American Oxygen : peut-on imaginer une star française signant une ode à la France comme celle de Rihanna pour les Etats-Unis ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La chanteuse Rihanna.
La chanteuse Rihanna.
©Reuters

Impossible est parfois français

Dans son dernier tube, la star chante un véritable hymne au rêve américain : chant nationaliste, vidéo retraçant l'émouvant histoire de l’Amérique... Au point que des journalistes ont même proposé d’en faire le nouvel hymne américain. Après American Sniper qui célèbre ses héros, c’est une nouvelle preuve du succès des objets culturels patriotiques outre-Atlantique, engouement qu’il nous est bien difficile de comprendre en France.

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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Atlantico: Un tel phénomène est-il envisageable en France ?

François Durpaire: C'est presque impossible de voir un tel phénomène apparaître en France, pour deux raisons : tout d'abord, les artistes français sont beaucoup moins engagés qu'aux Etats-Unis. Traditionnellement, les artistes américains ont un engagement civique fort. Par exemple, Hillary Clinton vient de présenter sa candidature à l'investiture démocrate et elle a reçu spontanément le soutien d'artistes comme Katy Perry. Tandis qu'en France, les artistes se cantonnent le plus souvent à un engagement humanitaire. C'est très difficile de les mobiliser autour d'un engagement civique et politique.

Deuxième raison : c'est que le patriotisme est beaucoup plus présente dans la société américaine, et ce dans toutes les couches sociales. N'oublions pas qu'Obama a demandé à Beyonce, symbole de la culture populaire, de chanter l'hymne national lors de son investitutre en 2013.

En France, les artistes ne préfèrent pas parler de la nation ou de l'intégration : ce sont des sujets trop délicats à traiter. 

Comment comprendre l’enthousiasme des Etats-Unis pour des produits culturels qui célèbrent leur nation, à la différence de la France ?

Pour les Américains, le patriotisme est beaucoup plus affiché : le drapeau américain est fièrement dressé à l'entrée du domicile,   quelle que soit l'origine ethnique ou sociale des habitants ou leur ancienneté sur le territoire. En France, le drapeau est réservé aux mairies. Il pénètre très peu l'espace privé.

Cela tient tout d'abord à la volonté d'assimiler, présente dans la devise originelle: "e pluribus unum" (de la diversité, faisons l'unité). Les migrations successives ont toujours été intégrées dans un Etat qui fédère. C'est le rôle des institutions, de l'école en particulier, de créer cette unité : les enfants font le Pledge of Allegiance. Il y a un jour pour célébrer le drapeau :  le Flag Day.  En plus de ce volontarisme, il semble que les Américains aient trouver la formule d'une bonne intégration :  concilier assimilation et le respect des identités multiples. La fierté nationale (nation pride) coexiste avec la fierté ethnique (ethnic pride).

En France,  il semble n'y avoir ni démarche volontariste d'assimilation, ni respect des particularismes : ou plutôt si les discours sont là, les politiques publiques ne suivent pas. Le problème ne vient pas des migrants eux-mêmes (car les mêmes peuples se déplacent en France et aux Etats-Unis) mais de la société qui les reçoit. La France n'est pas un pays d'accueil mais un pays de réception. C'est dommage car c'est un pays généreux (que l'on pense à la sécurité sociale) mais qui ne sait pas mettre du symbole et de la vie dans l'accueil des nouveaux arrivants. C'est une une réception administrative un peu froide. On devient français au terme d'un parcours du combattant et, une fois français, on continue à être vu avec suspicion. Il y aurait mieux à faire.

Depuis quand la France a pris ses distances avec son patriotisme ?

Il y a eu trois grands moments de rupture. 

Le premier remonte à la fin du XIXème siècle : alors que la "nation" était originellement une idée de gauche, venue du Tiers-Etat et de la Révolution, elle passe à droite à la faveur de l'idée de revanche contre l'Empire allemand. 

Le deuxième moment suit le ravage des deux guerres mondiales. La nation subit la critique dans sa forme extrême, celle du nationalisme vu comme responsable des déchirures et des haines qui viennent de diviser l'Europe. Tous les pays européens ont connu alors une crise du patriotisme et du nationalisme très forte. L'école change aussi sa façon d'enseigner l'histoire du pays : il ne s'agit pas de délivrer un récit national, fait de victoires et de guerres, mais d'enseigner l'esprit critique. 

Enfin, le troisième moment est celui de la montée du Front National : quand un parti incorpore dans son titre le mot "nation", et a dans son logo les couleurs du drapeau français, il y a une captation partisane des symboles nationaux. Ce qui a des conséquences nocives pour l'ensemble de la nation. On se souvient d'une affiche qui disait "Ni de droite, ni de gauche: Français", ce qui revenait à dire que si l'on votait à droite ou à gauche, dans le système, on mettait son attachement partisan au dessus de son attachement à la nation... 

Nous en sommes là.

Qu’est ce qui rassemble les Français aujourd’hui ? Autour de quelles valeurs se retrouvent-ils ?

C'est l'un des problèmes majeurs de notre société, c'est le manque de clarté dans les valeurs qui nous rassemblent. On a d'un côté une France vue comme éternelle, héritée des Celtes puis fille aînée de l'Eglise. C'est une vision chrétienne et blanche de la France. A cette vision s'oppose une conception civique de notre nation, issue de la révolution. La France est un désir d'être ensemble : l'identité, dans sa dimension ethno-culturelle, passe au second plan. Ce qui permet l'intégration. 

La ruse du Front National est de camoufler qu'il défend une vision "identitaire" de la nation. Par exemple, quand les sympathisants du FN scandent "on est chez nous", il n'est plus dit explicitement que le "on" sont les "Blancs chrétiens" et que ceux qui ne sont pas chez eux sont les "Noirs" et les  "Arabes". Mais on se comprend... Aimé Césaire disait : "une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde"... Et bien il me semble qu'aujourd'hui, on est en plein dans cette ruse ! 

Le bloc identitaire, qui a un poids idéologique fort sur l'extrême droite, dit l'inverse dans son slogan : "Etre français, c'est une identité. Pas des papiers !" Ce slogan, apparemment fondé sur le bon sens, en en fait la ruine de l'Etat de droit, qui garantit contre l'arbitraire. Aux Etats-Unis, les partisans d'une conception identitaire de la nation, comme les suprémacistes du Ku Klux Klan, ont historiquement perdu. En Europe, la peur de la mondialisation leur donne un nouvel élan.

Régulièrement, l’hymne français est remis en cause pour son discours nationaliste et guerrier, mais au-delà du discours, n’est-ce pas l’idée de rassemblement du peuple sous une même bannière qui est dénoncée ?

Je viens de mener une enquête dans les écoles sur l'enseignement de la Marseillaise. Depuis les années 1980, les gouvernements de gauche comme de droite ont rappelé l'obligation d'enseigner l'hymne national à l'école.  Mais son enseignement se fait comme toute connaissance, un hymne que l'on replace dans un contexte historique, qui évolue au fil du temps. On enseigne en France l'hymne français comme on enseignerait l'hymne de n'importe quel autre pays. Il ne s'agit pas d'instaurer un rapport particulier à ce qui constitue l'un des symboles de notre communauté. 

Aujourd'hui, la question est de savoir si l'école doit avoir une mission de socialisation dans laquelle la nation a encore une modernité : celle d'une communauté qui ne s'oppose pas, mais qui enrichit et s'enrichit des autres identités : de la région au monde. 

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