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Tant que l’ascension sociale sera dénoncée, la mobilité sociale aura du mal à se réaliser en France
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Peut mieux faire

Un rapport sur l’ouverture sociale dans l’enseignement supérieur a été remis ce mardi au ministre de l’ Enseignement Supérieur Laurent Wauquiez. Il dénonce l’incapacité du système français à corriger les inégalités sociales et propose des réformes afin de les juguler.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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La présidente de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE), Salima Saa, par ailleurs secrétaire nationale de l’UMP, vient de remettre un rapport sur l'ouverture sociale dans l'enseignement supérieur au Gouvernement. Révélé par l’AFP (repris par l’ensemble de la presse), il propose une réforme des concours aux Grandes Ecoles. Il y a fort à parier que cela suffira à relancer des débats sans fin, comme celui qu’avait déclenché la suppression de la culture générale à l’entrée de Sciences-Po. Pourtant, il faudrait applaudir ce rapport et exiger beaucoup plus du Gouvernement !

Une étude de l’Institut Thomas More a récemment rappelé combien l’école est inégalitaire (après tant d’autres comme PISA, la Cour des comptes et l’Institut Montaigne). En France, selon son origine sociale, un enfant n’a pas les mêmes chances de réussir. Sa réussite est conditionnée par le milieu social de ses parents. Une caste de favorisés parvient à s’en sortir : ceux qui ont accès aux bonnes informations par leurs parents, au premier rang desquels les enseignants. C’est ce monopole social qu’il faut remettre en cause, en supprimant les barrières à l’entrée de l’élite que ces privilégiés ont mis en place, à travers des concours qui sont des épreuves de conformité sociale. L’épreuve de culture générale n’est pas autre chose aujourd’hui. S’il ne faut pas renoncer à l’élitisme, il faut le rendre accessible à tous : c’est cela, la méritocratie. S’il est souhaitable d’avoir des épreuves de recrutement exigeantes, et très sélectives, il faut que cela se fasse sur des matières que l’Ecole enseigne et non sur les codes que le milieu social transmet.

Les propositions révélées par la presse vont donc dans le bon sens. Salima Saa propose à juste titre de donner leur chance à tous les élèves. Elle propose de les évaluer, à l’entrée des Grandes écoles, sur leurs projets, leurs parcours, leurs talents. A ce titre, un concours de culture générale sur épreuve pourrait être créé.

Il est très important de diversifier les modes de recrutement dans l’enseignement supérieur, dans un esprit de réelle autonomie et de liberté. A ce titre, plutôt que d’uniformiser les concours, il faudrait envisager de donner à tous les établissements supérieurs des objectifs de diversité sociale, et de les laisser libres d’y parvenir. Cela permettrait de dépasser les stériles polémiques pour déterminer si la solution « Sciences-po » est meilleure que celle de l’Essec : pour le savoir, il suffirait d’évaluer, de manière transparente et indépendante, tous les 5 ans, la progression de la diversité sociale dans les établissements.

Le rapport présenté par Salima Saa est donc riche de perspectives. Pour autant, et c’est une faiblesse dont il n’est pas responsable, il ne peut pallier l’essentiel des problèmes de mobilité sociale en France. Ceux-ci sont de trois ordres.

Le premier obstacle vient bien en amont de l’enseignement supérieur : c’est dans l’Education nationale et dès l’école élémentaire que se figent les inégalités. C’est cette Ecole qui trahit l’idéal républicain de réussite par le travail, indépendamment des origines sociales. C’est ce système rigide qui reproduit les inégalités et entretient les rentes de quelques privilégiés, aussi protégés qu’influents et politiquement organisés. L’Education nationale doit donc être profondément réformée : il faut arrêter d’y mettre toujours plus de moyens à fonds perdus et repenser radicalement les structures et les méthodes, dans la voie de la liberté et de l’autonomie. C’est la seule voie pour sauver l’Ecole publique, sauf à assurer une privatisation subie du système.

Le deuxième obstacle vient en aval de l’enseignement supérieur : c’est la rigidité du marché du travail, qui segmente, classe et exclut. A en croire La machine à trier, c’est là que réside l’essentiel du problème : c’est la hiérarchisation rigide du marché du travail qui provoque celle des études et la course aux qualifications. C’est elle qui conduit à penser l’Ecole uniquement comme un instrument de sélection par l’éviction.

Le dernier obstacle est le plus difficile à surmonter. C’est celui de la manière dont la réussite est perçue en France : par le soupçon. Comme chacun pense que les autres trichent, la réussite est forcément coupable et la défiance règne. La vie et l’économie semblent être perçues comme des jeux à somme nulle : dès lors, celui qui réussit est celui qui a abaissé les autres. Les propositions du candidat socialiste expliquant qu’il relève de la « morale » d’interdire une réussite financière indécente relèvent de cette façon de penser, du découragement de la stimulation et de l’émulation par la concurrence, de la culpabilisation de la réussite.

Celui qui gravit les échelons de la société, de fait, se retrouve dans une situation d’inégalité par rapport à d’autres. Ce qui importe, c’est d’une part qu’il le fasse en raison de son mérite et d’autre part que sa position soit contestable par des nouveaux entrants plus talentueux : bref, qu’il n’y ait pas de rente. Le vrai problème n’est pas son ascension, mais leurs difficultés. Mais tant que l’ascension sociale sera dénoncée, la mobilité sociale aura du mal à se réaliser en France.

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