Arrestation du maire de Montréal : comment le Québec est tombé sous la coupe de la mafia<!-- --> | Atlantico.fr
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Le maire de Montréal, accusé de fricoter avec la mafia, vient d’être arrêté avec 14 chefs d’accusation.
Le maire de Montréal, accusé de fricoter avec la mafia, vient d’être arrêté avec 14 chefs d’accusation.
©DR

Little Italy

Le maire de Montréal, accusé de fricoter avec la mafia, vient d’être arrêté avec 14 chefs d’accusation. Complot, fraude, abus de confiance, crime organisé, liasses de billets et accords douteux entre mafieux et politiciens dans des arrière-salles de bars…

Stéphane Quéré

Stéphane Quéré

Diplômé de l'Institut de Criminologie et d'Analyse en Menaces Criminelles Contemporaines à Paris II, Master II "Sécurité Intérieure" - Université de Nice. Animateur du site spécialisé crimorg.com. Derniers livres parus : "La 'Ndrangheta" et "Planète mafia" à La Manufacture de Livre / "La Peau de l'Ours" (avec Sylvain Auffret, sur le trafic d'animaux, aux Editions du Nouveau Monde)

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Atlantico : Quelle est l’ampleur de la corruption et de l’influence mafieuse sur Montréal ? Depuis quand cette situation existe-t-elle ?

Stéphane Quéré : Cela est difficile à évaluer, mais on notera d’abord qu’il y a une forte communauté italienne dans le quartier de Saint-Léonard à Montréal –ce qui bien sûr ne veut pas dire qu’ils soient tous mafieux ou sous la coupe de la mafia- mais la mafia italo-canadienne et montréalaise jouit d’un fort pouvoir de mobilisation en matière de vote, notamment au sein de sa communauté et sans doute même au-delà. Cela date donc depuis un certain temps.

Le premier gros scandale impliquant la mafia en lien avec la politique remonte à l’exposition universelle de 1967 à Montréal, où il y avait eu des fournisseurs proches de la mafia qui avaient répondu aux appels d’offre et avaient été admis. Il y avait eu à l’époque un scandale sanitaire impliquant des reventes de viande avariée recyclée par des proches de la mafia.

Il y a eu d’autres part en 1972 une commission d’enquête sur le crime organisé, CECO. Déjà on évoquait des liens d’un ancien ministre avec le crime organisé. Cette question date au moins des années 1960 et était déjà mise sur la place publique dès les années 1970.

N’oublions pas aussi que Montréal est un port. Qui dit port, dit trafic.

Il y a donc une espèce de triade entre des hommes politiques, des entrepreneurs et le crime organisé. Sachant qu’en plus, au court des années 1970, 80 et 90, il y a eu un fort développement économique, et notamment immobilier, sur Montréal et sa région. Cela a profité à un certain nombre de personnes. Nous avons donc le maire de Montréal qui vient d’être arrêté et a démissionné, alors même que son prédécesseur avait lui-même dû démissionner en novembre dernier pour des accusations de corruption. Il y a aussi le maire de Laval (troisième ville du Québec située au nord de Montréal) qui a été aussi été arrêté il y a 10-15 jours également pour des accusations de corruption.

Donc tout cela ne date pas d’aujourd’hui, et c’est essentiellement sur fond d’élections et de financement de campagnes électorales.

Pourquoi parle-t-on de mafia et pas simplement de corruption ? Y a-t-il certaines méthodes ou « faits d’armes » propres justifiant cette appellation que l’on retrouve ici, et quels sont-ils ?

Dans le cas de Montréal, cela va clairement au-delà des affaires de corruption. Evidemment, on peut trouver des affaires de corruption non-mafieuses, comme des affaires de financement illégal de partis politiques. Mais là nous sommes au cœur de quelque chose de plus important, où il y a la mafia montréalaise derrière et qui est extrêmement puissante depuis déjà la période de la prohibition aux Etats-Unis. À cette époque, le Canada était en effet fournisseur d’alcool pour leur comparse américain. Il y a eu donc un boom financier du côté de la mafia au Canada à cette époque-là, et également pendant la French Connexion où il y a avait des réseaux corses qui acheminaient l’héroïne aux États-Unis via le Canada et via les mafieux italo-canadiens installés sur place. Il y a eu aussi avec la French Connexion un boom économique qui a fait que la mafia montréalaise est devenue extrêmement puissante. Voilà pour le contexte.

Actuellement, on s’aperçoit dans les affaires du maire de Montréal qu’il y a un homme d’affaire « en odeur de mafia » -selon l’expression italienne que l’on utilise pour ce genre de personnage- qui s’appelle Tony Magi. C’est un entrepreneur soupçonné d’être un usurier, qui a fait l’objet de plusieurs tentatives de meurtre, que l’on sait lié au clan Rizzuto, principal clan de la mafia montréalaise. Il se sert de figures de gangs de rue comme hommes de main. Voilà quelque chose de très important. Parmi une des personnes qui ont été arrêtées avec le maire de Montréal, on retrouve un de ses bras droits, qui accordait les permis de construire et qui avait eu plusieurs réunions avec ce personnage-là (Tony Magi). À au moins deux de ces réunions était présent Frank Rizzuto junior qui est le fils du grand parrain actuel (et qui a été abattu en 2009).

Il y a donc un certain nombre d’hommes d’affaire qui ont des liens avec la mafia, voire en sont membres.

La description que vous nous donnez laisse donc entendre une mafia bien implantée dans la métropole de la Belle Province, avec des ramifications jusqu’aux milieux politiques et économiques où elle serait influente. La situation peut-elle vraiment s’améliorer dans le court terme, ou bien le pouvoir à Montréal est-il trop gangréné par la mafia ?

Actuellement, nous nous situons à un carrefour.  Il y a ces enquêtes anti-corruption qui touchent le pouvoir politique, menées par une unité appelée l’UPAC (l’Unité permanente anti-corruption du Québec). En parallèle nous trouvons cette commission d’enquête sur les marchés publics, dite commission Charbonneau, qui entend un certain nombre d’hommes politiques, de fonctionnaires, de mafieux, d’entrepreneurs, et qui a d’ailleurs demandé une rallonge de temps pour poursuivre ses travaux (elle travaille toujours actuellement), car il y a beaucoup de choses sur lesquelles enquêter qui se sont révélées. Elle réalise un travail de mise en lumière des connexions entre les mondes mafieux, politiques et économiques.

Concernant cette commission Charbonneau, il s’agit d’ailleurs de saluer le bel effort de transparence réalisé : les auditions sont en effet filmées et mises en ligne sur leur site en temps réel. En épluchant les 400 appels d’offre passés par la mairie de Montréal entre 1996 et 2011, les enquêteurs se sont aperçus de plusieurs choses. Ils ont ainsi remarqué qu’il y a eu 53 entreprises ayant répondu à ces appels d’offre (pour des réfections de route et autres travaux publics assez banals) et que parmi celles-ci, six entreprises ont raflé 90% des marchés en question. Ces six entreprises sont dirigées par des hommes d’affaire d’origine sicilienne, tous originaires d’un petit village en Sicile d’où est originaire le clan Rizzuto. En parallèle, on s’aperçoit que les autres entreprises non-siciliennes et non-italiennes du bâtiment et travaux publics à Montréal ont arrêté de répondre aux appels d’offre car ils avaient bien compris que cela ne servait à rien.

Cela illustre bien le pouvoir des entreprises mafieuses de Montréal en matière de travaux publics. Sachant qu’en matière de crime organisé les travaux publics et les appels d’offre constituent quelque chose de vital. C’est de l’argent facilement fait avec des poursuites pénales quasiment inexistantes.

Deuxième chose importante, et là nous quittons la corruption pour aller sur le terrain purement mafieux : il y a eu une tentative de reprise du pouvoir criminel à Montréal, depuis 2004. En 2004, le parrain, Vito Rizzuto, était à la tête de la pègre montréalaise. Il a été arrêté et extradé aux Etats-Unis où il a été condamné à purger une peine de 10 ans de prison. Pendant ce temps-là, son pouvoir a été contesté sur place. Son fils a été abattu, son père a été abattu, son beau-frère a été abattu et un certain nombre de ses lieutenants ont été abattus par des gens qui voulaient prendre sa place, ce qui est assez traditionnel. On l’annonçait mort et enterré, mais Rizzuto est revenu des Etats-Unis en octobre dernier il me semble. Il a effectué un certain nombre d’assassinats ciblés, ce qui fait qu’il soit revenu sur le devant de la scène. A priori maintenant, la situation est sous contrôle pour son clan à lui. Cela devrait cependant perturber les équilibres internes.

Nous avons donc ici plusieurs phénomènes concomitants : cette enquête de la commission Charbonneau qui décortique les liens mafieux entre politiques et entrepreneurs, et en parallèle nous avons le clan Rizzuto qui selon ces enquêtes anti-corruption revient sur le devant de la scène avec un certain nombre de nouvelles alliances, notamment avec les gangs de rues et les gangs de motards.

Il y a donc un certain nombre de changements en cours en ce moment, que cela soit en matière de crime organisé, au niveau de la rue, ou en matière de cols blancs. Est-ce que cela va remettre en cause les équilibres, est-ce que la mafia ne va pas devoir trouver de nouveaux correspondants politiques, c’est la grande question qui se pose actuellement.

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