droite de gouvernement ne sont en mesure de représenter l’alternance. C’est l’évolution d’image du parti et le désert politique qui s’est installé en face qui font que le RN peut caracoler en tête. D’autant que ce n’est plus un vote de réaction.

La droite, dans son clivage avec Renaissance, peut y laisser des plumes et perdre d’autres éléments au profit du RN si la tendance perdure.

Combien de temps la droite pourra-t-elle faire l’économie d’une réflexion sur une alliance des droites pour les prochaines élections ?

Christophe Boutin : Pour répondre à votre question, piochons là, encore dans le sondage Toluna-Harris et, examinons un premier élément, celui de la stabilité de l’électorat des candidats de droite par rapport à 2022. Là encore, loin devant tout le monde, Marine Le Pen conserverait, selon les différentes hypothèses des candidats de la majorité présidentielle étudiées, entre 91 et 92 % de son électorat de 2022 - à comparer, avec le score du leader de l’opposition à gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui ne serait suivi que par 69 à 74 % de son électorat de 2022.

Toujours à droite, Éric Zemmour serait lui suivi par 65 à 72 % de son électorat de 2022, une partie rejoignant Marine Le Pen (entre 17 et 24 %), et une autre Laurent Wauquiez (entre (et 8 %).

Parlons maintenant de ce dernier : entre 30 et 53 % de l’électorat de Valérie Pécresse de 2022 voterait pour lui, mais quid des autres ? Il est très intéressant de suivre la ventilation de l’électorat Pécresse. Entre 5 et 39 % pourrait ainsi se porter sur le candidat Ensemble de la majorité présidentielle, 5 % s’il s’agissait de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, 39 % s’il s’agissait d’Édouard Philippe, suivi à 29 % par Bruno Le Maire et à 26 % par Gérald Darmanin. Mais le deuxième report des électeurs de Valerie Pécresse, plus constant puisqu’entre 15 et 19 %, se ferait en direction de Marine Le Pen. Et de manière surprenante peut-être, c’est le candidat socialiste, Bernard Cazeneuve, qui obtiendrait ensuite entre 5 et 13 % de ce vivier électoral, Éric Zemmour n’en recueillant qu’entre 3 et 6 %.

On le constate, l’électorat LR, celui qui a voté Valerie Pécresse en 2022 - et dont il est permis de penser qu’il était alors plus fidèle à une appartenance partisane que séduit par le charisme de la candidate – est, d’une part, volatile, et, d’autre part, si largement centriste que l’on peut se demander si, pour une part, il peut encore être qualifié de droite. La recomposition de la droite ne se ferait en fait qu’avec le quart de ces électeurs, d’ores et déjà prêts à voter pour Marine Le Pen ou Éric Zemmour à la prochaine élection présidentielle, auxquels pourraient s’ajouter une part de ceux qui voteraient Wauquiez, mais jamais ceux qui pensent à se porter sur Bernard Cazeneuve ne feront partie d’une telle alliance - et sans doute pas même ceux qui voteraient pour les anciens LR ralliés à la majorité présidentielle.

L’alliance à droite, pour quoi faire ? À l’heure actuelle, Éric Zemmour et Marine Le Pen représenteraient donc 40 % de l’électorat. Une alliance qui traduirait un tel score au premier tour d’une élection pourrait effectivement avoir un effet d’entraînement, créant une vague sur laquelle « surfer » pour gagner un second tour. Mais on peut aussi penser qu’il vaut mieux ratisser large en conservant une division au premier tour, pour rassembler ensuite au second le vivier de voix ainsi constitué. 

Il est douteux en tout cas que les élections européennes permettent de répondre à cette question : dans cette élection à la proportionnelle à un tour, chaque parti, Reconquête, le RN ou LR, aura sans doute à cœur de compter ses soutiens dans une élection réelle et non dans un sondage, la vraie question étant celle de leur collaboration ultérieure au Parlement européen. Et c’est peut-être là, en travaillant ensemble sur des thématiques visant à préserver la souveraineté nationale contre les empiètements de la Commission, que pourraient être posées, sinon les bases d’une union, au moins celles d’une alliance.

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