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Application Direct Citoyen : l’UMP saura-t-elle réussir le délicat pari du participatif ?
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Paroles numériques

L'UMP vient de lancer une application mobile, destinée à donner la parole aux sympathisants de droite. Mais la méthode, déjà expérimentée auparavant, risque bien de faire chou blanc.

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse, à l'université Paris-Panthéon-Assas. Responsable de la Licence information communication de l'IFP et chercheur au CARISM, il est aussi président du site d'information The Conversation France.

Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

Le journalisme, Arnaud Mercier

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : L'UMP a lancé mercredi 13 mai l'application Direct Citoyen. "Le but est d'engager un dialogue quotidien entre dirigeants, cadres, sympathisants et adhérents" a déclaré le responsable numérique du projet. Une telle initiative a-t-elle des chances de remporter l'adhésion ?

Jean Petaux : On comprend bien, aujourd’hui, que les partis politiques cherchent à diversifier leurs modes de relation avec les « citoyens » (terme forcément imprécis qui désigne tous ceux que les partis politiques ne parviennent plus à toucher désormais). Il en va pour eux, en quelque sorte, une question de survie. En réalité, il me semble que les résultats peuvent être très minces. La marge de progression en termes d’audience pour les partis politiques est forcément limitée.

La principale illusion à laquelle ils s’exposent c’est de croire qu’ils parviennent, par ces nouveaux modes de communication et d’expression, à entrer en contact avec des populations jusqu’alors non sensibles et non réceptives à leur message. Comme si l’utilisation de nouveaux canaux, de nouveaux réseaux, permettaient une réception nouvelle. Le changement de contenant (le vecteur ou le support) induirait un message nouveau, un contenu plus à même d’atteindre une « clientèle » nouvelle. En fait c’est sans doute un vœu pieux. Il est sans doute trop tôt pour préjuger du résultat mais selon toute vraisemblance ce sont les plus politisés et les plus motivés des sympathisants qui « vont engager le dialogue » avec les dirigeants du parti. En d’autres termes : « on prend les mêmes et on recommence »…  Conclusion (partielle pour l’instant) : « aucun accroissement de l’audience de l’UMP, juste un changement de forme de communication interne ».

Arnaud Mercier : Quand on se remémore l’échec total qu’ont été les deux expérimentations faites par le PS et l’UMP d’une plateforme participative interne aux partis politiques, on a de sérieuses raisons de douter de l’efficacité de ce nouveau dispositif. En fait, il y a une forme de faute de raisonnement qui prévaut lors de la mise en place de ces initiatives. Les citoyens intéressés par la vie partisane sont très minoritaires, et encore plus minoritaires s’il s’agit d’y adhérer et d’y être très actif. Beaucoup de gens s’excluent de ce jeu partisan parce qu’ils se sentent incompétents politiquement. Beaucoup aussi parce que les partis politiques et les politiques conduites lors de leur présence au gouvernement les ont déçus. Ajoutons qu’une majorité de Français se montre dans les sondages critique vis-à-vis des joutes partisanes qu’ils jugent souvent stériles et vaines.

Le sentiment d’éloignement vis-à-vis des dirigeants politiques et des partis a donc grandi chez les citoyens. Cela n’est pas d’abord le fruit d’un manque d’outils de communication ou participatif. Quand le PS ou l’UMP décident d’agir sur ce levier (des dispositifs participatifs) en pensant rebâtir des passerelles entre les citoyens et les partis, ils se trompent dans l’ordre des priorités. Ouvrir un dispositif participatif dans un espace où les gens ne vont jamais car ils nourrissent une indifférence ou un rejet des structures partisanes, ne résoudra rien du tout ! Il faut au préalable retisser des liens de confiance, du désir partisan, de la foi militante, pour espérer que beaucoup de citoyens viennent s’emparer de ces dispositifs participatifs. Les seuls qui sont susceptibles de faire vivre cette application sont les militants déjà  convaincus et très engagés. Les adhérents peu actifs risquent fort de ne pas beaucoup plus s’investir là-dedans. Quant aux sympathisants, même s’ils ne se sentent pas éloignés de l’UMP, les convaincre d’utiliser cette application dépendra a minima des engagements pris concernant les retombées à attendre des propositions participatives formulées. Les dirigeants politiques doivent toujours avoir en tête qu’un dispositif participatif quel qu’il soit, est toujours une promesse ! La promesse pour ceux qui jouent le jeu de la participation que leur voix sera entendue si elle est forte et très partagée. Dès lors qu’il y a doute sur l’impact réel de ses efforts à participer, dès lors qu’il y a crise de confiance entre citoyens et partis, l’incitation à participer devient quasi nulle.

Que peut espérer l'UMP à  travers cette application ?

Arnaud Mercier : Je pense que ses dirigeants seraient avisés de ne pas trop en attendre. Si cela doit marcher un jour, cela se fera dans le temps, progressivement, en agrégeant aux pionniers qui y croyaient dès le début, de nouveaux venus, arrivés là grâce aux éloges entendus et aux résultats observés. Il serait vain d’attendre un élan spectaculaire de participation grâce à une simple appli. Bien sûr, l’application mobile est une excellente idée dès lors qu’on constate que le trafic internet se fait de plus en plus souvent sur supports mobiles (téléphones ou tablettes) et/ou en mobilité. Autant offrir un produit qui soit au goût du jour, adapté aux pratiques sociales  montantes. Ils peuvent aussi s’attendre, à devoir gérer les problèmes de dérapages verbaux induits  par ce type de dispositif, avec des gens qui s’expriment de façon agressive, en s’affranchissant de certaines règles légales (injures publiques, diffamation…). Peut-être que les cadres et élus du parti vont beaucoup l’utiliser, qu’ils vont se l’approprier comme un outil de coordination davantage que comme un cadre coopératif ?

Désir d'avenir en 2006 avec Ségolène Royale, CooPol en 2010 par Martine Aubry, Créateurs du possible en 2010 par l'UMP... Quel bilan peut-on faire des principales plateformes collaboratives à l’initiative des formations politiques françaises ? Et quels enseignements peut-on en tirer sur ce qui en conditionne la réussite ou l'échec ?

Jean Petaux : Un bilan très mitigé, pour ne pas dire tout simplement négatif. Dans tous les cas que vous citez, on a assisté à un dégonflement complet de la baudruche communicationnelle. « Désir d’avenir » a montré très vite les limites de son audience avec une Ségolène Royal qui a sombré dans la lutte interne du congrès de Reims du PS en 2008 ; « CooPol » en 2010 n’a pas sombré puisqu’il est mort-né… Quant à « Créateurs du possible » en 2010, il suffit de « googler » cette expression pour être édifié : le site a été fermé au bout de … deux jours.

Les partis politiques pensent qu’il suffit qu’ils créent un site de rencontres pour avoir le succès de « Meetic » ou de « Copains d’avant ». C’est pathétique et assez triste en fait. Surtout révélateur d’un déficit complet d’imagination et d’un état carencé aigu en matière de projet politique. C’est un échec sur toute la ligne. La principale raison c’est que la création d’un nouveau mode de communication ne tient pas lieu de programme. Quand le PS de François Mitterrand reprenait un vers de Rimbaud et se donnait comme slogan « Changez la vie » on était libre ou non de prendre cela pour une vaste fumisterie mais en tout état de cause ce slogan était porteur de contenu, il disposait de sa propre force programmatique. Il proposait une alternative. Tout comme d’ailleurs le fameux « Travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy ou encore « Ensemble tout est possible ». La question n’était pas de savoir si cela passait par des réseaux sociaux ou des sites de rencontres, des plateformes collaboratives et autres inventions communicationnelles. Cela existait un point c’est tout. Et cela a fonctionné auprès des électeurs qui y ont cru. Il  ne s’agit pas savoir si c’est bien ou mal ; si c’est bon ou mauvais ; juste ou injuste. En matière électoral, il s’agit de vérifier si l’électorat le croit ou pas. S’il vous a cru vous gagnez, s’il ne vous a pas cru vous perdez. Tout le reste relève du roman de gare ou de la « Semaine de Suzette » (célèbre revue enfantine pour filles de 1905 à 1960 dont la lecture provoquerait une série de crises cardiaques à toutes les adeptes de la « théorie du genre »…).

Arnaud Mercier : A part les sites Désirs d’Avenir (qui fonctionnaient un peu comme des succursales d’un franchise globale) et qui bénéficiaient de l’attrait de la nouveauté, les autres promesses participatives n’ont pas été assez garanties au départ, pour inciter beaucoup de citoyens à se mobiliser via ces outils. Dès l’expérience de la campagne de Ségolène Royal, les citoyens mobilisés ont pu se rendre compte que toutes les promesses participatives n’avaient pas été tenues. Les forces politiques doivent gagner en crédibilité sur la question de l’impact réel des idées émises avant d’espérer voire une foule de citoyen s’approprier les plateformes collaboratives.

Pourquoi les formations politiques ont elles aujourd'hui besoin de modifier leurs canaux de communication avec leurs électeurs ?

Arnaud Mercier : C’est en tout cas ce qu’elles croient. Pourtant un nouveau canal de communication ne contribue pas spontanément, comme par magie, à rapprocher des citoyens désabusés de forces politiques qui sont loin d’avoir fait leur révolution culturelle. Attention à ne pas transformer ce type d’outil en un gadget, lié à une pure opération de communication, car la promesse de peser sur certaines orientations ou décisions doit être tenue en bout de chaîne.

L'électorat de droite, depuis les manifestations contre le "Mariage pour tous", a montré qu'il pouvait se mobiliser "contre". Le fait de se mobiliser "pour" un programme, d'être une force de proposition, vous semble-t-elle sur le même diapason avec les attentes des sympathisants ?

Jean Petaux : C’est une question centrale et stratégique. De fait, on constate depuis toujours que la mobilisation « contre » est bien plus facile à opérer  que la mobilisation « pour ». Il aura fallu le quasi-chaos (plus folklorique que révolutionnaire d’ailleurs) de mai 68 pour que les Gaullistes « osent » se mobiliser sur les Champs-Elysées dans une manifestation célèbre, juste après l’intervention radiodiffusée du général de Gaulle, le 30 mai 1968. Presqu’un mois de manifestations hostiles et de plus en plus revendicatives et vindicatives pour que les soutiens du général sortent dans la rue et manifestent leur soutien au président de la République. Et encore a-t-il fallu la mobilisation d’une frange activiste (les CDR : Comités de Défense de la République) essentiellement construits et agglomérés sur les (beaux) restes du fameux SAC (Service d’Action Civique) qui avait servi de quasi-milice gaulliste pendant la guerre d’Algérie contre les assassins de l’OAS.

En réalité la mobilisation pour un programme est très difficile à organiser. Il peut y avoir des manifestations « spontanées » pour telle ou telle infrastructure, telle ou telle loi, telle ou telle fraction au pouvoir, mais, de facto, la « majorité silencieuse » a plutôt vocation à le rester… Les sympathisants de l’UMP et de l’UDI qui ont manifesté contre le mariage pour tous auront sans doute été fort troublés de constater que nombre de parlementaires d’opposition se sont abstenus de voter au Parlement pour ce projet de loi Taubira.

Si cette application intègre la stratégie de mutation de la droite, vers plus de participation, plus d'ouverture et plus de consultation des sympathisants, quelle part d'évolution dans les modes d'expression des sympathisants, ou de difficultés à être une force de proposition efficace, peut-on lui attribuer ?

Jean Petaux : Nicolas Sarkozy n’en a rien à faire de l’opinion des militants et des sympathisants. Pourquoi un homme politique, président de la République pendant cinq ans, qui a traité à plusieurs reprises son premier ministre (François Fillon) de « collaborateur »,  prendrait-il en compte, subitement, l’opinion d’un « sympathisant lambda » ? Aurait-il été touché par la grâce du doute participatif ou par le souci de bien faire ? Ni l’une ni l’autre de ces réponses ne vaut vraiment. En réalité, l’appel aux militants est bien une ruse des dirigeants politiques (la « ruse de Métis », la divinité grecque toujours imaginant des configurations nouvelles destinées à gagner par la ruse) qui est destinée à pallier leur déficit de soutien et d’audience. « Je suis leur chef donc je dois les suivre » tient lieu, d’ores et déjà, de slogan et devise. En réalité les propositions formulées par les sympathisants et les adhérents de base, ne servent à rien. Et il est complètement illusoire de considérer que ceci est un trait qui vaut pour la gauche et pas pour la droite ou inversement. On comprend ici que pour ce qui est de devenir une force de proposition efficace, il conviendra d’attendre !

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