Angela Merkel peut-elle sortir de son coma l’Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel Europe Allemagne
Angela Merkel Europe Allemagne
©John MACDOUGALL / AFP

Présidence du Conseil de l'Union européenne

Le 1er juillet 2020, l'Allemagne a pris la présidence du Conseil de l'Union européenne. Le gouvernement allemand va mener les discussions et les débats entre les Etats membres pour les six prochains mois. L'Europe a-t-elle les moyens d'assumer un rôle de premier plan sur la scène géopolitique mondiale ? Quel rôle pourrait jouer la France dans cette nouvelle organisation de l'Europe ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : Alors que depuis le 1er juillet l'Allemagne a pris les rênes de l'UE, quels peuvent-être les atouts d'Angela Merkel pour redonner vie au rêve de puissance européenne ?

Christophe Bouillaud : Le principal atout dans son jeu est son caractère irremplaçable dans le jeu politique allemand. Vu sa longévité au pouvoir et sa capacité à gérer les crises qui se sont succédées, il est difficile en Allemagne de la mettre en cause. Son acceptation de l’idée qu’il va falloir faire un pot commun européen pour sortir de la crise économique est décisive, car elle donne de la crédibilité à une idée encore très mal vue par la majorité conservatrice en Allemagne et ailleurs. Elle élève en quelque sorte le débat au niveau où il doit se situer : sans réelle solidarité plus importante qu’actuellement, la zone Euro et l’Union européenne à sa suite finiront par disparaître. 

Le second atout, c’est qu’au niveau européen rien ne peut se faire sans l’Allemagne. Si ce pays appuie dans une certaine direction, il est probable – mais pas certain – que l’Union européenne choisisse cette direction.  Il me semble que la situation géopolitique de cette année 2020, avec des Etats-Unis en grande difficulté à cause de leur gestion erratique de la pandémie sur leur propre sol, avec une Chine populaire de plus en plus « impérialiste », et une Russie toujours aussi prompte à tout saboter, sans compter une Turquie « néo-ottomane » de plus en plus agressive, appelle une réaction de l’Etat allemand et de ses dirigeants, qui, au-delà des propos lénifiants sur le multilatéralisme, doivent prendre désormais leurs responsabilités face à ce monde dangereux qui se profile. Là encore Angela Merkel est peut-être la seule à pouvoir dire à ses compatriotes que le temps de l’Allemagne comme « grande Suisse », championne du monde des exportations, au cœur d’un continent en paix est révolu par la force des choses. 

Le troisième, c’est que le parti d’A. Merkel, la CDU, reste au cœur du principal parti paneuropéen, le Parti populaire européen (PPE). Avec la CDU, c’est tout l’univers des conservateurs européens qui se trouve dans la boucle. Le groupe du PPE est au cœur du Parlement européen, mais aussi beaucoup de dirigeants nationaux sont membres d’un parti lui-même adhérent du PPE. 

Face aux désirs expansionnistes chinois et à l'effondrement de la politique extérieure américaine, l'Europe a-t-elle les moyens d'assumer un rôle de premier plan sur la scène géopolitique mondiale ?

Du point de vue économique, l’Union européenne et ses Etats fondateurs restent largement au cœur de l’économie mondiale. Il ne faut pas sous-estimer leur poids commun, même si bien sûr leur poids relatif diminue, en particulier en faveur de l’Asie. 

Par contre du point de vue géopolitique, il est bien évident que remettre en cause l’ensemble de l’héritage « atlantiste », dont la garantie américaine de sécurité pour le continent européen proprement dit, mais aussi la délégation de la sécurité européenne au Moyen-Orient aux Etats-Unis, constituent en réalité des problèmes inédits depuis deux siècles au moins. 

En effet, la stabilité de l’ordre européen a dépendu depuis 1815 d’une puissance hégémonique aux marges de l’Europe continentale : le Royaume-Uni jusqu’en 1914, et les Etats-Unis après 1945. Imaginer que les Etats européens arrivent à se constituer durablement en puissance dans les prochaines années est d’autant moins facile que tous les Etats européens ne voient pas les mêmes urgences, et qu’en plus, ils n’ont pas sur certains théâtres d’opération extérieure la même stratégie. Je pense en particulier au cas libyen, où la France a été soupçonnée de soutenir le Maréchal Haftar, alors que l’Italie tenait pour le gouvernement de Tripoli. De fait, avant de pouvoir se positionner sur la scène géopolitique mondiale, il faudrait déjà que tous les Etats européens se mettent d’accord sur les alliances et priorités stratégiques dans leur environnement proche. En même temps, l’Union européenne peut finir par se trouver aidée par ses voisins, qui prennent trop visiblement leurs aises, comme par exemple la Turquie d’Erdogan ou même la Chine et sa tendance à s’ingérer dans les Balkans. 

Quel rôle pourrait jouer la France dans cette nouvelle organisation de l'Europe ?  

Pour le coup, cette montée en puissance de l’échelon européen serait une réussite des théories de Jacques Delors à la fin de son mandat de Président de la Commission européenne en 1995. Finalement, cette monnaie unique, créée audacieusement sans politique budgétaire associée, finirait par le jeu des crises successives par accoucher d’un budget européen conséquent, et donc d’un fédéralisme européen de fait, sinon de droit. 
Cela serait aussi une réussite tardive des théories gaullistes sur l’indépendance stratégique de la France vis-à-vis des Etats-Unis, désormais étendue à l’Union européenne. En quelque sorte, nous aurions eu sur ces deux points raison avant tout le monde, ce qui ne manquera pas de rehausser quelque peu notre prestige bien écorné actuellement. 

Par contre, si nous allons vers un fédéralisme de fait, sans passer nécessairement par des changements de traité, les institutions françaises seront particulièrement mises à mal dans leur esprit très Vème République. En effet, si le pouvoir réel de dépenser et de taxer commence vraiment à se déplacer vers « Bruxelles », comment faire comprendre cela à nos concitoyens qui sont tous les 5 ans abreuvés du mythe du « Monarque électif » toujours un peu thaumaturge ? Les Allemands, les Espagnols ou les Belges peuvent comprendre le fédéralisme. Je ne suis pas sûr que cela soit le cas en France. C’est un peu le paradoxe : les Français sont sans doute l’une des nations européennes les moins préparées à s’habituer à ce fédéralisme européen qu’un Emmanuel Macron, après d’autres dirigeants français, appelle de fait de ses vœux, et qui constitue la seule issue logique pour construire une vraie puissance continentale européenne. L’ « Europe-puissance » oui, mais au prix de l’effacement de la France comme puissance – certes moyenne - dans le monde ? 

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