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La présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, s'adresse à la presse près du commissariat de Rambouillet, le 23 avril 2021, après la mort d'une fonctionnaire de police lors d'une attaque à l'arme blanche par un Tunisien radicalisé.
La présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, s'adresse à la presse près du commissariat de Rambouillet, le 23 avril 2021, après la mort d'une fonctionnaire de police lors d'une attaque à l'arme blanche par un Tunisien radicalisé.
©BERTRAND GUAY / AFP

Immigration et terrorisme

Pour la première fois, une représentante de premier plan de la droite modérée en la personne de Valérie Pécresse a assumé de ne plus nier le lien entre immigration et terrorisme. Alors que les fractures de la société française ne cessent de produire leur dose de chaos quotidien, s’agit-il d’une rupture dans l’histoire du traitement politique de l’immigration en France ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Avant les années 1990 les partis de droite dite conventionnelle (RPR) tenaient un discours associant immigration massive et insécurité puis s’en sont détachés, laissant cette seule voix au Front National. Aujourd’hui, avec les récentes déclarations de Valérie Pécresse associant terrorisme et immigration, et la multiplication de ces discours au sein de la droite modérée est-ce le signe d’un retour de cette droite à la ligne politique des années 1980 ?

Christophe Boutin : Il faudrait sans doute remonter plus haut que les années 1990 pour retrouver une droite qui lie immigration et insécurité. En effet, la droite française a été totalement incapacitée par la manœuvre de François Mitterrand dans les années 1980, consistant à donner une tribune au Front National d’alors, déjà pleinement critique de l’immigration, tout faisant monter en puissance des lobbies du type de SOS-Racisme qui dénonçaient eux comme racistes les commentaires critiques, ou même la seule présentation d’éléments statiques concernant le phénomène migratoire. Cette censure, garantie par des textes répressifs mais avant tout par la pesanteur de la doxa médiatique, a tétanisé la droite dite « républicaine », comme l'ont baptisée les médias pour qualifier celle à laquelle la gauche acceptait de décerner un brevet de moralité si elle refusait toute alliance avec le Front National. Et comme ce dernier, seul à pouvoir exprimer certaines inquiétudes, progressait dans les urnes, cela a parfois conduit cette dernière, comme le disait à l'époque l'un de ses membres, à « perdre des élections plutôt que de perdre son âme ». Nous arrivons ici peut-être aux limites de l’exercice initié par le Charentais – d’où ces récents éditoriaux du journal Le Monde qui s’inquiètent de la fragilité de la « digue républicaine » qui interdisait de telles alliances, ou de la « récupération » du sujet du terrorisme, que ce soit pour évoquer une plus globale insécurité ou pour y lier l’immigration.

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Mais plus que d’un retour des années 80, c’est peut-être d’abord d’un retour au réel qu’il faudrait ici parler. La France Potemkine des médias, celle du journal de 20 heures, n'est plus vue que comme image de carton-pâte, un brouillard, sinon un enfumage. Malgré les changements de prénoms lorsque les journaux veulent bien rendre compte de ces faits divers, malgré les couteaux et les véhicule déclarés « fous », malgré l'interdiction de statistiques et l’affirmation que seul existe un « sentiment d’insécurité », malgré le discours martelé selon lequel il n'y aurait pas en France en 2021 plus d'étrangers qu'il y a quarante ans, l’ampleur inégalée du phénomène migratoire que connaît le pays ne peut pas plus être nié que la tension sécuritaire. Et les textes récents publiés par d’anciens hauts fonctionnaires sur ces sujets ou les éléments évoqués à nouveau dans les analyses de l’INSEE sont autant de signaux qui montrent bien que c’est le système mis en place dans les années 80 qui est en train de s’effondrer quarante ans après. Aujourd’hui, les éditorialistes qui tiennent dans les médias un discours réaliste sur l’insécurité et l’immigration, loin d’être stigmatisés, connaissent un succès sans précédent.

Ce peut donc être une explication que d’imaginer une droite se débarrassant de la chape de plomb du politiquement correct, mais est-ce une vraie conversion, connaît-elle son chemin de Damas, ou ne serait-ce ici que le fruit d’une nécessité électorale, et ce à deux niveaux ? Le premier est celui de la campagne des présidentielles, d’ores et déjà ouverte, avec la question de savoir si l’un des ses représentants peut être présent au second tour en 2022, alors que tous accusent pour l'instant 10 points de retard sur Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Le second relève cette fois du «  match dans le match », avec la guerre que se livrent entre eux les principaux candidats potentiels, dont par exemple Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau et, bien sûr, Valérie Pécresse. Or, pour le premier niveau, qui dit présidentielles dit régalien, et donc un discours clair sur la politique de sécurité, car cette dernière est au cœur même du contrat social passé entre les citoyens et le pouvoir. Et au second, les militants qui pourraient adouber le futur candidat sont réputés plus à droite que les élus. Il faudra donc attendre des mesures réelles pour savoir ce que vaut l’effet d’annonce.

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Maxime Tandonnet : L’un des facteurs déterminants du renoncement de la droite sur l’immigration fut l’élection présidentielle de 2002. Au second tour, le président Chirac se trouvait face à Jean-Marie le Pen. Il a mené une campagne sur les thèmes supposés répondre au Front national. Cette période fut à l’origine de la création emblématique du musée de l’immigration par exemple. Puis, élu chef de l’Etat avec le soutien de la gauche dans un climat de front républicain, la présidence Chirac a persévéré dans cette posture. Lors du sommet européen de Séville contre l’immigration clandestine, c’est le président Chirac qui s’opposa à tout lien entre la politique d’aide a développement européenne et la contribution des pays sources à la lutte contre l’immigration clandestine en Europe. Sous l’influence du chef de l’Etat de l’époque qui a proclamé sa ferveur multiculturelle en plusieurs occasions, la question de l’immigration est devenue un sujet tabou, intouchable, à droite autant qu’à gauche. Il est clair cette période est maintenant complétement révolue. On peut parler à cet égard d’une « déchiraquisation » de la droite au sujet de l’immigration commencée sous Nicolas Sarkozy mais qui s’accélère. Il est intéressant de constater que Mme Pécresse, créature chiraquienne, est à la pointe de ce basculement.  On observe cependant une course au discours de fermeté à droite qui reflète l’évolution de l’opinion publique.

Comment éviter la démagogie et proposer de vraies politiques efficaces et applicables en partant du constat fait par Valérie Pécresse ? Où cette inflexion peut-elle mener et quelle en serait la conséquence pour la droite ?

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Christophe Boutin : Prenons si vous le voulez bien les éléments proposés par Valérie Pécresse, qui créé la polémique en déclarant qu’« il faut cesser de nier le lien entre terrorisme et immigration », et dont le discours est assez typique de cette droite. Elle évoque d’abord la lutte contre le terrorisme (« mieux repérer les signaux de radicalisation » - ce qui, à moins d’une surveillance « à la chinoise », semble bien difficile avec ces tueurs isolés -, ou « mettre hors d'état de nuire les radicalisés, en évitant qu'ils deviennent prosélytes en prison ») ; elle évoque ensuite la lutte sécuritaire globale (la multiplication des policiers municipaux armés ou celle d’une vidéosurveillance qui pèse sur tous les Français - à l’exception des zones de non-droit) ; et donc aussi la lutte contre l'immigration.

Reste que les solutions proposées sur ce plan renvoient toutes ou presque à un niveau supranational. Il faut « contrôler nos frontières », notamment avec une « procédure d’asile à la frontière » ? Mais ces frontières sont celles de l’Union européenne, « défendues » par Frontex. Il faut « renvoyer les clandestins dans leur pays d'origine » ? Mais comment savoir quels pays, quid s’ils ne les acceptent pas, et que dit la jurisprudence de la CEDH en la matière - sans compter la « directive retour » de l’Union européenne dont Valérie Pécresse demande qu’elle soit « complètement revue » ? Elle veut encore réinstaurer le délit de séjour irrégulier, abrogé en 2012, et permettre sur cette base de « prononcer des ordonnances d'expulsion immédiate » ? Quid ici de la compatibilité de ces mesures avec les jurisprudences de l’UE et de la CEDH, et, même, avec l’attitude d’une partie de nos magistrats ?

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Que reste-t-il ? Un « plan banlieue » réclamé « depuis des années » et reposant « sur trois piliers : l'autorité et la sécurité, la mixité sociale et la réussite » ; « détruire les quartiers ghettos et reconstruire des quartiers de mixité réelle […] où il n'y a pas plus de 30 % de logements très sociaux ». Bref du Borloo, cette idée selon laquelle tout s’explique par le social, la continuité d’une politique dite « de la ville » qui a englouti des milliards sans rien apporter, et imposer de force le « vivre-ensemble » à des communautés qui se regardent en chien de faïence, « et tout ça, ça fait d’excellents Français ».

Les autres ? La même chose, ou peu s’en faut. Xavier Bertrand demande que l’on durcisse « les conditions de regroupement familial », effectivement le premier facteur de l’immigration de masse que connaît la France, mais quid encore de la jurisprudence de la CEDH ? Laurent Wauquiez veut que l'immigration soit « arrêtée tant qu'on n'a pas réussi à l'intégrer », mais là encore comment l’arrêter au regard des pouvoirs supranationaux ?

Reprendre en main la politique migratoire semble bien difficile sans remettre en cause les abandons de souveraineté consentis par la France devant les institutions ou les juges européens. Les conséquences pour la droite  de ces choix qui n’en sont pas seraient finalement de perdre toute crédibilité une fois revenue aux affaires ; en ne pouvant que faire un aveu d’impuissance. Tout le contraire de ce que veulent les Français, qui entendent bien reprendre leur destin en mains.

Maxime Tandonnet : Justement, l’important est de sortir de la démagogie. La réalité migratoire est gangrenée par les chimères ou les chiffons rouges. La question du droit du sol par exemple fait vibrer les foules comme si elle constituait l’enjeu central. Or de fait, supprimer ou réduire le droit du sol n’aurait pas le moindre impact sur les flux migratoires. De même sur le regroupement familial : en parler soulève les passions et le thème est un véritable serpent de mer. Or, le regroupement familial, la possibilité pour un étranger en situation régulière de faire venir sa famille est une pratique sous contrôle et fermement soumise à des conditions de taille du logement et de ressources suffisantes d’un travail. C’est la stricte vérité statistique mais quasi inadmissible pour une partie de l’opinion. En revanche, les difficultés proviennent du poids croissant de l’immigration illégale suivie de régularisations et du détournement du droit d’asile. Un discours de droite républicaine est possible en se fondant sur les réalités. On sait ce qu’il faudrait faire : lancer une politique négociée massive de co-développement à l’échelle de l’Europe, livrer une guerre implacable aux filières esclavagistes qui sévissent en Méditerranée et une politique de tolérance zéro face aux trafics de l’immigration clandestine. Parmi les candidats de droite, l’enjeu est d’obtenir une crédibilité sur ces sujets. Si l’un d’eux parvient à regagner la confiance des Français sur ces questions, ce qui ne sera pas évident, il aura pris une avance décisive sur les autres.

Quelles conséquences peut avoir cette inflexion, singularisant la droite sur la question sécuritaire et migratoire et la distinguant plus nettement encore du macronisme, sur Emmanuel Macron et ses ambitions pour 2022, obligé à un difficile équilibre face à son électorat ?

Christophe Boutin : Se différenciant du macronisme ? C’est loin d’être évident dans la pratique. D’abord parce que les questions sont complexes. Rappelons, concernant les actes terroristes que nous venons de connaître, qu’il est presque impossible de déceler ces dérives individuelles - 40% des auteurs d’attentats islamistes commis en France depuis 2012 n’étaient ainsi pas fichés S. Quant à lutter contre l’immigration illégale pour empêcher ce même terrorisme, on rappellera aussi que 55% de ces auteurs d’attentats étaient Français et avaient suivi les cours de l’École de la République.

Qu’a fait ensuite Emmanuel Macron depuis qu’il est au pouvoir ? Nous avons eu en moins de quatre ans une loi sur l’immigration, une sur la « sécurité globale », une sur le « séparatisme », et nous allons en avoir une sur le terrorisme. Même si l’on peut être déçu par les textes votés, on ne peut pas dire que les questions n’aient pas eu une tentative de traitement, et, dans la logique européenne qui est la sienne, Emmanuel Macron attend que la France préside l’Europe l’année prochaine pour proposer une réforme des accords de Schengen sur la liberté de circulation. La droite aurait-elle procédé différemment ? L’a-t-elle fait Sarkozy régnant ? Il suffit de regarder les chiffres pour avoir un doute sur le sujet.

La droite utilise ici stratégiquement une faiblesse qui, plus que celle d’Emmanuel Macron, est celle de tout titulaire du pouvoir suprême en exercice, à qui on ne pardonne pas de laisser s’installer l’insécurité. Comme le rappellent les contractualistes anglais, Hobbes ou Locke, c’est en effet le premier devoir de l’État que de protéger les personnes et les biens, un  élément indispensable du contrat passé entre le pouvoir et les citoyens. Or avec la multiplication des crises actuelles, les demandes sécuritaires des Français visent bien sûr la garantie de leur sécurité physique, mais aussi celle de leur sécurité identitaire, mise à mal par les décoloniaux et autre multiculturalistes qui déconstruisent le roman national et notre histoire, sans oublier enfin leur sécurité sanitaire. Surfant sur cette forte demande sécuritaire la droite entend en même temps ne pas laisser le RN faire cavalier seul sur ce sujet et fragiliser le Président.

En face, Emmanuel Macron devra lui aussi répondre à ces attentes sécuritaires, pour ne pas risquer d’être débordé et écarté au premier tour de 2022. Mais le devra le faire tout en ayant une attitude distancée qui ne crispe pas ces électeurs de gauche dont il aura besoin du report des voix au second tour. Exercice difficile ? C’est peut-être effectivement lors de la présidence française de l’Union européenne que beaucoup de choses pourraient se jouer en termes d’image. Mais c’est encore loin…

Maxime Tandonnet : Là aussi il est essentiel de s’en tenir aux vérités. Quel est le bilan du quinquennat Macron sur les sujets ?  Les statistiques sont connues de tout le monde. Depuis 2012, le nombre des premiers titres de séjour délivré est passé de 180 000 par an à 240 000 en 2019 et celui de l’asile de 60 à plus de 120 000. La question fondamentale est de savoir si un pays qui compte 5 millions de demandeurs d’emplois, dans le contexte d’une économie ravagée par la crise sanitaire, d’une pauvreté touchant près de 10 millions de personnes selon l’INSEE a la capacité de revoir dignement les nouveaux arrivants. Comme vous le dites le « en même temps » qui consiste à vouloir ménager l’électorat de gauche et celui de droite conduit au déni de réalité : la fermeté dans les mots et le renoncement dans les faits. Il me semble que la droite doit sortir complétement de cette logique et dépolitiser au maximum la question de l’immigration. La question ne doit pas être de gagner des voix en agitant inutilement les passions. Elle doit être de proposer une action conciliant générosité – le codéveloppement – et la fermeté dans la lutte contre les trafics d’immigration clandestine. Sur cette base, il doit être possible de rassembler deux Français sur trois en dehors de toute esbroufe démagogique. 

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