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Après le scandale de la FIFA, celui des Panama Papers : Michel Platini, de la gloire du football aux déboires des affaires
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Bonnes feuilles

Comment l'ancien numéro 10 virtuose est-il tombé de son piédestal ? Meilleur joueur français de tous les temps selon de nombreux spécialistes, Michel Platini avait parfaitement réussi sa reconversion. Après la chute de son mentor, Sepp Blatter, au printemps 2015, le président de l UEFA devait, c'était écrit, lui succéder à la tête de la FIFA... De son enfance lorraine à la crise de la FIFA et au récent scandale des Panama Papers, l'enquête de Jean-Philippe Leclaire révèle les facettes les moins connues du triple Ballon d'Or. Extrait de "Platoche, gloire et déboires d'un héros français", de Jean-Philippe Leclaire, aux éditions Flammarion 2/2

Jean-Philippe Leclaire

Jean-Philippe Leclaire

Jean-Philippe Leclaire est rédacteur en chef à L'Equipe. Il est notamment l'auteur de "Platini, le roman d'un joueur (éditions Flammarion, 1998), récompensé par le prix du Meilleur livre de sport cette année-là. Il vient de publier "Platoche, gloire et déboires d'un héros français" (éditions Flammarion, 2016).

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Le 3 avril, le nom de Michel Platini figurait en bonne place dans une interminable liste de personnalités et d’institutions (Vladimir Poutine, David Cameron, Dominique Strauss-Kahn, la Société Générale, Patrick Balkany, Jérôme Cahuzac, Pedro Almodovar…) soupçonnés d’avoir eu recours à des sociétés écrans dans des paradis fiscaux afin de mieux planquer leurs millions. Après le paiement présumé déloyal de la FIFA, voilà l’homme qui n’aimait pas l’argent obligé de porter un autre chapeau tout aussi encombrant, celui des « Panama papers ». « Même s’il y a eu les histoires avec Blatter, retrouver Platini dans cette affaire de finance off-shore à l’échelle planétaire a été une très grosse surprise » reconnait Romain Verley, le rédacteur en chef adjoint de « Cash investigation », l’émission de France 2 qui a mené l’enquête sur les clients français du cabinet panaméen Mossack Fonseca, au centre du dossier. Verley pensait pourtant connaître son Platoche par cœur puisqu’il était déjà l’auteur du « Complément d’enquête » consacré à l’ancien footballeur, en 2014.

Entre Genolier et Panama-city, tout a commencé par une fuite au débit de tsunami : 11,5 millions de fichiers issus des entrailles de Mossack Fonseca, livrés par un lanceur d’alerte au journal allemand Süddeutsche Zeitung. Afin de traiter efficacement cette incroyable masse de documents, les Allemands font appel à un Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), soit cent six rédactions de soixante-seize pays. En France, « Cash investigation » et le journal Le Monde sont les heureux élus. Ils devront opérer dans le plus grand secret. « Grâce à des mots de passe qui changeaient toutes les trente secondes, nous avions accès à une sorte de matrice regroupant tous les fichiers où nous pouvions tester des noms, témoigne Romain Verley. Celui de Michel Platini est apparu à cause d’une demande des autorités américaines à Mossack Fonseca. Elles voulaient savoir si un citoyen américain détenait la société Balney Entreprises Corp, créée le 6 décembre 2007. Les Panaméens ont répondu, non, c’est un Français, et il s’appelle Michel Platini. »

L’équipe de « Cash investigation » se rend sur les bords du fameux canal. Le journaliste Benoit Bringer retrouve la directrice de Balney Entreprises, une certaine Yvette Rodgers. Elle ne réside pas au cœur du quartier d’affaires de Panama-city, mais à une trentaine de kilomètres de la capitale, en pleine campagne, dans une modeste maisonnette. Yvette Rodgers entrebâille sa porte mais refuse de l’ouvrir complètement. « Vous m’avez réveillée ! » se plaint celle qui dirigerait 7 000 sociétés écran, pour un salaire d’environ 1 000 euros par mois ! Yvette Rodgers n’est évidemment qu’un prête-nom, une femme de paille, qui permet à Michel Platini de ne pas apparaître officiellement comme directeur de Balney EC. Cette société a été elle-même créée par une banque suisse Baring Brothers Sturdza SA (rebaptisée Éric Sturdza depuis janvier dernier). Interrogé par « Cash investigation » et Le Monde, Michel Platini se contente de répondre dans un communiqué que « l’intégralité de ses comptes et avoirs sont connus de l’administration fiscale suisse, pays dont il est résident fiscal depuis 2007. »

Ce qui n’explique pas pourquoi le Lorrain de Genolier a eu recours au cabinet Mossack Fonseca afin de créer une société écran au Panama laquelle sert de pare-feu au compte Sturdza, et ce, dix mois seulement après son arrivée à la pré- sidence de l’UEFA. « Nous ne connaissons pas la somme qui a été placée sur ce compte. Nous savons seulement qu’il était encore actif en octobre 2015 » explique Romain Verley. L’équipe de « Cash Investigation » n’a pas non plus trouvé de lien entre le scandale de la FIFA et les « Panama Papers ». Les deux millions de francs suisses versés en février 2011 l’ont été sur un compte UBS (agence de Nyon) et pas chez Éric Sturdza. Sans qu’il soit, à ce stade, soupçonnable du moindre délit, un homme fait en revanche le lien entre les deux affaires : ancien haut responsable chez UBS, Jean-Paul Turrian est le conseiller de Michel Platini qui a rédigé la fameuse facture de deux millions, mais il est aussi un ami d’Éric Sturdza, le fondateur et propriétaire de la banque du même nom. Sturdza se présente comme un prince roumain et un ancien joueur de tennis de haut niveau. Lui et Turrian ont d’ailleurs l’habitude de taper ensemble dans la petite balle jaune sur les courts du TC Nyon. Turrian a-t-il conseillé à Platini d’ouvrir un compte chez Sturdza, par le biais d’une société écran basée au Panama ? « Je ne peux pas vous en parler, je n’étais pas du tout au courant » a répondu à L’Équipe Jean-Paul Turrian qui se présente officiellement comme le conseiller de Michel Platini, et son « homme de confiance pour les affaires régionales. »

Même embarras du côté de l’avocat fiscaliste suisse Philippe Kenel qui s’est porté au secours du président de l’UEFA dans l’affaire du paiement présumé déloyal, mais refuse d’être associé au scandale des « Panama Papers » : « Moi, je ne fais pas ce genre de choses, les sociétés off-shore, ce n’est pas mon truc1 . » Alors, de qui est-ce le « truc » ? Preuve que l’affaire est sérieuse : Yves Wehrli est, lui, monté au créneau. Pour la première fois depuis de longs mois, le patron français du puissant et renommé cabinet d’avocats Clifford Chance est sorti du bois afin de défendre son client et ami de vingt ans : « La détention de comptes bancaires par l’entremise de socié- tés n’a rien d’illégale à partir du moment où il s’agit d’informations déclarées, ce qui est le cas ici » a expliqué maitre Wehrli au Figaro2 . « Il s’agit d’une affaire strictement privée (...) qui n’a rien à voir avec le rôle de Michel Platini dans les instances mondiales du football, comme certains tendent à le faire croire. »

Reste que l’avocat ne répond pas à la question à x millions : en acquérant une société off-shore au Panama, Michel Platini a-t-il cherché à enfouir au plus profond du système bancaire un magot encombrant ? Ou s’est-il contenté de valider « à la Platoche », c’est-à-dire de loin, sans s’y intéresser vraiment, un montage financier flirtant avec la ligne jaune ? Même dans la moins pire des hypothèses, tant de légèretés accumulées finissent par peser lourd, très lourd.

Alors qu’il devrait aujourd’hui pourfendre la corruption comme président-chevalier blanc de la FIFA, Michel Platini passe pour une sorte de Thomas Thévenoud de la phobie financière. De la caisse noire de Saint-Étienne aux « Panama papers », en passant par ses piteuses affaires avec Genestar et le paiement présumé déloyal de Sepp Blatter, le Lorrain n’en finit plus de s’embourber dans ses complexes de néo-riche. « Michel, c’est Eliott Ness, un incorruptible ! » s’enflammait Jacques Vendroux avant le début des affaires. Moins d’un an plus tard, même ses plus proches se désolent de ce manque de maturité. À défaut d’aimer l’argent, le détenteur de la société panaméenne Balney EC aurait au moins dû essayer d’en comprendre les mécanismes, les attraits et les dangers.

« Ma vie est un roman dont j’ai été plusieurs personnages » s’amuse l’insaisissable. Après le ratz, le Gros, Platoche, le Roi, l’Ange Bleu, le sélectionneur, l’homme d’affaires, le chef de famille, le candidat, le président, le Panaméen de papier, quel autre personnage va-t-il désormais s’inventer afin de renouer avec tout ou partie de son si glorieux passé ?

Extrait de "Platoche, gloire et déboires d'un héros français", de Jean-Philippe Leclaire, publié aux éditions Flammarion Pour acheter ce livre, cliquez ici

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