Attaque islamiste de Romans-sur-Isère : la pandémie n'arrêtera pas les attentats... bien au contraire<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Terrorisme
Attaque islamiste de Romans-sur-Isère : la pandémie n'arrêtera pas les attentats... bien au contraire
©JEFF PACHOUD / AFP

Opportunisme

L'Etat islamique, dans sa propagande en ligne, incite ses combattants à multiplier les attaques pendant que les gouvernements et armées sont occupées à gérer l'épidémie de Covid-19.

Claude Moniquet

Claude Moniquet

Claude Moniquet, né en 1958, a débuté sa carrière dans le journalisme (L’Express, Le Quotidien de Paris), avant d’être recruté par la Dgse pour devenir "agent de terrain" clandestin. Il exerce ainsi sous cette couverture derrière le Rideau de fer à la fin de l’ère soviétique, dans la Russie des années Eltsine, dans la Yougoslavie en guerre, au Moyen-Orient ou encore en Afrique du Nord. En 2002, il cofonde une société privée de renseignement et de sûreté : l’European Strategic Intelligence and Security Center. De 2001 à 2004, il a été consultant spécial de CNN pour le renseignement et le terrorisme, et est aujourd’hui consultant d’iTélé et RTL. Il est l’auteur, notamment, de Néo-djihadistes : Ils sont parmi nous (Jourdan, 2013) et Djihad : d’Al-Qaïda à l’État islamique (La Boîte à Pandore, 2015), de Daech, la Main du Diable(Archipel, 2016) et, avec Genovefa Etienne, des Services Secrets pour les Nuls (First, 2016). Il est également scénariste de bandes dessinées : Deux Hommes en Guerre (Lombard, 2017 et 2018). Il réside à Bruxelles.

Voir la bio »

Atlantico : Un homme a tué deux personnes et en a blessé quatre autres lors d'une attaque au couteau perpétrée ce samedi matin dans le centre de Romans-sur-Isère. Le parquet national antiterroriste a ouvert une enquête. L'idée d'une attaque au couteau peut sembler étonnante, en cette période de confinement. Mais c'est une stratégie prônée récemment par l'Etat islamique dans sa propagande. Pourquoi cette période de crise est-elle propice à des attentats ?

Claude Moniquet : D’abord, il faut se souvenir que, d’une certaine façon, les djihadistes, qu’ils soient de l’Etat Islamique, d’al-Qaïda ou d’une autre mouvance, ne vivent pas dans le même « espace-temps » que nous. Ce qui nous semble logique et important ne l’est donc pas toujours pour eux. Je prendrai un exemples : après le 11 septembre 2001, pendant des années, nous avons spéculé sur la possibilité d’attaques-anniversaires à la même date. Et il n’y en a jamais eu. Simplement parce que cette idée de date anniversaire ne leur parlait pas. On perçoit très bien cette différence d’approche dans la dialectique de l’EI qui fait référence, sans cesse, aux « Croisés » ou à des batailles menées par le prophète et ses compagnons au début de l’expansion de l’islam. C’est un peu comme si nous, en France, nous rappelions Crécy ou Azincourt quand nous commentons l’attitude britannique vis-à-vis de l’Union européenne. Ces gens sont relativement imperméables à la « dictature de l’actualité »  et réfléchissent en termes d’opportunités. Or il est incontestable que, d’une certaine façon, la période actuelle est intéressante pour eux. D’abord parce que nos forces de sécurité sont totalement mobilisées dans le soutien aux politiques de confinement et ensuite parce qu’ils estiment que, le moral des Européens étant très bas, un coup frappé par ci par là peut achever de le détruire et saper la cohésion de nos sociétés. L’EI soulignait d’ailleurs, textuellement, ces deux points dans le numéro d’al-Naba (son principal hebdomadaire online), diffusé le 19 mars, l’Etat Islamique y expliquait, dans un éditorial que « la pire chose dans cette crise, pour « l’Ouest » était de souffrir de « nouvelles attaques à Paris, Londres, Bruxelles et ailleurs ». On ne peut être plus clair.

L'attaque de Romans-sur-Isère n'a pas encore été revendiquée, mais on peut noter que les attaques de l'EI ne baissent dans aucune partie du monde. L'organisation est-elle totalement insensible à la crise, au niveau opérationnel ?

Nous verrons si l’EI revendique plus tard, ce qui est possible. Mais de manière générale quand ils revendiquent, c’est qu’il y a un lien, même ténu, entre l’auteur des faits et l’organisation, par exemple une prestation de serment avérée (en général sur vidéo) émise par l’auteur. Ou encore une lettre ou une revendication où il dit avoir agi pour marquer son adhésion aux thèses de l’EI. Tout cela existe peut-être mais l’enquête, qui ne fait que démarrer, ne l’a pas encore révélé. Il est tout à fait possible que nous soyons en face de ce que j’appelle un « djihadiste non-aligné », à savoir un homme motivé par l’idéologie djihadiste ou ayant agi sous l’influence de sa propagande, mais n’appartenant pas formellement à une organisation. Maintenant  pour répondre clairement à votre question, l’EI a diffusé, à plusieurs reprises des consignes très précises sur la manière de se protéger contre la contamination, mais non, ses activités opérationnelles n’ont pas été affectées. Au contraire, elle a multiplié ses attaques, ces dernières semaines, partout dans le monde, et surtout au Sahel et en Afrique de l’ouest ou centrale ou en Afghanistan. L’EI entend bien profiter de la désorganisation induite par la pandémie et peut nourrir, de surcroît, l’espoir que celle-ci va faire chavirer les gouvernements fragiles de certaines régions. Une analyse qui est d’ailleurs partagée par le Quai d’Orsay. Ce risque est d’autant plus grand qu’on imagine mal, dans les circonstances actuelles, la France ou un autre pays monter une opération de grande envergure pour soutenir les régimes menacés. Ce désordre lui serait, évidemment, très favorable.

Il a été rapporté que l'Etat islamique avait demandé à ses combattants d'éviter les zones touchées par le coronavirus. Est-ce vraiment le cas ?

Ce point manque de clarté. Il y a bien, dans le numéro 225 d’al-Naba, une consigne qui semble aller dans ce sens, mais en même temps, les appels à l’action ont été multipliés, on peut donc parler d’injonction contradictoires. Par ailleurs n’oublions pas que les djihadistes engagent, le plus souvent, leur vie quand ils passent à l’action. Rappelez-vous de ce leitmotiv : « Nous aimons la mort comme vous aimez la vie ». Il faut le prendre au pied de la lettre : le risque de la mort n’a jamais dissuadé le passage à l’acte. L’EI ne souhaite pas être affaiblie par la pandémie mais s’il faut affronter celle-ci pour frapper, le problème disparait puisque, de toute façon, le djihad est un sacrifice personnel « sur le chemin d’Allah ».  Donc, soyons lucides : la pandémie n’arrêtera par le djihad. Bien au contraire.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !