Argentine en faillite : ce que l’on gagnerait à mettre en place un tribunal des dettes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Argentine en faillite : ce que l’on gagnerait à mettre en place un tribunal des dettes
©

Argent pas cher

Le défaut de paiement porte sur 539 millions de dollars, une somme versée par la Banque centrale d'Argentine le 26 juin, bloquée à New York par une décision judiciaire.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

La Cour suprême américaine avait confirmé en juin la condamnation de l’Argentine à rembourser 1,3 milliard de dollars à deux fonds spéculatifs alors que le pays était passé par deux accords de restructuration de dette en 2005 et 2010. La seule solution légale, selon les juges américains, pour échapper à cette obligation, était que le pays se déclare en défaut de paiement et ne rembourse donc plus aucun de ses créanciers. Les négociations entre le gouvernement argentin et les deux fonds vautours en question ayant échoué ce jeudi 31 juillet, le pays se retrouve effectivement en défaut de paiement.

Atlantico : La décision de la justice américaine du mois de juin et l’échec des négociations de l’Argentine avec les fonds spéculatifs risquent de modifier les comportements. A quelles incertitudes les États, qui pourraient éventuellement se trouver dans la même situation que ce pays, pourraient-ils faire face ?

Michel Ruimy : L’Histoire financière aurait-elle rattrapé l’Argentine ? En effet, treize ans après avoir connu des difficultés financières, ce pays, croyant s’être sauvé, se retrouve à la case départ. Une situation qui est, malgré tout, moins alarmante qu’en 2001. Remémorons-nous rapidement comment est-on arrivé là afin d’en tirer quelques enseignements.

Après sa faillite en 2001, l’Argentine avait fini par trouver, entre 2005 et 2010, un accord avec une partie de ses créanciers privés, qui avaient accepté une remise de dette (haircut) d’environ 70%. Près de 90 milliards de dollars de dettes avaient été restructurés permettant à ce pays d’alléger son fardeau financier en étalant ses remboursements dans le temps. Mais deux fonds d’investissement américains, Eliott et Aurelius, qui avaient refusé cette renégociation, ont contesté cet accord et ont exigé le remboursement intégral de la valeur nominale de leur dette, majorée des intérêts. Ils ont obtenu gain de cause en 2013 auprès d’une Cour d’Appel de New York : l’Argentine avait été alors condamnée à payer.

Mais, l’Argentine, fermement opposée à verser la somme de 1,33 milliard de dollars à ces fonds « vautours », avait adopté, dans un premier temps, une nouvelle stratégie en se disant prête à discuter à condition que l’injonction de payer les fonds soit suspendue tout en déposant, sur un compte bancaire à New York, 539 millions de dollars correspondant à l’échéance des intérêts des obligations dus au 30 juin. Elle arguait qu’elle était engagée dans une démarche de résolution de ses différents contentieux (Vivendi, Repsol, Club de Paris…). La Cour suprême américaine avait rejeté cette demande de délai de paiement le 16 juin notamment au motif qu’"une telle requête n’était pas appropriée". Le juge Thomas Griesa avait alors bloqué le paiement des intérêts et avait ordonné à l’Argentine de payer le montant dû aux fonds avant le 30 juin (ou 30 juillet en tenant compte du délai de grâce habituel) en vertu d’une clause, dite pari passu (égalité de traitement entre les créanciers). En d’autres termes, l’Argentine ne doit pas continuer à rembourser les créanciers qui avaient accepté les restructurations de dette sans indemniser préalablement les fonds. Le pays n’ayant pas effectué le versement de 539 millions de dollars au 30 juin, il a été déclaré en "défaut de paiement sélectif" sur sa dette par Standard & Poor’s, qui a dégradé sa note, la faisant passer de CCC - catégorie sélective - à SD - selective default.

En fait, l’Argentine a, en théorie, la capacité de rembourser cette somme au regard de ses réserves de change (plus de 28 milliards de dollars). C’est pourquoi, son Président refuse de parler de défaut de paiement. Sa posture est idéologique : il n’est pas question de laisser les fonds spéculatifs amoindrir encore plus les États en difficultés, et "juridico-financière" : en effet, le gouvernement de Cristina Kirchner veut poursuivre les négociations avec les fonds spéculatifs jusqu’à la fin de l’année afin de ne régler la somme due qu’en 2015. Pourquoi en 2015 alors qu’il pourrait le faire dès aujourd’hui ? Parce qu’il craint que les créanciers qui ont accepté les restructurations de dette (93% du montant total de la dette pour laquelle l’Argentine s’était déclarée en cessation de paiement en 2001), ne réclament le même traitement que les fonds en vertu d’une clause qui interdit à l’Argentine de faire, jusqu’à fin 2014, une meilleure offre aux investisseurs qui n’ont pas accepté les décotes de 2005 et 2010.

Par ailleurs, seule une solution rapide à cette crise permettrait à l’Argentine de limiter l’impact sur son économie. A contrario, elle pourrait devoir rembourser, au total, plusieurs dizaines de milliards d’euros. Un effort très important pour ce pays qui n’a plus le droit de se financer sur les marchés internationaux depuis 2001, à la situation économique nettement dégradée depuis quelques années : hyperinflation, dépréciation du peso argentin, récession... En cas de « défaut prolongé », elle risque, en particulier, de subir la hausse du coût de ses emprunts, la réduction probable de ses lignes de crédit ouvertes par les banques commerciales, des sorties importantes de capitaux et un tarissement des investissements directs étrangers tandis que le prix des actifs augmenterait vraisemblablement. Enfin, elle pourrait être contrainte de se tourner vers le FMI.

Ainsi, la décision de la Cour suprême, que plusieurs chefs de gouvernement ont critiquée, risque de créer une jurisprudence car elle autoriserait, in fine, les créanciers privés à exiger des pays en pareille situation, des montants importants en appliquant des taux d’intérêt très élevés. Encouragés par cette décision, une partie des créanciers, qui ont accepté les accords de renégociation, pourraient être tentés de s’en désolidariser pour récupérer leur mise. Enfin, elle ouvre la possibilité pour les créanciers de refuser, à l’avenir, tout compromis avec les Etats en difficulté afin de récupérer l’intégralité de leur dû.

En juin, le FMI a publié un rapport proposant de créer une "zone intermédiaire", à mi-chemin entre l’insolvabilité et les problèmes temporaires de balance des paiements (voir ici). La dette du pays ne serait pas restructurée mais "redéfinie". En quoi cela consisterait-il concrètement ?

Le FMI a engagé, il y a 1 an, une réflexion afin de mieux gérer les futures crises de dette souveraine. La solution préconisée consiste, lorsqu’un pays a perdu l’accès au marché financier et que sa dette est considérée comme soutenable mais avec un certain degré d’incertitude, en l’allongement, assez mineur, de la maturité des titres de dette détenus par les investisseurs sans modifier les intérêts ou le montant remboursé. Il y aurait, alors, une perte limitée en valeur actualisée.

Une telle procédure ne serait déclenchée que si les créanciers sont d’accord. Ce serait ainsi une approche "au cas par cas". Selon l’institution, les investisseurs y verront leur intérêt dans la mesure où leur effort permettra d’éviter un scénario plus dramatique qui pourrait prendre la forme d’un véritable défaut de paiement. De plus, cette démarche permettrait d’éviter une flambée systématique des taux d’emprunt d’un pays ou des fuites massives de capitaux. Afin de rassurer la communauté financière, le FMI s’engage, par ailleurs, à mieux partager ses informations et à être plus transparent lorsqu’il établit son "analyse de soutenabilité de la dette" qui sert de déclencheur aux programmes du Fonds.

Cette piste de réflexion est encore soumise à consultation. Elle devrait être complétée par un autre rapport portant sur des aspects contractuels (clauses d’action collective).

Electoralement parlant, il n’est jamais bon de faire partie du gouvernement sous lequel le pays a été déclaré en défaut de paiement de la dette. En quoi, cette solution intermédiaire permettrait-elle d’inciter davantage les États concernés à prendre les mesures nécessaires avant de se retrouver au pied du mur ?

Les fonds vautours ont une conviction : celle qu’une pression externe peut conduire à une meilleure gestion du pays. Plutôt que cette vision, il convient, devant le niveau de l’endettement public atteint par certains pays, d’exiger des gouvernements d’avoir la vision - et des populations, le courage de dire "cela suffit" - d’emprunter de nouveaux chemins afin de recouvrer une situation économique honorable. Je reprendrais l’idée développée par Robert Frost, un poète américain, dans The Road Not Taken : "Deux routes divergeaient dans un bois, Et moi, j’ai pris celle par laquelle on voyage le moins souvent, Et c’est cela qui a tout changé". J’espère que la proposition du FMI s’inscrit dans la trace de cette "terre inconnue".

Les crises de la dette argentine (2001) et grecque (2010) auraient-elles ainsi pu être évitées ?

Vaste question qui soulève de nombreuses réflexions ! Rappelons que la Grèce a procédé, en mars 2012, à la plus importante restructuration de dette de l’Histoire économique et financière (206 milliards d’euros). Près de 85% de ses créanciers privés ont accepté d’effacer 53% de la valeur de leurs titres. Pour les investisseurs, cette opération a ainsi garantit des remboursements qu’un défaut aurait interrompu. Quelques années plus tôt, l’Argentine avait agi de la même sorte.

Le dispositif du FMI vise à rassurer les investisseurs. Mais je vais tenter de répondre de manière globale et non spécifique. L’allongement de la maturité nécessite de dégager une capacité plus longue à rembourser via une croissance soutenue. Or, sortir par le haut avec plus de croissance signifie notamment aujourd’hui engager de profondes réformes structurelles… qui mettraient 6 à 7 ans avant de produire leurs effets. Ainsi, on ne veut/peut pas laisser l’endettement des pays progresser encore mais le résultat des mesures d’austérité prises par les États pour réduire leur déficit budgétaire et freiner la spirale de leur dette conduit à un ralentissement économique ! Cette situation nécessite de reconsidérer le calendrier de cet assainissement car ces pays ne pourront pas subir 10 ans d’austérité. Certes, des pays ont pourtant réussi ce genre de politique mais ils ont pu s’appuyer, en particulier, sur une dépréciation du taux de change de leur monnaie qui soutenait leurs exportations. Ainsi, la politique monétaire doit être en phase avec les efforts budgétaires des pays en difficulté. Une façon de s’en sortir serait d’effacer une partie de la dette des pays concernés pour relâcher la contrainte budgétaire qui pèse sur les nations endettées.

Or, l’annulation d’une partie de la dette publique risque de provoquer une nouvelle crise bancaire. En effet, pour ce qui concerne les dettes européennes, ces créances sont détenues environ pour 1/3 par le système bancaire des pays concernés et 2/3 par les investisseurs d’autres pays européens. Si des banques européennes qui détiennent des créances sur ces pays sont mises en difficulté par l’annulation d’une partie de leurs créances, il faudra que les Etats interviennent pour les recapitaliser et éventuellement les nationaliser. L’intervention de l’Etat pourrait se traduire par une dette publique plus importante qu’avant l'annulation !

Autre possibilité : la restructuration de la dette uniquement détenue par les non-résidents. Ces pays seraient exposés immédiatement à de nombreux enjeux : risque de "représailles" sous forme de protectionnisme commercial de la part des pays dont les banques auraient été touchées, pari qu’une fois ces annulations réalisées, ils pourront, à nouveau, se financer rapidement sur les marchés au risque de ne plus se permettre d’avoir de déficits commerciaux  réclamant des financements étrangers.

En fait, il serait judicieux de mettre en place une "Autorité" supranationale, dont la mission serait d’évaluer les responsabilités de chacune des parties prenantes, créancières et débitrices, en matière de dettes. Ceci déboucherait sur une répartition équitable de l’ajustement de la sortie de crise entre les créanciers, les contribuables et les salariés, tout en n’exonérant pas les banques de leur comportement.

L’Argentine aurait-elle pu sortir de l’ornière si le dispositif envisagé par le FMI avait existé ?

La situation économique dans laquelle évolue l’Argentine a limité ses marges de manœuvre en réduisant grandement les excédents de sa balance commerciale. A ce jour, ses réserves de changes sont estimées à environ 28 milliards de dollars. Or, selon le centre de réflexion BS Initiative, les investisseurs pourraient exiger, à court terme, près de 43 milliards de dollars, une somme que le pays serait contraint de lever, tout ou partie, sur les marchés financiers. D’où la démarche de ce pays, qui souhaite de nouveau accéder aux marchés financiers, en concluant un accord avec le Club de Paris pour se libérer la voie. Ainsi, l’Argentine pourrait s’en sortir mais au prix de très grands efforts de rigueur, qui demandent toujours l’assentiment de la population.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !