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Assassin’s Creed ne prétend pas faire oeuvre d’historien, Mélenchon, si. Et lui se plante sur la réalité de la Révolution.
©Reuters

Les gamers, ces incultes ?

La sortie du dernier opus d'Assassin's Creed, dont l'action se déroule dans le Paris révolutionnaire du XVIIIème siècle, n'aura pas provoqué de réactions disproportionnées uniquement chez les fans de la série. Jean-Luc Mélenchon par exemple, s'est joint au concert des commentaires pour en dénoncer le message anti-révolutionnaire, avec une allusion douteuse sur le caractère des milliers de décapitations sous le régime de la Terreur.

Laurent Avezou

Laurent Avezou

Laurent Avezou est historien, spécialiste des mythes historiques. Il a notamment publié Raconter la France : histoire d’une histoire (Paris, Armand Colin, 2008), La Fabrique de la gloire : héros et maudits de l’histoire (Paris, PUF, 2020), et Verdun et les lieux de mémoire de la première guerre mondiale (Paris, Larousse, 2024).

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En aura-t-on un jour fini avec le discours binaire sur Robespierre ? D’un côté, le monstre sans états d’âme, ennemi du genre humain, se repaissant de torrents de sang dans cette prémonition de Massacre à la tronçonneuse qu’aurait été la Terreur ! De l’autre, l’Incorruptible, ange salutaire de la Révolution jacobine, qui assume une politique radicale dictée par le souci du salut public. Entre ces deux visions, les promoteurs du jeu vidéo Assassin’s Creed Unity, sorti le 13 novembre, ont choisi la première. L’ancien candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon s’est résolument rangé du côté de la seconde, en dénonçant dans les médias "le dénigrement de la grande Révolution" auquel se livreraient les concepteurs du jeu.

En réalité, ces derniers n’ont fait qu’émarger à une recette vieille comme le monde – et qui a fait ses preuves comme ressort dramatique : la théorie du complot, toujours propice à flatter le bon peuple, sur l’air du "On nous cache tout, on nous dit rien / Plus on apprend, plus on ne sait rien" cher à la chanson de Lanzmann et Dutronc. Dès 1798, l’abbé Barruel attribuait la Révolution à un complot franc-maçon, tandis que les penseurs monarchistes Louis de Bonald et Joseph de Maistre y voyaient l’effet délétère des Lumières. A un faisceau d’événements d’une ampleur telle qu’en a vécus la France entre 1789 et 1794, il faut absolument trouver un maître d’œuvre, de préférence machiavélique. Voilà donc, dans Assassin’s Creed Unity, la Révolution présentée comme un épisode de la lutte que se livrent, depuis la nuit des temps, deux sectes adverses, les Assassins, qui œuvrent pour assurer la liberté de l’humanité, et les Templiers, qui tentent de la soumettre à un ordre totalitaire et ont, dans ce but, fomenté de toutes pièces l’embrasement de 1789. Robespierre y est présenté comme un agent de ces derniers, prêt à toutes les bassesses pour exécuter leur plan, salissant la mémoire de Mirabeau pour faire retirer ses restes du Panthéon, narguant cruellement Danton après sa condamnation à mort et connaissant la fin qu’il mérite, celle d’un conspirateur de bas étage doublé d’un sicaire veule et sadique.

Est-il besoin de préciser que cette trame n’a pas l’ombre du moindre indice de véracité historique – sauf à considérer, comme aime à le penser une certaine sagesse des nations que, "puisqu’on n’y était pas, hé ben on peut pas dire que c’est pas vrai" ? Si les restes de Mirabeau ont été retirés du Panthéon, c’est en raison de sa correspondance avérée avec Louis XVI et la reine. Et si le "bon" Danton – qui, en tant que ministre de la Justice, avait assumé toute la responsabilité des massacres de septembre 1792 – a bien été condamné à la guillotine avec ses amis de la faction des Indulgents, ce n’est pas le fait de l’acharnement personnel de Robespierre, mais d’un esprit de lutte contre les tendances jugées extrêmes, qui lui avait fait soumettre au même traitement, deux semaines auparavant, les Enragés d’Hébert. On pourrait prolonger à l’envi la liste des torsions infligées ainsi, dans le jeu, à la grande histoire.

Mais la question est-elle bien là ? Le producteur d’Assassin’s Creed Unity ne s’en est pas caché : il a voulu livrer "un jeu vidéo grand public, pas une leçon d’histoire". Inutile de substituer, comme le fait Jean-Luc Mélenchon, avec force effets de manche, un complot "vidéo-contre-révolutionnaire" au pseudo-complot templier forgé par le jeu. C’est d’ailleurs faire preuve d’un singulier mépris envers le public au nom duquel on prétend parler que de le croire aussi crédule et manipulable face à un simple divertissement.

Là où il y a pourtant malversation structurelle, et non plus factuelle, de la part du jeu, c’est dans le changement d’échelle qui est imposé au personnage de Robespierre, et qui, de premier rôle, le rétrocède au rang de simple figurant. Que son goût de l’abstraction l’ait parfois aveuglé au point de lui dissimuler sa propre ambition personnelle et de lui faire convertir en idéaltype chaque acteur révolutionnaire, soit. Que son engagement solitaire contre l’entrée en guerre en 1792 ne le dédouane pas des excès de la phase finale de la Terreur (juin-juillet 1794), d’accord. Que, lors de sa chute le 9 Thermidor, il ait servi de bouc émissaire à de bien plus terribles que lui – les Tallien, Barras, Collot d’Herbois – qui craignaient d’être les prochaines victimes de l’échafaud, entendu. Robespierre n’était ni un ange ni un démon. On ne peut le réduire à un bloc compact. Pas plus que la Terreur il n’était la Révolution à lui tout seul. Mais ce qu’il a fait, il l’a constamment assumé et s’en est expliqué. Robespierre n’était pas une marionnette manipulée en coulisses. C’était un acteur qui a joué sa partie sur la scène, même si la représentation a tourné court. 

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