Autonomie ou indépendance du Tibet : comment expliquer la stratégie et les contradictions du Dalaï Lama ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Dalaï Lama au monastère de Diskit dans la vallée de Nubra, dans la région indienne du Ladakh, près de la frontière chinoise, le 12 juillet 2017.
Le Dalaï Lama au monastère de Diskit dans la vallée de Nubra, dans la région indienne du Ladakh, près de la frontière chinoise, le 12 juillet 2017.
©ARGENT SHARMA / AFP

Bonnes feuilles

Maxime Vivas publie « La face cachée du Dalaï-Lama » aux éditions Max Milo. Prix Nobel de la paix, le Dalaï-Lama incarne le martyre d'un Tibet soumis au joug chinois. Symbole de sagesse, il rassemble les foules partout dans le monde. Maxime Vivas ose s’attaquer au mythe : et si le Dalaï-Lama était un théocrate qui remplit d’or les coffres de ses palais tandis que les Tibétains ne seraient que des serfs auxquels on refuse toute éducation ? Extrait 2/2.

Maxime Vivas

Maxime Vivas

Maxime Vivas est journaliste, coadministrateur du site d'information alternative legrandsoir.info.

Il anime également une émission culturelle sur Radio Mon Païs et fut référent littéraire pour ATTAC-France.

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Au gré des circonstances, des lieux, des interlocuteurs et de ce qu’il croit être son intérêt du moment, le dalaï-lama va solliciter, tantôt une autonomie dans la Chine aimée ou une indépendance totale, hors de la Chine honnie. L’ambiguïté, les contradictions, les revirements sont légion. S’agit-il seulement d’une bien compréhensible évolution de sa pensée au fil des ans ou d’un double discours permanent ? Et finalement, que veut le dalaï-lama? Indépendance ? Autonomie ? Les réponses sont données ici par des extraits de ses discours et de ses propres écrits puisque, acceptons cette donnée, ceux de ses détracteurs sont suspects.

La différence entre un Corse attaché à un statut spécial de l’île et un Corse qui milite pour l’indépendance, c’est que le premier désignera l’Hexagone par « le Continent ». Le second dira « la France », soulignant par là qu’il s’agit d’un pays étranger. La méthode vaut en tous lieux et pour chacun.

Elle est particulièrement pertinente dans le cas qui nous occupe où le dalaï-lama partage virtuellement son pays en deux : d’un côté les Tibétains, de l’autre les 55 autres ethnies qui composent la Chine et qu’il désigne du nom de Chinois et, à l’occasion, de hordes chinoises.

Le chapitre IV de ses mémoires est intitulé «Notre voisine la Chine », ce qui indique clairement que la Chine est un pays étranger, le Tibet étant devenu une «nation totalement indépendante entre 1912 et 1950 ».

«Les voisins du Tibet sont nombreux : au nord et à l’est, la Chine et la Mongolie, au sud, l’Inde, la Birmanie, le Népal, le Bhoutan, et le Sikkim. Le Pakistan, l’Afghanistan, et l’URSS sont également proches. »

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On se demande ici pourquoi le dalaï-lama souhaiterait que le Tibet devienne une région autonome d’un de ces pays « étrangers », en l’occurrence la Chine.

Au demeurant, il ne s’engage guère plus avant dans l’inextricable écheveau des rapports erratiques du Tibet avec la Chine au fil des siècles. Ces rapports ne furent pas linéaires, parfois distendus, surtout quand une puissance européenne (l’Angleterre) faisait la loi avec son armée. Pour Alexandra David-Néel, «depuis des siècles, l’histoire du Tibet est intimement liée à celle de la Chine ».

Le dalaï-lama semble en convenir : « Je ne perdrais pas de vue que les Chinois prétendraient que le Tibet a toujours fait partie de la Chine [...] » avant de signaler : « en dépit de 38 années d’indépendance totale ».

Entre le premier dalaï-lama Gedun Drub décédé en 1474 et le quatorzième, Tenzin Gyatso, qui régna jusqu’en 1959, presque cinq siècles se sont écoulés pendant lesquels le Tibet a donc connu « 38 années d’indépendance totale ». Courte indépendance qui ne peut être dite totale que si l’on oublie la présence coloniale des Britanniques.

Pourtant, aux yeux du dalaï-lama, ces moins de quatre décennies de relative indépendance semblent peser plus lourd que cinq siècles de vie commune, laquelle, en perdurant, porterait atteinte à la spécificité raciale des Tibétains. En témoigne le «Plan de paix en cinq points » adressé par le dalaï-lama au comité congressiste des droits de l’homme des États-Unis, le 21 septembre 1987.

Le dalaï-lama s’y prononce pour une épuration raciale rigoureuse par l’expulsion pure et simple du «Grand Tibet » de toute population qui ne serait pas d’ethnie tibétaine. Il évalue le nombre d’intrus à plus de 6 millions et demi qui devraient déguerpir dès son retour. Ce « transfert » est pour lui « impératif ».

On remarquera aussi dans son plan la ferme revendication d’indépendance et la distinction qu’il fait entre les Tibétains, qui sont «différents », et les 55 autres ethnies chinoises qui sont censées former un tout homogène, même si elles ont, pour la plupart, une culture, des traditions, des langues bien à elles. Mais, si le dalaï-lama acceptait de prendre en compte ces spécificités-là, il devrait ouvertement en déduire et proclamer que le destin naturel de la Chine est d’éclater en une kyrielle de petits États.

Imaginons la partition de la France (nation construite de bric et de broc) par l’indépendance du Pays basque, de la Bretagne de la Provence, de la Corse, de la région de Nice et des départements et territoires d’outre-mer. Après tout, la Provence est devenue terre française en 1481, la Bretagne en 1532, la Corse en 1768, le comté de Nice en 1860. Et faut-il parler de nos possessions lointaines, si différentes de la métropole, comme la Nouvelle-Calédonie, archipel français situé à 17 000 kilomètres de l’Hexagone ?

L’idée d’éclatement étant gênante pour sa revendication personnelle, le dalaï-lama opte donc pour une description dichotomique de la Chine.

«Des conflits ouverts ont éclaté au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est ainsi que dans mon propre pays, le Tibet. »

«Le Tibet demeure encore aujourd’hui un État indépendant illégalement occupé. »

«Les Tibétains et les Chinois sont des peuples différents, chacun ayant son propre pays, sa propre histoire, sa propre culture, sa propre langue et son propre mode de vie. »

«C’est l’occupation illégale du Tibet par la Chine [...] »

« Il ne fait aucun doute que, lorsque les armées communistes de Pékin ont envahi le Tibet, celui-ci était en tout point un État indépendant [...] »

«En 1982, j’ai envoyé mes représentants dans la capitale chinoise [...] pour ouvrir un dialogue au sujet de l’avenir de mon pays et de mon peuple. »

« Je souhaite [...] un avenir empreint d’amitié et de coopération avec nos voisins, y compris le peuple chinois », etc.69

Le 10 décembre 1989, dans son discours de réception du prix Nobel de la paix, il informe l’honorable assemblée : «Comme vous le savez, le Tibet vit depuis quarante ans sous occupation étrangère. »

Discours anciens, dira-t-on, le dalaï-lama a évolué. Il est vrai, je l’ai dit, que son programme s’effiloche au fil des ans et des échecs, troué cependant çà et là par d’irrépressibles appels à l’indépendance qui jaillissent comme un cri du cœur incontrôlé. Car, sur le fond de sa revendication, ce n’est pas l’autonomie déjà existante du Tibet historique (la région autonome du Tibet) qu’il revendique, mais bien l’indépendance de ce qu’il appelle « le Grand Tibet », soit un territoire immense regroupant des régions où les Tibétains ont toujours été minoritaires.

Dans son discours «Bouddhisme et démocratie » (Washington D.C., avril 1993), fait de généralités sur la démocratie, le dalaï-lama avance : «Pour plusieurs raisons, j’ai décidé que je ne serais ni le chef ni ne jouerais de rôle au gouvernement quand le Tibet deviendra indépendant. » Pourtant, le 10 mars 2008 à Dharamsala, il prononce un discours où il prétend que la langue, les coutumes et les traditions du Tibet s’effacent peu à peu, et il se réinvestit dans le rôle de porte-parole des Tibétains : « [...] J’ai la responsabilité historique et morale de continuer à m’exprimer librement en leur nom. »

Les 22 et 23 juin 2022, le dalaï-lama, qui avait annoncé naguère son retrait des affaires politiques, participait à Washington D.C. (États-Unis) à «La 8e réunion du groupe de soutien au Tibet des parlementaires du monde entier ». Il y prononça un discours de 8 minutes et 36 secondes, d’une rare indigence, adorné un nombre incroyable de fois par les mots «amour (9 fois), compassion, cœur, affection, paix, esprit...», et d’où il ressortait qu’il vaut mieux être bons, honnêtes, compatissants, pacifistes, etc.

On y entendit sans surprise une pique contre l’instruction occidentale, « axée sur des objectifs matérialistes... qui ne s’intéresse pas au fonctionnement de l’esprit et des émotions ni à la manière de cultiver la paix de l’esprit ». Là est prouvé que cet homme n’a jamais lu un seul des philosophes qui ont notablement façonné la pensée humaine depuis l’antiquité grecque, esprits vénérés en Occident et enseignés aux écoliers et étudiants.

Extrait du livre de Maxime Vivas, « La face cachée du Dalaï-Lama », publié aux éditions Max Milo

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