Attentat de Sarajevo, 100 ans après : quand l'Europe se portait aussi bien avec les Habsbourg<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Attentat de Sarajevo, 100 ans après : quand l'Europe se portait aussi bien avec les Habsbourg
©

Il y a 100 ans

Le samedi 28 juin est le centième anniversaire de l'attentat de Sarajevo, où l'assassinat du prince héritier déclenchera la Première guerre mondiale à l'issue de laquelle la monarchie sera morcelée. Pour autant, la politique de compromis menée a permis une forte cohésion entre les onze peuples qui la constituait.

Jean-Paul Bled

Jean-Paul Bled

Jean-Paul Bled est historien français, germaniste et spécialiste de l'Autriche du XIXe siècle. Il est aujourd'hui professeur à l'université de Paris-IV Sorbonne et directeur de la collection Combat pour la liberté de l'esprit, aux éditions François-Xavier de Guibert.

 

Voir la bio »

Atlantico : Le samedi 28 juin 2014 est l’anniversaire de l’attentat de Sarajevo qui a été l’élément déclencheur de la première guerre mondiale. En quoi, malgré les différences évidentes qu’il peut y avoir, les deux ensembles que sont l’empire austro-hongrois et l’Union européenne sont-ils comparables ?

Jean-Paul Bled : Il est toujours délicat de projeter une réalité du passé sur le présent. Mais ceci étant, il est vrai que l’empire austro-hongrois était une monarchie multinationale, un ensemble multiculturelle, multi-religieux et où il y avait plusieurs langues. A l’aube de la Première guerre mondiale, la monarchie était constituée de onze peuples. Il y avait bien sûr les Austro-allemands, les Hongrois d’Autriche, et derrière ces deux groupes principaux, il y avait aussi les Tchèques, les Polonais ; chez les Slaves du sud on peut citer les Slovènes, les Croates et les Serbes ; et chez les latins il y avait les Roumains, les Italiens du sud, les Slovaques, et les Ruthènes, aujourd’hui appelés Ukrainiens. Et puis, même s’il ne s’agissait pas d’une nationalité reconnue comme telle, il y avait les juifs, qui ont une forte perception de leur identité, avec des vraies différences culturelles, mais qui sont parfaitement intégrés dans la société hongroises, et considérés comme de bons patriotes.

Malgré tout, une très forte cohésion existait entre ces différents groupes nationaux, car les particules constituaient un ensemble plus grand incarné au travers d’une monarchie globale.

Comment le pouvoir politique a-t-il géré les multiples aspirations, sans doute opposées, notamment avec une population tchèque réputée pour son attachement à sa culture, de ces différents peuples ?

Comme dans tous les ensembles où la politique fonctionne et où les débats sont ouverts, il y a bien sûr eu des conflits. Mais au-delà de ceux-ci, les échanges ont su rester constructifs grâce à une tolérance et un savoir-vivre en commun. Même dans le deuxième grand ensemble qu’était la Hongrie, et où les Tchèques avaient effectivement un fort sentiment national. Pour autant, tous les peuples ne sont pas bridés dans la monarchie, le conseil municipal de Prague représente largement la population tchèque et ils peuvent donc développer leur culture sans la moindre contrainte. On le voit également dans le domaine de l’architecture et des arts en général.

L’Autriche, multinationale et multiculturelle vit politiquement dans un compromis permanent. Les bons gouvernements sont d’ailleurs précisément ceux qui s’appliquent à bien doser ces concessions. Les Tchèques n’ont eu aucun mal à obtenir au débuts des années 1880 la création d’une université où l’enseignement serait dans leur langue, il n’y avait pas de barrière, ou en tout cas de volonté de diminuer les caractéristiques culturelles. En 1905, des Etats comme la Moravie et la Bucovine, deux peuples composants une Autriche de type fédérale se sont mis d’accord sur un principe d’autonomie nationale. Il s’agissait donc en quelque sorte d’une séparation, mais qui en même temps, réduisait les zones de friction et illustrait le respect d’une volonté inscrite au sein d’une structure plus grande.

Par ailleurs, François Joseph, auquel on fait souvent le reproche d’avoir gardé une posture statique, avait tout de même compris que l’époque n’était plus la même, et c’est pourquoi il utilisa toute son autorité et son prestige pour faire adopter le suffrage universel en 1906. Il misait dessus pour amortir les conflits nationaux, pour que les problèmes sociaux et économiques prennent le dessus.

A quel point l’Union européenne pourrait-elle s’inspirer de la monarchie austro-hongroise dans sa gestion des intérêts divers ?

L’Union européenne peut s’inspirer de la monarchie austro-hongroise autant que cette dernière a animé de fervents défenseurs de l’idée de l’Europe, comme l’archiduc Otto (1922-2007), qui prenait typiquement la monarchie austro-hongroise comme modèle. Un autre personnage auquel on peut penser, c’est le comte Richard Coudenhove Kalergi (1894-1972), fondateur de l’Union pan-européenne, et également issu de l’aristocratie, qui voulait s’inspirer de sa capacité à créer une nation supérieure aux peuples.

Que dans les lignes générales on puisse s’en inspirer, oui, parce que cette grande idée, qu’on puisse concilier des peuples et des cultures différentes, c’est une dynamique que l’on peine à instaurer, dans un rejet du multiculturalisme qui me paraît très dangereux car il conduit obligatoirement à un repli sur soi qui n’existait pas au temps de cette monarchie. Le patriotisme dynastique en était également le ciment.

La différence conjoncturelle entre ces deux périodes est sans doute que cet ensemble était en forte expansion économique, que jusqu’en 1914, les clignotants étaient au vert.

Quel est le bilan aujourd’hui accepté de la monarchie austro-hongroise ?

On prête à François Ferdinand un programme politique qui était en contradiction avec celle de François Joseph. Ce dernier avait inspiré le compromis de 1867, qui avait partagé la monarchie en deux entités souveraines, l’Autriche, et la Hongrie, qui acceptent de mettre en commun les compétences régaliennes, comme la politique étrangère, la défense, une partie des finances…  François Ferdinand, lui, a considéré que trop de concession avait été faites aux Hongrois. Ce qu’il redoutait, c’était que l’union personnelle entre lui et la Hongrie ne finissent par être le seul lien qui existait avec la Hongrie.

Je vois deux personnes qui incarnent cette monarchie dans les esprits, Marie Thérèse, la mère de l’Europe centrale, et François Joseph, qui a eu un règne de 68 ans, et qui est considéré comme une sorte de patriarche. S’est développé autour de lui un patriotisme dynastique qui transcendait les divisions nationales. La meilleure preuve est que l’Autriche-Hongrie ait pu combattre pendant toute la première guerre mondiale alors qu’on disait d’elle qu’elle ne passerait pas les premiers chocs. Cela a été rendu possible parce qu’il y avait ce patriotisme dynastique dans lequel se reconnaissait les différents peuples de la monarchie, quelques soit les peuples, et donc les griefs qu’ils pouvaient avoir.

L’Autriche est aujourd’hui une république, et elle ne fait pas partie des hypothèses des Autrichiens. Mais la mémoire autrichienne incorpore cette monarchie. Il suffit d’ailleurs de se promener dans le centre de Vienne pour voir à quel point elle est omniprésente, la mémoire des autrichiens est très fortement teintée de cette monarchie.

L'évocation de l'empire des Habsbourg suscite aujourd'hui de la nostalgie dans un certain nombre de régions anciennement austro-hongroises, comme par exemple dans l'ouest de l'Ukraine et à Arad en Roumanie, où certains commerçants affichent des portraites de François-Joseph. Quelles caractéristiques de la monarchie sont-ils célébrés ?

Le XXème siècle a ensuite vu passer la Seconde guerre mondiale, ainsi que le communisme, dont on aurait pu croire qu’ils recouvriraient cette longue période. En réalité lorsque le communisme s’est effondré, on a constaté une réévaluation de l’ancienne monarchie dans ces pays. En République Tchèque, soit le pays le plus crispé envers l’ancienne monarchie, où dans les années trente, alors que l’Autriche songeait à une restauration de la monarchie, Edvard Beneš a dit « Plutôt Hitler que les Habsbourg ! », ce qui n’est sans doute pas ce qu’il a dit de mieux, car quand Hitler est arrivé, cela s’est mal terminé pour lui comme pour le peuple tchèque. Aujourd’hui, on voit que chez les historiens tchèques, on ne retrouve plus du tout cette animosité qu’on leur connaissait avant la chute du bloc soviétique. Donc dans les campagnes, il n’est pas du tout impensable de retrouver des portraits de François Joseph, symbole d’une puissance passée.

Une petite anecdote : l’écrivain tchèque Milan Kundera et François Fejtő se sont retrouvés un jour chez ce dernier, et en regardant le portrait de François Joseph il lui a dit "toi aussi !".

Après un siècle mouvementé pour l'ancien empire des Habsbourg d'Europe centrale (destruction de la mixité à cause de l'antisémitisme et des discriminations raciales), meurtre des princes héritiers habsbourg, morcellement des territoires de l'Empire), on voit aujourd'hui l'émergence d'un sentiment de nostalgie dans les pays de l'est comme l'Ukraine.

En 1918, il était évident que la monarchie allait disparaître. On a cru pouvoir instaurer après la chute du régime des états nations. En réalité, cela n’a pas été le cas, aujourd’hui encore le morcellement de l’empire a laissé place à une multitude d’Autriche miniatures, composées encore de plusieurs peuples. En Slovaquie, en Pologne, en Roumanie. Evidemment les problèmes qui sont survenus après sont des problèmes que les démagogues et les populismes en tous genres ont pu exploiter.

Propos recueillis par Alexis Franco

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !