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Angela Merkel, sainte patronne de l’Europe, vraiment ?
©John MACDOUGALL / AFP

Chancelière immuable

Angela Merkel a joué un rôle majeur au coeur de la gestion de la crise du Covid-19, notamment lors de l'annonce avec Emmanuel Macron d'un plan de relance pour l'Europe. Edouard Husson décrypte le rôle et la stratégie politique d'Angela Merkel.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Angela Merkel a retrouvé la maîtrise des apparences. Et après ? 

Une Chancelière immuable

Les médias et commentateurs français étaient frustrés depuis l’automne 2017 et le mauvais résultat d’Angela Merkel aux élections législatives. Ils avaient perdu leur «surmoi ». La Chancelière apparaissait alors très affaiblie politiquement. Les relations franco-allemandes n’avançaient plus malgré les plaidoyers d’Emmanuel Macron. C’était la mise en cause de ce qui structure la vision de l’Allemagne et de l’Europe depuis trois décennies chez nos dirigeants: la France s’efforce d’être le brillant second d’une Allemagne réputée (quasi-)infaillible. Eh bien, depuis deux mois, à Paris on respire. Le gouvernement allemand a bien organisé la riposte du pays au COVID 19. Par comparaison, la France apparaît une bien mauvaise élève. Mais quel (lâche) soulagement de constater qu’Angela Merkel est à nouveau à la barre. Et puis, quelle autorité: elle vient d’envoyer promener Donald Trump, qui proposait un sommet du G7 à Washington en septembre au lieu de faire une visioconférence en juin ! La Chancelière invoque les incertitudes sanitaires. 

A vrai dire, ce dernier épisode ne grandit pas la Chancelière. Qui suit son parcours politique depuis vingt ans  - depuis qu’elle est devenue une figure importante de la vie politique allemande - reconnaîtra immédiatement la mesquinerie habituelle d’une femme politique qui se prend à rêver de voir battre Donald Trump aux prochaines élections présidentielles américaines: elle lui aurait survécu politiquement, elle pourrait se vanter d’avoir résisté, pendant quatre ans, aux pressions d’un président dont elle déteste viscéralement les convictions et le comportement. Le prétexte invoqué pour ne pas se rendre à Washington, la crise sanitaire, est fallacieux; et ne demandez pas à Madame Merkel de saisir une occasion de montrer au monde, avec les autres chefs d’Etat et de gouvernement du G7, que tout revient à la normale, qu’il est possible d’envisager à nouveau l’avenir avec optimisme. La Chancelière n’aime pas les gens. Elle n’a jamais eu qu’une obsession, se préserver. De ce point de vue, son comportement a été largement en phase avec la société vieillissante dont elle dirige le gouvernement. Mais il faut bien comprendre que rien ne lui est plus étranger que le combat tous azimuts d’un Nicolas Sarkozy se déployant sur tous les fronts durant la crise de 2008-2010; l’engagement sincère d’un Alexis Tsipras, qui avait  (mal) placé sa confiance en elle au début de la crise de la dette grecque en 2015; ou le goût du risque d’un Donald Trump. 

Suivre la ligne de plus grande pente 

Angela Merkel a toujours suivi la ligne de plus grande pente,  celle où elle pense avoir le moins de dommages à subir pour elle-même. Cela lui a fait faire, d’ailleurs, sa plus grosse erreur d’appréciation, à savoir la décision d’accueillir un million et demi d’étrangers en 2015-2016, d’abord des réfugiés fuyant les conflits du Moyen-Orient et d’Afrique, puis des immigrants par opportunisme, profitant de l’incroyable aubaine, l’ouverture complète de la frontière allemande. Derrière les apparences généreuses, il s’agissait d’une politique de la facilité: à quoi bon s’opposer, non seulement au flot d’arrivants venant faire pression sur la frontière allemande mais aussi aux médias qui avaient critiqué dans un premier temps l’inaction de la Chancelière? En septembre 2017, la conséquence de cette très mauvaise décision fut visible dans les urnes, avec une chute de huit points pour les chrétiens-démocrates, et de presque six points pour le partenaire de coalition, le SPD. Madame Merkel a sauvé son poste de Chancelière au bout de six mois de difficiles tractations et elle a été obligée, fin 2018, d’abandonner la présidence du parti chrétien-démocrate. Fondamentalement, elle n’a pas changé d’attitude, avant ou après ces défaites politiques. Elle est restée cette femme politique détestant le risque, le débat politique et les positions tranchées. 

Il se trouve que la crise du Coronavirus remet en selle la Chancelière. Elle à qui l’on reprochait d’avoir ouvert le pays inconsidérément aux immigrés, a présidé, cette fois, à une fermeture des frontières pour cause sanitaire. A vrai dire, elle n’a pas fait grand chose dans toute cette période. Mais la société allemande a su s’organiser efficacement, le nombre de morts est limité, le pays a su trouver un équilibre provisoire entre confinement et maintien de l’activité économique. C’est la bonne organisation du système de santé publique, le maintien en Allemagne d’une mentalité industrielle, l’efficacité de la décentralisation qu’il faut mettre en avant. Sans bouger, la Chancelière recueille les fruits de l’action des autres. Elle s’est contentée de parler, sobrement, pour rassurer la population, retrouvant le rôle de « Mutti » (« Maman »), selon le surnom que lui donnaient les médias il y a quelques années, quand elle était au sommet de sa popularité. 

Timeo Angelam et dona ferentes

Et l’extraordinaire avancée franco-allemande, relayée par la Commission européenne, demanderez-vous? Il faut bien voir que ces propositions sont faites dans un contexte où une partie de l’opinion allemande est fondamentalement rétive au quantitative easing de la BCE, d’une part, et où, d’autre part, l’industrie allemande s’inquiète des conséquences que pourraient avoir pour l’économie allemande à la fois l’affaiblissement de régions vitales comme l’Italie du Nord et la fin de la participation de la Bundesbank à des programmes de quantitative easing, comme le Tribunal Constitutionnel de Karlsruhe en a brandi la menace. On remarquera aussi que, selon les calculs que l’on peut faire actuellement, la France sortirait mal lotie de la répartition des aides d’urgence envisagées par la Commission, puisqu’elle aurait à rembourser à la fin de la décennie deux euros pour un euro reçu maintenant. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Chancelière n’a pas fait preuve d’une empathie particulière envers notre pays, lequel se bat toujours aussi peu pour faire gagner les intérêts français au sein de l’UE. Au fond, Angela Merkel suit là aussi une ligne de plus grande pente: l'Allemagne n’est prête à s’engager plus en Europe que si la marge de manoeuvre de ses partenaires se réduit; en l’occurrence, le grand emprunt européen est l’occasion d’un accroissement des pouvoirs de la Commission - de plus en plus contrôlée par des Allemands après le départ des Britanniques; et la part de mutualisation des dettes sera un prétexte à instauration d’une fiscalité européenne et à un contrôle accru du budget des Etats nationaux par la bureaucratie de Bruxelles. 

La machine qui se met en place est d’autant plus redoutable qu’Angela Merkel quittera le pouvoir en septembre 2021. Le chancelier qui lui succédera aura la tâche bien difficile, puisqu’aucun des problèmes créés par la Chancelière (dégradation du bilan carbone suite à la sortie du nucléaire; tensions liées à l’immigration; déclin démographique du pays; insuffisance des infrastructures; tensions sur l’euro etc...) n’aura disparu. On aura affaire à une France toujours plus affaiblie économiquement et socialement, une Allemagne vraisemblablement à gouvernement tripartite et une capacité toujours plus grande à la fois de la Commission et des petits pays de l’UE, à bloquer les grandes initiatives. 

Non, décidément, il ne faut pas se fier aux apparences. L’embellie politique personnelle de l’actuelle Chancelière allemande devrait nous être, à nous Français, indifférente; ou même susciter notre méfiance. Ce n’est pas parce que Madame Merkel retrouve une maîtrise des apparences qu’elle avait perdue que nous devons baisser la garde ou croire à une relance du moteur franco-allemand. Emmanuel Macron devrait se répéter, paraphrasant les Troyens de Virgile: « Timeo Angelam et dona ferentes »; « je redoute Angela, surtout quand elle apporte des cadeaux ». 

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