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Attaque terroriste à la prison d’Alençon : une sérieuse alerte pour notre système carcéral alors que doivent rentrer les djihadistes
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Sécurité des prisons

Malgré le caractère "ultra-sécurisé" de la prison d'Alençon - Condé-sur-Sarthe, un détenu radicalisé, purgeant une peine de 30 ans de réclusion criminelle pour arrestation, enlèvement, séquestration suivie de mort et vol avec arme, a agressé deux surveillants.

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : Comment expliquer un tel événement dans une prison pourtant "ultra-sécurisée" ? 

Guillaume Jeanson : Il est urgent de se rendre à l’évidence : le niveau de sécurité de nos prisons n’empêche pas la survenance de tels évènements. Tout le monde garde en mémoire le fiasco d’Osny, qui devait lancer les fameuses « unités dédiées » et qui en a sonné le glas à l’automne 2016 après la tentative d’assassinat par un radicalisé de deux surveillants. Tout le monde garde aussi en mémoire, la tentative d’assassinat de trois surveillants tout aussi effrayante survenue l’année dernière dans une autre prison moderne dite « à haute sécurité » : Vendin-le-Vieil. Le terroriste islamiste était alors Christian Ganczarski, cet ancien lieutenant de Ben Laden, arrêté en 2003 et condamné en 2009 à 18 ans de réclusion criminelle. Libérable, il était menacé d’extradition vers les Etats-Unis et, soumis au régime des détenus particulièrement signalés, il bénéficiait d’un traitement spécial. Cet attentat avait suscité l’émoi légitime des personnels de l’administration pénitentiaire et déclenché une crise majeure. Crise dont les répercussions se faisaient encore sentir jusqu’à ces jours-ci avec la multiplication, ces dernières semaines, de journées de mobilisations dans les prisons. Une mobilisation qui devrait hélas, avec ce nouvel attentat, prendre encore davantage d’ampleur.

Faut-il s’en étonner ? Déjà l’année dernière, les syndicalistes alertaient quant au fait qu’« aujourd’hui on agresse pour tuer », que« maintenant les détenus ont une pratique, ils visent la carotide. ». Ils réclamaient aussi des formations : « certains surveillants n’ont pas eu d’entraînement aux tirs depuis des années et (n’ont) aucune connaissance du milieu terroriste ». Ils soulignaient aussi les insuffisances des « quartiers d’évaluation de la radicalisation » ouverts pour remplacer les « unités dédiés ». Un dispositif ne concernant que quelques centaines de détenus alors que, comme l’estimait l’un des porte-voix des mouvements :« 80% des terroristes circulent dans des conditions de détention classiques (…) la diaspora de ces prisonniers problématiques fragilise toutes les prisons (…) Car ils peuvent continuer à faire du prosélytisme et du recrutement. Voire organiser des attentats. Un danger pour les surveillants, mais plus largement pour toute la société. »

Il semble que ce danger se soit une nouvelle fois réalisé. Bien sûr, certains se précipiteront pour préciser que « le risque zéro n’existe pas », mais devant le défi que représente, pour l’administration pénitentiaire, la détention des profils radicalisés, terroristes ou non, l’attentisme ne saurait raisonnablement être de mise. Rappelons quand même qu’au 8 février, selon les chiffres de l'administration pénitentiaire, on compterait 500 détenus incarcérés pour des faits de terrorisme. Parmi ces 500, on compte 152 "revenants" djihadistes (dont 20 femmes) passés par des zones de guerre. En plus de ceux-ci, environ 1.100 détenus de droit commun sont jugés susceptibles d'être radicalisés, ce qui représenterait un total de 1.600 détenus incarcérés considérés comme radicalisés.

Alors que cette prison a été ouverte en 2013, spécifiquement pour accueillir des détenus radicalisés, tout en se trouvant dans une situation de surcapacité (environ 100 détenus pour 200 places) et qualifiée de "château fort du XXI siècle" par son directeur, comment expliquer qu'un tel outil soit le témoin d'un tel acte ? 

Vous avez raison, ici non plus, la fameuse surpopulation carcérale n’est pas en cause. Lors de l’attentat de Christian Ganczarski, les médias s’étonnaient que la prison de Vendin-le-Vieil ne comptait alors que près de quatre-vingt-dix détenus alors qu’elle pouvait en accueillir 120. Les derniers chiffres disponibles de l’administration pénitentiaire nous révèlent, une nouvelle fois, que la prison d'Alençon - Condé-sur-Sarthe était très loin d’être engorgée elle aussi. Au 1er février dernier, on y comptait, dans le quartier maison centrale, 110 détenus pour une capacité opérationnelle de 190 places. Soit une densité carcérale de 56,4% seulement.

Le problème tient en réalité au fait que la France s’est progressivement désarmée alors même qu’est survenue ces dernières années une aggravation sensible des problèmes posés par les détenus dangereux. Comme l’expliquait récemment au journal Le Figaro le directeur de l’administration pénitentiaire : « Nous faisons face à une augmentation tendancielle des détenus violents et dangereux ». Malgré sa réputation sécurisée, Condé-sur-Sarthe a quand même été le théâtre d’agressions, parfois graves, et certaines découvertes réalisées par les agents ont pu y être inquiétantes. Ainsi par exemple de celle, en août 2017, d’une « vingtaine de pics artisanaux, un téléphone portable, des produits stupéfiants, du matériel informatique... » dissimulés dans une des salles communes.

Parallèlement, la radicalisation s’est faite plus prégnante jusqu’à devenir directement menaçante pour les personnels pénitentiaires appelés expressément, ces dernières années, à être pris pour cibles par les terroristes.

Aujourd’hui, les mesures de sécurité particulières s’articulent principalement autour de la notion de « Détenus Particulièrement Signalés ». Les détenus ainsi identifiés sont inscrits sur un répertoire et leur régime de détention est censé être adapté pour tenir compte de leur dangerosité. Mais ce régime a montré ses limites. La baisse tendancielle du nombre de détenus inscrits au répertoire DPS témoigne par ailleurs du caractère peu satisfaisant de cet instrument pour l’administration. Alors qu’étaient recensés 347 DPS au 1er janvier 2012, au 1er août 2018 on ne recensait plus que 273 DPS, dont 55 AGVD (auteurs de grandes violences en détention). Le nombre de DPS diminue, alors que la violence en détention ne diminue absolument pas et qu’il est certain que le nombre de détenus particulièrement dangereux augmente, ne serait- ce qu’à cause de la menace terroriste. Il est donc permis de s’interroger sur le point de savoir si le répertoire DPS ne serait donc pas en réalité un instrument un peu dépassé aujourd’hui. En tout cas, il n’est certainement pas suffisant et c’est ce que ce nouveau drame vient notamment nous rappeler. Il faut donc impérativement prendre la mesure de la menace et de la détermination de certains profils détenus aujourd’hui en France. Surtout à l’heure où se profile le rapatriement, si décrié par une écrasante majorité de la population, des djihadistes français qui risque fort encore de bousculer l’équilibre déjà fragile des prisons françaises.

Dans quelle mesure le système carcéral français doit-il s'adapter ? Quelles sont les pistes à privilégier ? 

Dans son Rapport pour renforcer l’efficacité des peines remis au Président de la République en 2011, le député Eric Ciotti soulignait déjà que « Le parc carcéral français est marqué par le caractère monolithique de ses structures (...) les mesures de sécurité appliquées aux personnes détenues, quel que soit leur profil ou la nature et le quantum de la peine à subir, étant approximativement identiques ».

Ce besoin est effectivement reconnu par l’actuelle Garde des Sceaux, puisqu’il est affirmé, dans le programme immobilier pénitentiaire qui a été présenté au Parlement à la fin de l’année dernière que « Le programme immobilier pénitentiaire à venir doit permettre de diversifier les établissements pour mieux adapter les régimes de détention à la situation de chaque détenu selon sa condamnation, son profil, son parcours. »

Il est à craindre toutefois que cette réflexion sur la diversification du parc pénitentiaire n’ait pas été poussée jusqu’au bout. L’accent est en effet mis, d’une part, sur les structures légères et celles destinées à préparer la sortie des condamnés et, d’autre part, sur quelques établissements à haut niveau de sécurité, toutes choses absolument nécessaires. Mais aujourd’hui, les établissements à haut niveau de sécurité, tels qu’ils fonctionnent répondent essentiellement à une préoccupation : éviter les évasions des détenus les plus dangereux. Or, on le voit encore avec cet attentat, il existe bien d’autres problématiques que l’évasion possible de ces détenus les plus dangereux. Ceux qui ont un peu de mémoire se souviennent qu’en 1981, la nouvelle majorité arrivée au pouvoir a supprimé ce que l’on appelait les Quartiers de Sécurité Renforcée (QSR dits aussi couramment « Quartiers de Haute Sécurité »). Mais, comme le souligne un manuel de droit pénitentiaire faisant référence, cette suppression s’est faite « sans réelle réflexion inhérente à la gestion des détenus dangereux».

En plus de protéger les autres détenus, le confinement des détenus violents et/ou dangereux dans des unités spécialement dédiées à cet effet permet aussi d’alléger les règles de sécurité et la discipline carcérale pour le reste de la population pénale qui ne présente pas les mêmes risques, et ainsi d’œuvrer plus facilement à sa réinsertion.

Les unités pénitentiaires spécialisées semblent d’ailleurs exister dans de nombreux pays démocratiques, car elles répondent à des besoins objectifs, incontestables, même si en général les pouvoirs publics préfèrent ne pas trop communiquer sur ce sujet. Aux Etats-Unis bien sûr, où les établissements pénitentiaires dits « supermax » se sont multipliés depuis les années 1980 face à l’accroissement dramatique de la criminalité ; mais aussi par exemple en Allemagne (comme la prison de Stammheim, où ont été incarcérés des membres de la Fraction Armée Rouge), en Belgique (comme le quartier de haute sécurité de la prison de Bruges, dans lequel a été incarcéré Salah Abdeslam après son arrestation), en Grande-Bretagne (comme la prison de Belmarsh, au sud-est de Londres, où sont détenus plusieurs terroristes islamistes), au Danemark (prison d’Etat du Jutland- est), en Italie (comme la prison d’Asinara, en Sardaigne), etc. Ces unités peuvent être des établissements spécifiques, ou bien simplement des quartiers au sein de complexes pénitentiaires plus vastes. Le point essentiel est que les détenus qui s’y trouvent sont strictement isolés du reste de la population carcérale et gardés dans des conditions qui garantissent leur innocuité pour le personnel pénitentiaire, et pour la population générale.

Ainsi l’Italie, qui a été très gravement touchée par le terrorisme durant les « années de plomb » et qui a dû lutter pied à pied contre les agissements de la mafia sicilienne (lacélèbre Cosa Nostra), a-t-elle développé dans les années 1970 une législation spéciale, dite « régime 41bis ». L’article 41bis de la loi pénitentiaire italienne, dont j’ai déjà eu maintes fois l’occasion de parler, prévoit la possibilité de suspendre les règles normales de traitement des détenus dès lors que celles-ci se trouvent en opposition avec les exigences d’ordre et de sécurité. Les détenus soumis au régime 41bis doivent êtreconfinés à l’intérieur d’établissements, ou de quartiers, qui leur sont consacrés exclusivement, sans possibilité d’être en contact avec le reste des détenus. Les entretiens sont limités, dans des locaux aménagés de manière à empêcher tout passage d’objets. Ils ne peuvent avoir lieu qu’avec les membres de la famille, le concubin officiel ou l’avocat. Les possibilités d’acquérir ou de recevoir des sommes d’argent ou des objets sont très limitées et la surveillance est confiée à une brigade particulière, cagoulée, à rotation constante et spécialement formée. Ces détenus ne peuvent enfin bénéficier de mesures de réduction ou d’aménagement de peine, etc. Ces mesures visent tout particulièrement les détenus condamnés pour terrorisme ou participation à la criminalité organisée. Elles ont une durée de quatre ans et peuvent être prorogées pour des périodes de deux ans successives si nécessaire. Saisie à plusieurs reprises à ce sujet, la CEDH a toujours reconnu la compatibilité de ce régime carcéral spécial avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme. La France qui doit s ‘adapter à ces nouvelles menaces pourrait donc très bien, entre autre chose, adopter une législation s’en inspirant.

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