Apprendre en gobant une pilule : la prédiction d’un des pontes du MIT est-elle crédible ?<!-- --> | Atlantico.fr
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D'ici 30 ans, l'homme sera capable d'avaler l'information au travers de pilules, selon un professeur du MIT.
D'ici 30 ans, l'homme sera capable d'avaler l'information au travers de pilules, selon un professeur du MIT.
©DR

Dérives

D'ici 30 ans, l'homme sera capable d'avaler l'information au travers de pilules. C'est en tout cas ce qu'a déclaré Nicholas Negroponte, informaticien et professeur de la mythique université technologique MIT, lors de la dernière conférence TED à Vancouver, le rendez-vous des geeks.

Philippe Vernier

Philippe Vernier

Philippe Vernier est Directeur de Recherche au Centre national de la recherche scientifique, et est le directeur de l’Institut des Neurosciences Paris-Saclay (CNRS Université Paris Sud).
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Atlantico : D'ici 30 ans, d'après Nicholas Negroponte, l'homme sera capable d'avaler littéralement l'information, au travers de pilules (voir ici). Le projet semble fou, mais l'informaticien soutient qu'il l'est moins qu'il n'en a l'air. Est-ce crédible ? 

Philippe Vernier :Cette proposition semble en fait totalement irréaliste et ne repose sur aucun fondement solide. Ce n’est pas parce que les mécanismes de la mémoire dépendent en partie de l’action de molécules dans les cellules de certaines régions cérébrales qu’il est possible d’imaginer qu’un médicament pris par la bouche puisse transférer de l’information dans le cerveau, comme semble le proposer Nicholas Negroponte. Les capacités de stockage des informations dans le cerveau reposent effectivement sur des mécanismes moléculaires et cellulaires que l’on connaît de mieux en mieux, mais la mémorisation nécessite de la part de chacun une démarche d’apprentissage actif qu’aucune pilule ne pourra jamais remplacer. Nicholas Negroponte est un fin connaisseur de l’informatique et des technologies de l’information, mais il semble moins bien connaître les mécanismes biologiques de la mémoire animale et humaine. 

Sur quoi se basent ces théories ? Quels sont les éléments susceptibles de laisser penser qu'il sera un jour possible de mémoriser tout un pan du patrimoine humain de cette façon ? Le fonctionnement de la mémoire est-il compatible avec ce genre de recherches ? Comment fonctionne-t-elle ?

Il n’est pas facile de comprendre sur quelles données se fondent les propositions de Nicholas Negroponte. Ce n’est pas parce que des assemblages complexes de molécules jouent un rôle central dans les mécanismes de la mémoire, que l’on sera capable de les manipuler de façon prédictible, et de savoir parler anglais après avoir avalé une pilule comme il le suggère. Et même la probabilité que le cerveau humain puisse apprendre de très grandes quantités d’informations (des millions de pages de l’histoire de l’humanité par exemple) et d’être ensuite capable de les restituer, est également voisine de zéro. La mémoire humaine est le fruit d’une évolution qui a sélectionné des mécanismes utiles pour la survie de l’espèce. Il s’agit d’être capable de vivre dans un environnement particulier, en l’occurrence la société des hommes et la nature que l’homme transforme pour son profit à relativement court terme. Notre mémoire est faite essentiellement pour apprendre ce qui est utile à notre vie de tous les jours, pour anticiper le futur et savoir réagir correctement aux situations qui se présentent à nous, pas pour servir d’archives à l’ensemble des connaissances.

A défaut de pouvoir forcer la mémoire à engranger autant de données aussi vite, n'est-il pas possible pour autant de lui donner un petit coup de pouce ? Cela implique-t-il nécessairement des produits chimiques ?

 Le cerveau possède des capacités de mémorisation qui sont limitées -même si elles sont très grandes- et variables d’un individu à l’autre. Il y a aussi différentes catégories de mémoire, la mémoire à court terme (quelques secondes à quelques minutes), la mémoire dite « de travail » qui met en concordance les différents éléments de l’apprentissage, la mémoire à long terme, que ce soit celle des évènements vécus (histoire personnelle et du monde qui nous entoure…), celle de nos capacités physiques (apprendre à écrire, à jouer du violon, à faire du vélo…), celle de l’apprentissage encyclopédique (la grammaire, les mathématiques, l’histoire…). Ces mémoires à court ou long terme peuvent aussi prendre des formes de mémoires particulières, comme la mémoire spatiale, la mémoire des visages… etc.

Il faut aussi souligner qu’un des aspects les plus importants de la mémoire est en fait la capacité de restitution. A quoi sert-il d’apprendre des quantités de choses si l’on n’est pas capable de s’en souvenir au bon moment ? Le souvenir est en général facilité par des associations d’idées ou des circonstances, comme la madeleine trempée dans le thé permet à Marcel Proust de se rappeler le petit déjeuner de sa tante Léonie à Combray.   

Le meilleur moyen d’améliorer sa mémoire reste de la faire travailler autant que possible, de s’en servir autant que possible.

Finalement, à vouloir booster la capacité mémorielle de l'homme, ne risque-t-on pas de faire courir un danger au cerveau ? A l'organisme ? Quels sont ces dangers s'ils existent ?

L’idée qu’un traitement pharmacologique puisse améliorer certains aspects de la mémorisation n’est pas absurde, et c’était peut-être aussi un élément qui a justifié les propos de Nicholas Negroponte. Il existe un petit nombre de médicaments, comme le modafinil, la ritaline et les amphétamines, qui sont capables d’améliorer un peu l’apprentissage et la mémorisation chez des personnes saines. Mais ces médicaments, qui font partie de ce que l’on appelle les « smart pills » (pilules intelligentes), sont effectivement dangereux et certains sont des drogues (l’amphétamine). En diminuant la sensation de fatigue, il font courir des risques de défaillance physique parfois graves, et peuvent aussi provoquer des troubles digestifs, cardiaques, en plus d’augmenter le risque de basculer dans la dépression ou d’autres troubles psychiatriques.

 Les chercheurs essaient aussi de développer des médicaments capables d’aider la mémoire défaillante, comme c’est le cas au cours de la Maladie d’Alzheimer, plutôt que d’augmenter la mémoire existante. Ces médicaments restent encore peu efficaces, mais c’est une voie de recherche importante aujourd’hui. 

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