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Une bataille judiciaire s’est ouverte mardi 12 septembre entre le gouvernement des États-Unis et Google
Une bataille judiciaire s’est ouverte mardi 12 septembre entre le gouvernement des États-Unis et Google
©ENZO TRIBOUILLARD/AFP

Procès historique

Mardi 12 septembre s'ouvrait un procès historique à Washington, entre les États-Unis et Google, pour savoir si l'entreprise technologique doit le succès de son moteur de recherche à ses performances ou en raison de pratiques anticoncurrentielles.

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : Une bataille judiciaire s’est ouverte mardi 12 septembre entre le gouvernement des États-Unis et une des entreprises les plus puissantes du monde : Google. Mais que reprochent les États-Unis à Google ? 

Julien Pillot : Bien peu de choses par rapport à ce qui était envisagé au départ. Le juge Amit Mehta qui préside au procès a pris la décision de retoquer les poursuites à l’encontre d’Alphabet pour ses pratiques sur le marché de la publicité digitale (contrairement à la Commission européenne qui s’est saisie du sujet et a communiqué les griefs à Alphabet en juin dernier) pour ne retenir que le marché des moteurs de recherche où Google Search aurait présumément abusé position dominante. Il est reproché à la firme de Mountain View d’avoir payé pendant de nombreuses années des opérateurs de systèmes d’exploitation ou des constructeurs d’appareils connectés pour que Google Search soit préinstallé, cité comme moteur de recherche par défaut et parfois même en exclusivité. Il s’git donc d’une pratique qui peut être de nature à potentiellement exclure les concurrents du marché, ou à entraver l’innovation, au détriment du consommateur. De plus, Alphabet étant également propriétaire du système d’exploitation Android, cette pratique pourrait être assimilée comme un mécanisme d’auto-promotion et de rétrogradation des offres rivales.  

Google a-t-il vraiment abusé de son pouvoir de monopole pour dominer le secteur des moteurs de recherche ? 

Le procès vient de s’ouvrir. Les différentes parties au procès vont avancer leurs arguments avec des études économiques en appui. D’un côté, le DOJ (Department of Justice) va expliquer que les pratiques de Google ont eu pour effet de verrouiller le marché de la recherche en ligne en créant des barrières à l’entrée incontournables et à cantonner les rivaux à des parts de marché confidentielles, la plupart des utilisateurs ayant une énorme propension à utiliser les solutions installées par défaut. Cela expliquerait pourquoi les opérateurs comme Yahoo, Bing ont du mal à avoir une part de marché significative. Il faudra démontrer que ces pratiques se soldent par une limitation du choix pour le consommateur, qui est très fortement incité à utiliser Google, de nature à porter préjudice à l’ensemble des parties prenantes (consommateurs, rivaux, complémenteur) ainsi qu’à la capacité d’innovation sur ce marché. 

De l’autre, Google va se défendre et essayer de prouver que ses pratiques ne sont pas de nature à fermer complètement la concurrence du marché. Google va essayer de prouver que le fait qu’il soit dominant sur le marché est lié au fait qu’il soit meilleur que les autres. Les internautes, lorsqu’ils ont le choix entre Google et les autres moteurs de recherche, vont spontanément sur Google car ils auraient identifié que ce moteur est plus performant, plus rapide, plus intuitif, plus ergonomique. Et que le fait que la plupart des internautes du monde occidental utilise le même moteur de recherche est favorable à l’ensemble, car cela ne fait que renforcer l’algorithme et donc la qualité des résultats. En d’autres termes, Google va tâcher de convaincre que le marché des moteurs de recherche est une sorte de « monopole naturel » à frange concurrentielle et que Google Search a acquis cette position dominante par ses mérites. 

Cette bataille sera donc juridico-économique. Les deux parties vont opposer leurs arguments. Le juge de la concurrence devra trancher à  la lumière de ces débats et au regard des éléments de preuve que vont apporter les deux parties. 

À quoi peut-on s’attendre au cours de ce procès ? Et à son issue ? 

En cas d’abus de position dominante, plusieurs sanctions sont théoriquement possibles. Cela peut aller de la sanction financière jusqu’au démantèlement. Si l’entreprise est reconnue coupable d’abus de position dominante, une amende lui sera adressée. Elle peut aller jusqu’à un certain pourcentage de son chiffre d'affaires en guise de réparation du préjudice que les acteurs du marché ou les consommateurs ont subi. Si l’abus de position dominante était caractérisé, on peut aussi s’attendre à ce que l’entreprise doive mettre fin immédiatement à ses pratiques, avec astreinte pour chaque jour de retard. A titre personnel, je pense que les remèdes comportementaux qui pourraient être prononcés visent moins le marché du Search que les marchés émergents, notamment ceux liés à l’intelligence artificielle : il ne faudrait pas que de tels accords d’exclusivité puissent entraver le jeu concurrentiel sur ces marchés à très fort potentiel.  

On pourrait aussi imaginer des mesures structurelles, de type démantèlement. J’ouvre d’ailleurs une parenthèse pour dire que cette option a été ouvertement mise sur la table par la Commissaire Européenne à la concurrence, Mme. Margrethe Vestager, lors de sa conférence de presse du 13 juin dernier, pour ce qui concerne les pratiques d’Alphabet sur le marché de la publicité en ligne. A titre individuel, je ne crois pas que le procès américain aille jusque-là. Bien que cela soit tout à fait envisageable sur le plan légal et technique, je vois mal le DOJ prononcer ce type de sanctions contre un de ses géants nationaux, à plus forte raison dans un contexte de guerre froide politico-économique avec l’Asie.  

En cas de victoire de Google, est-ce qu’il y aurait des changements ? 

Tout d’abord, je tiens à rappeler qu’on ne sanctionne pas une position dominante, ni en droit de la concurrence américain et européen, mais bien son abus. C’est-à-dire qu’une entreprise a tout à fait le droit d’être en position de force, voire en monopole, à partir du moment où elle a acquis et conservé cette position dominante ou ce monopole par ses mérites. 

Ce qui est sanctionnable est le fait d’abuser de ce pouvoir de marché que confère la position dominante pour exclure les concurrents du marché, pour les affaiblir, pour mettre en place des conditions d’accès qui sont discriminatoires ou pour tuer l’innovation et pour augmenter les prix au détriment des clients et des fournisseurs. 

Si à l’issue du procès, le juge de la concurrence n’arrive pas à caractériser l’abus de la position dominante de Google, il y aura un non-lieu. Google continuera à avoir les mêmes pratiques sur le marché, puisqu’il n’aura pu être démontré qu’elles sont de nature à nuire à la concurrence et/ou aux consommateurs. 

En cas de victoire du gouvernement américain, comme ce fut le cas lors d’un procès similaire en 1998 contre Microsoft, des changements majeurs auraient lieu dans le fonctionnement de l’Internet mondial ? 

Le type de remède qui sera préconisé par les juges de la concurrence américain ne peut être connu par avance, il est donc impossible de répondre de façon péremptoire à cette question. 

Le parallèle avec l’affaire Microsoft de la fin du 20e siècle, début du 21e siècle, est néanmoins particulièrement intéressant. La société avait été poursuivie aux Etats-Unis comme en Union Européenne pour abus de position dominante. Microsoft profitait de sa position quasi-monopolistique sur les systèmes d’exploitation (Windows) pour pouvoir gagner des parts de marché sur des marchés connexes à Windows, ceux des navigateurs Internet. Déjà à cette époque, Microsoft installait de façon systématique (ou demandait aux fabricants de PC de le faire) certains logiciels maison tels Windows Media Player ou Internet Explorer sur les ordinateurs équipés de Windows, ce qui avait pour effet de privilégier les solutions de Microsoft au détriment de tous les autres. Quant aux consommateurs, dans leur extrême majorité, ils ignoraient jusqu’à l’existence de solutions alternatives. Il y a donc de vraies similitudes entre les deux affaires. 

A l’issue des procès, Microsoft avait échappé au démantèlement, mais avait écopé d’amendes très importantes. Plus encore, il a été enjoint d’arrêter de préinstaller certains de ses logiciels de façon exclusive sur Windows, ou de proposer un « ballot box », c’est-à-dire de proposer automatiquement lors de la première utilisation plusieurs logiciels concurrents alternatifs de façon native. Cette liberté de choix proposée aux consommateurs a permis l’éclosion de navigateurs tels que Mozilla Firefox ou Google Chrome, et a créé les incitations nécessaires pour que les concurrents innovent et proposent des navigateurs toujours plus fiables et performants. Sans ces décisions de justice, il aurait été très difficile de renverser la domination d’Internet Explorer qui était alors utilisé par 90% des internautes. 

La différence entre les deux cas, à mon sens, réside dans le fait que lorsque Microsoft a été sanctionné, il y avait des alternatives à Internet explorer qui étaient aussi bonnes ou meilleures. Or, il n’est pas garanti qu’il y ait des alternatives à Google Search qui soient au moins aussi performantes aux yeux des utilisateurs. Il n’est pas impossible de penser que si les Internautes ont la possibilité de choisir de façon plus fluide entre Google Search, Bing, Yahoo, DuckDuckGo et les autres… finissent malgré tout par choisir Google Search. Mais dans ce cas de figure, purement hypothétique, il n’y aurait alors plus aucune ambiguïté sur le fait que la domination de Google Search repose bien sur ses seuls mérites.

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