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Antidépresseurs : une prescription sur deux injustifiée, à qui la faute ?
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Le spleen

Si vous prenez des antidépresseurs depuis plus de 8 mois, vous souffrez d'une dépression récidivante exceptionnelle... sauf si votre médecin est dans l'erreur totale, comme dans 50% des cas. Alors qu'aux Etats-Unis, on s'interroge sur la "génération Prozac", la situation n'est pas moins alarmante en France.

Bertrand  Gilot

Bertrand Gilot

Après avoir été chef de clinique-assistant dans des hôpitaux parisiens, Bertrand Gilot exerce la psychiatrie de ville. Il fonde sa pratique et sa réflexion sur une expérience dans les institutions publiques, l'urgence hospitalière et les activités universitaires, sans oublier son parcours scientifique. Il est l'auteur de Antidépresseurs : faut-il en prendre ou pas ?.

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Atlantico : Vingt-cinq ans après l’avènement du Prozac aux Etats-Unis, c’est toute une génération qui a été nourrie aux antidépresseurs. Pourtant, la prise de médicaments à vie semble montrer qu’on ne peut pas guérir de la dépression, donc que les antidépresseurs sont inefficaces. Peut-on prouver leur efficacité réelle ?

Bertrand Gilot : Ce serait aller trop loin que de dire que les antidépresseurs ne sont pas efficaces. Les études montrent qu’ils le sont en cas de dépression sévère. C’est là que réside le problème : quand doit-on prescrire les antidépresseurs ? Selon les études de l’assurance maladie, il est probable qu'une prescription sur deux soit injustifiée en France, soit parce que les médicaments sont prescrits en-dehors de leurs indications, soit parce qu’ils sont prescrits trop longtemps… voire alors que le patient ne souffre d’aucun trouble psychologique.

Aux Etats-Unis, les antidépresseurs sont facilement prescrits par les services médicaux des universités. Aussi, beaucoup de traitements commencent dès l’adolescence. Il semble également que le traitement à vie y soit socialement accepté, et que la prescription sans limite temporelle soit monnaie courante. La situation est-elle semblable en France ?

Le problème chez les jeunes n’est pas de la même envergure en France. Néanmoins, si l’on prend en compte l’ensemble de la population, on constate que la prescription s’étend souvent sur plusieurs années. Nous, psychiatres, voyons souvent passer la porte de notre cabinet des personnes qui ont été sous traitement pendant 5,10 ans, parfois plus, alors que les consensus scientifiques internationaux préconisent de se pencher sur la prolongation du traitement qu'en cas de récidive, 6 mois après la guérison des symptômes. Soit 7 à 8 mois de traitement au total. Au contraire, les indications de traitement prolongé, voire à vie sont extrêmement rares. Elles sont réservées à des cas exceptionnels de dépression récidivante. Car l’efficacité des antidépresseurs se manifeste en 2 à 4 semaines. Si après ce laps de temps, le traitement ne fonctionne pas, on le remet en cause – dosage ou produit. Officiellement, la prescription sans limite de temps n’existe pas ou presque.

Mais la difficulté aujourd’hui est d’accepter l’arrêt du traitement. Pas au niveau du patient, vues les asymétries d’information entre patient et médecin, mais au niveau du practicien. La reconduction du traitement résulte en général plus d’une peur de la part du médecin des conséquences dommageables de l’arrêt, et non d’une décision délibérée de prescrire un long traitement. C’est un peu une forme de laisser-aller.

La faute à qui : au laxisme des médecins uniquement ? Aux abus des patients ? A la société trop stressante ? A l’activisme des laboratoires pharmaceutiques ? A la complaisance des pouvoirs publics qui ne requièrent pas d’études d’impact à long terme ?

On pointe souvent le patient du doigt. Pourtant, c’est souvent le prescripteur qui est mis en cause. Ce sont des médicaments accessibles uniquement sur ordonnance et j’ai rarement vu des patients insister, au cours de ma carrière. De ce côté-ci, nous avons un énorme problème de formation des médecins, notamment des généralistes, qui représentent 90% des prescripteurs d’antidépresseurs. Ils le font en toute bonne foi – je ne veux pas leur jeter la pierre – ils essaient d’aider leurs patients avec les outils obtenus de leur formation. Malheureusement, la formation concernant l’usage des psychotropes est à ce jour insuffisante.

Il faut savoir que dans plusieurs pays d’Europe, donc des pays très proches de nous, la prescription de psychotropes est réservée aux spécialistes, ce qui n’est pas le cas en France. Aujourd’hui psychiatres, dermatologues, généralistes ou médecins du foie peuvent prescrire ces médicaments.

Pour ce qui est du stress, on peut tous avoir un avis là-dessus, mais à cet égard une étude m’a beaucoup frappé : en 2011, l’enquête « la voix des peuples » réalisée par  l’insitut de sondage BVA Opinion, montrait que les Français étaient plus pessimistes sur leur avenir que les Irakiens ou les Afghans. En lisant cela, on peut se dire qu’il y a un problème dans la perception du niveau de contrainte auquel nous sommes soumis. Bien sûr, la société présente des caractères « stressants », présente des difficultés qui ne sont pas les mêmes que celles auxquelles nous étions confrontés il y a 20 ou 30 ans. Toutefois il n’est pas normal qu’on soit plus pessimiste que les gens qui vivent à Bagdad aujourd’hui. C’est donc la façon dont nous appréhendons notre situation qui « va de travers ».

Les pouvoirs publics, eux, se désintéressent complètement de la question, bien que cela représente un coût énorme pour la collectivité.

Concernant l’industrie pharmaceutique, il est certain qu’elle exerce une pression marketing colossale, une pression de prescription, qui touche tous les médecins. Le discours tend à faire croire que les antidépresseurs sont efficaces sur toutes les « tracasseries ». Or toutes les émotions négatives ne sont pas des maladies et ne sont pas forcément susceptibles d'être traitées. On médicalise des émotions qui sont normales. Elles nous permettent d’agir sur ce qui nous entoure et de réagir à ce qui nous contrarie.

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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