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Après les retraites, le travail : gérer les relations sociales par la loi, une toxique illusion française
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Nouveau chantier

Après la séquence retraites, Emmanuel Macron souhaite en “ouvrir” une nouvelle. Le gouvernement et la majorité font miroiter depuis des semaines une "loi sur le travail" ou "loi sur le plein emploi".

Gilbert Cette

Gilbert Cette

Gilbert Cette est professeur d’économie à NEOMA Business School, co-auteur notamment avec Jacques Barthélémy de Travail et changement technologique - De la civilisation de l’usine à celle du numérique (Editions Odile Jacob, 2021). Son dernier livre s'intitule Travailleur (mais) pauvre (Ed. DeBoeck, à paraître en février 2024).

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Emmanuel Macron veut “tirer les conclusions” de la séquence retraites et en “ouvrir” une nouvelle. Avec notamment le texte que le gouvernement et la majorité font miroiter depuis des semaines : la future loi sur le travail ou sur le plein emploi. Mais la loi est-elle vraiment l’objet adapté pour agir sur ces sujets de relations sociales au travail ?

Gilbert Cette : Depuis plusieurs décennies, avec une très forte accélération durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, des changements législatifs ont, dans le domaine social, réduit l’importance de la loi en renforçant le rôle du dialogue social. Les ordonnances travail puis la loi Pénicaud ont largement renforcé cette logique en instaurant de que l’on peut appeler la « double supplétivité ». Supplétivité des normes inscrites dans le code du travail vis-à-vis de celles issues de la négociation collectives, dans les limites des principes, autrement dit des libertés fondamentales, et du droit supranational. Et supplétivité des normes décidées au niveau de la branche vis-à-vis de celles décidées par la négociation d’entreprises, dans les limites de celles qui correspondent à un ordre professionnel. Ces deux supplétivités renforcent de façon considérable le rôle décisionnel des partenaires sociaux qui peuvent ainsi substituer à ce  qui est inscrit dans le code du travail des règles décidées par la négociation collective. A l’extrême, un accord de performance collective peut même décider d’une baisse de salaires dans l’entreprise, dans l’intérêt de l’entreprise. Mais il y a encore beaucoup de chemin à faire pour poursuivre ce renforcement du rôle décisionnel du dialogue social mouvement, et de multiples domaines où l’on pourrait donner plus de marge de manœuvre aux partenaires sociaux. Prenons l’exemple de la pénibilité : cette question est abordée par des dispositions nationales alors que cela pourrait plus logiquement relever d’accords de branche. Passer par la loi ne signifie pas nécessairement un renforcement du rôle de la loi. Cela peut aussi être l’occasion de renforcer le rôle du dialogue social.

Emmanuel Macron revendique l’objectif de plein emploi, mais n’est-ce pas illusoire d’espérer y arriver par la loi alors que nous vivons tous les mêmes tendances ?

Gilbert Cette : La conjoncture économique est effectivement très proche dans les pays de la zone euro. Pour autant, la plupart de ces pays sont au plein emploi alors que la France, comme les pays d’Europe du sud, connaissent encore un taux de chômage élevé.  Les pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou les pays nordiques et scandinaves nous montrent que le plein-emploi est possible. La difficulté, c’est qu’il n’y a pas de recette miracle pour parvenir au plein-emploi. Une réforme n’y suffira pas, il en faudra plusieurs. Le taux d’emploi en France est de 10 points inférieur à celui de l’Allemagne et des Pays-Bas. Rattraper ces niveaux de taux d’emploi signifierait pour nous un PIB de 10 points supérieurs à celui que nous avons. Cela veut dire plus de pouvoir d’achat pour tous et de recettes pour l’Etat pour financer des réformes ambitieuses. Si on ne fait pas les réformes, on continuera d’être en retard...

Lorsque l’on voit les problèmes de management, ou d’accidents au travail en France. Est-ce du ressort de la loi que de s’atteler à ça ?

Gilbert Cette : Plusieurs enquêtes internationales, comme par exemple celles coordonnées par Nick Bloom et ses co-auteurs, témoignent de la mauvaise qualité de notre management par rapport à de nombreux autres pays. Les causes en sont multiples. A mes yeux, elles relèvent en partie d’un phénomène culturel fort, d’un manque de confiance, au sens large, envers les autres et envers les institutions. Et cela va avec le fait que l’Etat intervient sur tout et laisse encore peu de marge décisionnelles aux partenaires sociaux. Ici encore, il n’y a pas de fatalité, mais changer cette situation prend du temps. Il faut s’y atteler de manière résolue.

Quels sont les risques quand l’Etat se substitue à la démocratie sociale ?

Gilbert Cette : Comme je l’ai indiqué, c’est plutôt la tendance inverse que l’on observe, même si le chemin est encore long. L’Etat laisse de plus en plus de marge décisionnelles aux partenaires sociaux, même s’il intervient encore beaucoup comme on l’a vu très clairement pendant la période Covid ou pendant la crise inflationniste des deux dernières années. Le problème c’est qu’on attend encore tout de l’Etat. Et cette forte intervention de l’Etat sur les dernières années aboutit à un alourdissement important de la dette publique qui reposera sur les épaules de nos enfants.

Pourquoi écraser la société civile en partant du postulat qu’elle est incapable de s’organiser seule ?

Gilbert Cette : Certaines propositions syndicales s’inscrivent encore dans une logique de tout attendre de l’Etat. Par exemple celle d’indexer les minima de branche sur le SMIC pour éviter des situations trop fréquentes où ces minimas sont dépassés par le SMIC. Cette proposition est surprenante, puisque la détermination des minima relève de la négociation collective. Les syndicats allemands ont récemment obtenu de fortes revalorisation des salaires dans plusieurs branches professionnelles, et ils n’ont pas demandé à l’Etat d’intervenir pour se substituer à eux. Les difficultés de recrutement actuelles renforcent le pouvoir de négociation des syndicats qui montrent par ailleurs dans le conflit sur la réforme des retraites une forte capacité de mobilisation. C’est à eux d’activer aussi cette capacité dans les branches et les entreprises pour y porter les attentes salariales.

Comment faire comprendre que l’Etat et la loi ne doivent pas tout gérer ?

Gilbert Cette : C’est d’abord beaucoup de pédagogie. Il faut faire comprendre que les décisions de l’Etat sont uniformes donc pas forcément adaptées aux contrastes des attentes et des situations économiques, des différents secteurs et entreprises. On est tous gagnants à ce que les points d’équilibre, les soient trouvés par la négociation collective au niveau le plus local possible. On a tous à y gagner.

Quand l’Etat décide de tout, ce que l’Etat n’interdit pas n’est-il pas de facto considéré comme acceptable, alors que cela ne l’est pas forcément ?

Gilbert Cette : Les personnes acceptent facilement la loi quand elle les protège, mais moins quand elle leur demande plus d’efforts. Les pouvoirs publics doivent rechercher le bien commun et celui-ci ne passe pas nécessairement par la loi. 

Comment s’atteler à la question du sens au travail face à la perte de sens massive que l’on semble observer ?

Gilbert Cette : Les enquêtes récentes, par exemple celle de l'institut Montaigne ou celle du CEVIPOF, montrent l'importance que les Français accordent au travail. Elles montrent aussi que, majoritairement, ils y trouvent satisfaction et fierté. Mais ils en attendent aussi davantage d'épanouissement. Et c'est sur cela qu'il faut travailler, en renforçant les mobilités professionnelles. Et en renforçant les possibilités de réaliser ses ambitions.

La loi, en France, n’a-t-elle pas trop tendance à pointer du doigt des « méchants » et des victimes, et souvent les entreprises ?

Gilbert Cette : Oui. Et on l’a encore vu dans la conjoncture actuelle d’inflation élevée. Certaines rares entreprises ont fait beaucoup de profits et on peut comprendre que cela fasse réagir. Mais il s’agit d’une minorité d’entreprises. Pourtant, un discours militant s’est emparé de la situation et l’a généralisé à toutes les entreprises. On doit cependant développer les dispositifs faisant bénéficier les salariés de la bonne fortune des entreprises qui les emploient. L’accord sur le partage de la valeur s’inscrit dans cette logique. Mais le dispositif le plus approprié pour cela est la participation, dont le renforcement serait un bon moyen de contribuer à la paix sociale.

Dans l’histoire des relations sociales en France, à quel point la trop grande intervention de l’Etat est-elle contreproductive ?

Gilbert Cette : Elle l’est souvent, parce que l’intervention étatique ne peut prendre en compte la diversité des situations. L’approche des ordonnances travail est. La bonne. La loi doit continuer à renforcer le pouvoir décisionnel des partenaires sociaux. 

Ne faut-il pas faire une révolution dans les têtes avant de changer la loi ?

Gilbert Cette : Bien sûr, mais pour que les changements se fassent dans les têtes, il faut que l’Etat se désengage pour emmener les acteurs et donc les gens à la responsabilisation. C’est une culture qu’il faut progressivement transformer. 

Sur la question du travail, est-ce qu’Emmanuel Macron peut proposer quelque chose qui aille vraiment dans le sens du malaise au travail ?

Philippe Crevel : Le problème est que les Français considèrent qu’ils ne sont pas suffisamment payés et qu’il y a des difficultés de pouvoir d’achat, point que le Président n’a pas beaucoup abordé lors de son allocution. Cette question se traduit par un problème de productivité. Le débat est de faire en sorte que le patronat puisse jouer le jeu. Mais comme sur les autres sujets, les marges de manœuvre sont extrêmement étroites pour refaire du travail une valeur centrale au sein de la société française.

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