Apprendre une langue étrangère en dormant ? Ça pourrait être possible<!-- --> | Atlantico.fr
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Une récente étude montre qu'il est possible d’apprendre le japonais en dormant.
Une récente étude montre qu'il est possible d’apprendre le japonais en dormant.
©JOHN MOORE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Rêves

Une récente étude montre qu'il est possible d’apprendre le japonais en dormant.

Matthieu Koroma

Matthieu Koroma

Matthieu Koroma est chercheur post-doctorant au Physiology of Cognition Lab au GIGA Institute de l’Université de Liège. Matthieu Koroma est coordinateur du ALIUS Research group, un groupe de recherche international et interdisciplinaire dédié à l'étude de la diversité de la conscience. Il participe au comité éditorial de l'ALIUS Bulletin.

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Atlantico : Votre récente étude montre la possibilité d’apprendre une langue étrangère – en l’occurrence le japonais - en dormant. Quelles sont les possibilités d’apprentissage dans ce contexte ? Et quelles sont les limites de cet apprentissage ? 

Matthieu Koroma : Depuis une dizaine d’années, on sait qu’il était possible d’apprendre de nouvelles informations en dormant. Néanmoins, jusqu’ici, cet apprentissage se révélait relativement simple. Il consistait à associer par exemple des sons ou des odeurs entre elles. Ainsi, il a été démontré que diffuser une odeur de cigarette avec une odeur de poisson pourri pendant le sommeil permettait de diminuer sa consommation de cigarettes ! Ce qu’on ne savait pas encore jusqu’ici, c’est à quel point des informations plus complexes, comme celles d’une langue étrangère, pouvaient être apprises en dormant.

En jouant des mots japonais avec des sons caractéristiques (comme inu signifiant chien avec un son d’un aboiement), on a pu montrer que les gens une fois réveillés pouvaient identifier l’image (par exemple ici un chien plutôt qu’une cloche) correspondait aux mots qui leur ont été joués pendant le sommeil. Cet apprentissage s’est révélé somme toute plutôt faible et nécessitait beaucoup de répétition. Il restait aussi implicite, c’est-à-dire que les gens n’étaient conscients des informations apprises pendant le sommeil. Cela a contrasté fortement avec un apprentissage à l’éveil qu’on a testé avec le même protocole. Celui-ci s’est révélé beaucoup plus efficace, rapide et explicite, c’est-à-dire que les gens étaient conscients des informations apprises pendant le sommeil.                 

L’apprentissage du sommeil est donc possible mais fortement limité par rapport à l’éveil. On ne sait pas encore s’il dépend des stades de sommeil dans lequel les informations sont présentées, s’il se maintient à long terme, et s’il dépend des différences entre les capacités d’apprendre des gens. Il reste donc encore des recherches à mener pour mieux comprendre les possibilités et limites de cet apprentissage.

Quels sont les mécanismes qui rendent cet apprentissage possible d’un point de vue cognitif ? 

En analysant les réponses cérébrales lors de la présentation des mots japonais durant le sommeil, on a montré que les ondes lentes, des rythmes caractéristiques du sommeil, sont amplifiés pour les mots qui seront ensuite retenus par rapport aux mots oubliés. Ces ondes lentes avaient été préalablement associées à d’autres types d’apprentissage du sommeil, nos résultats viennent donc confirmer son rôle dans les processus de mémoire du sommeil.

Quelle a été la méthode que vous avez appliquée pour observer ces résultats ?

 Ces résultats ont donc été observé à la fois dans la capacité des gens à reconnaître les images correspondant aux mots japonais, dans leur confiance accordée à leur réponses (ce qui nous a permis de savoir s’ils étaient conscient de leur apprentissage) et dans les tracés cérébraux pendant le sommeil mesuré avec l’électroencéphalographie, une technique enregistrant l’activité électrique du cortex cérébral, la couche la plus superficielle du cerveau.

Certains mots de japonais peuvent être assimilés en dormant, peut-on penser que cela serait pareil pour d’autres langues ? Y aurait-il un possibilité d’assimiler d’autres connaissances ?

Le choix du japonais était stratégique dans notre expérience : c’est une langue éloignée du français mais malgré tout simple dans les types de sonorités qu’elle utilise, un enchainement de consonnes et de voyelles. Pour des langues avec des registres de sons plus complexes, comme par exemple la présence de certains accents dans d’autres langues asiatiques, l’apprentissage pourrait nécessiter d’abord d’assimiler les sons propres à la langue et donc serait plus difficile. La connaissance d’une langue dépasse également la connaissance de son seul vocabulaire : elle recoupe aussi la connaissance de la grammaire par exemple. On est donc encore loin d’apprendre totalement une langue en dormant. Néanmoins, nous avons montré avec cette expérience que l’apprentissage du sommeil, bien que limité, est bien plus complexe que ce que l’on croyait auparavant.

Un individu peut-il, par lui-même, mettre en place les outils pour procéder à cet apprentissage chez lui ?

En réalité, comme l’a montré notre expérience, on sait depuis un certain temps que le sommeil est davantage optimal pour renforcer un apprentissage réalisé à l’éveil pendant la journée par rapport au fait d’apprendre des informations entièrement nouvelles. Ainsi, on sait que rejouer pendant le sommeil des sons associés à un apprentissage réalisé avant de se coucher est très efficace pour augmenter cet apprentissage, une technique appelée la Réactivation ciblée de la mémoire.

Si une personne souhaite augmenter son apprentissage pendant le sommeil, il est préférable qu’elle apprenne d’abord ces informations à l’éveil et qu’elle les rejoue ensuite pendant le sommeil. Néanmoins, le volume sonore ne doit pas être trop fort ! Sinon cela perturbe le sommeil avec des effets négatifs sur l’apprentissage. Le sommeil est donc un processus délicat, et de nombreuses études sont en cours pour optimiser l’apprentissage du sommeil dans des contextes variés, de l’apprentissage d’une langue à la réhabilitation motrice ou à dans des contextes thérapeutiques pour arrêter de fumer ou modifier les processus d’apprentissage lors des rêves.

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