Alors que Madagascar cible les entreprises américaines, les Français sont-ils les prochains ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chef de l’État malgache, Andry Rajoelina, et Emmanuel Macron à l'Elysée en 2019.
Le chef de l’État malgache, Andry Rajoelina, et Emmanuel Macron à l'Elysée en 2019.
©CHARLES PLATIAU / POOL / AFP

Investissements menacés

La récente tentative de coup d’Etat dénoncée par les autorités malgaches résiste mal à l’étude précise des faits. Mais renforce l’image de corruption endémique du pays. 

Noël Labelle

Noël Labelle

Noël Labelle est consultant expert en information économique.

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Ça ressemble à l'intrigue d'un roman de Gérard de Villiers : deux anciens militaires français, formés dans la même école d'élite, Saint-Cyr, que le chef d'état-major de l'armée de Terre, embauchés par une compagnie pétrolière américaine délinquante et insatiable pour renverser le jeune et populaire « Président du peuple » de Madagascar. Le complot échoue. La vérité, la démocratie et la justice triomphent.

Ça, c’est l’histoire racontée par le gouvernement malgache après avoir arrêté la semaine dernière deux ressortissants français, vétérans de l'armée, ainsi que le directeur général de Madagascar Oil – société de droit malgache mais fondée aux États-Unis - pour ce qu'il prétend être une tentative organisée de coup d'État.

Cependant, comme c’est souvent le cas dans les affaires et la politique malgaches, il ne faut pas se fier aux apparences. Ces événements se déroulent en même temps que trois affaires, comparaissant simultanément devant les tribunaux malgaches, ciblent systématiquement et uniquement les intérêts américains – dont Madagascar Oil – pour tenter de saisir les actifs de ces sociétés. Les analystes de l'océan Indien et de l'Afrique se montrent plus que méfiants sur la question. Dans les trois cas, apparaît la figure d’un homme d'affaires local Zouzar Bouka, qui se vante publiquement de ses liens personnels avec la première dame de Madagascar et d'être le meilleur ami du ministre de la Justice, Johnny Andriamahefarivo. La question se pose alors: ce gouvernement a-t-il organisé et parrainé la spoliation  d’avoirs étrangers, en utilisant une fausse tentative de coup d'État comme ruse ? Et les entreprises françaises comme Aéroport de Paris, Meridiam, Teleperformance et Eiffage sont-elles les prochaines ?

Les chances de ces Américains de gagner devant les tribunaux locaux contre les amis du ministre de la Justice sont minces. Selon la liste dressée par l’organisme de surveillance Transparency International, Madagascar figure au 149e rang sur 180 des nations les plus corrompues du monde et, d’après l’ONG américaine Freedom House, au plus bas pour l'indépendance judiciaire. Les tribunaux malgaches sont largement considérés comme corrompus, oeuvrant en faveur du gouvernement et de leurs alliés commerciaux. C'est pourquoi, et aussi du fait de la longue tradition d'instabilité du pays, les investisseurs internationaux ont généralement inclus dans leurs contrats l'obligation de régler les différends malgaches à l'étranger, lors d'arbitrages ou de tribunaux à Paris, Londres, Maurice, Washington ou New York.

Traditionnellement, ces mécanismes de résolution des différends ont été respectés. Récemment, une entreprise dirigée par des investisseurs belges a remporté une décision devant le tribunal d'arbitrage CIRDI de la Banque mondiale dans un long différend commercial. Mais sous le président actuel Andry Rajoelina, les décisions juridiques internationales ne sont pas respectés. La victoire belge a simplement été rejetée par le gouvernement qui a refusé de payer les montants exigés à la suite du jugement.

Tout cela, combiné à des affaires locales pernicieuses, intentées sans tenir compte des conventions d'actionnaires juridiquement contraignants pour l'arbitrage ou des procédures judiciaires dans des tribunes internationales, suggère que les autorités malgaches permettent activement à leurs mandataires de dépouiller les filiales locales d'entreprises mondiales.

Pourtant, dans leur frénésie, les Malgaches ont été maladroits. Les poursuites contre des sociétés par ailleurs non liées – la première contre Madagascar Oil, la seconde contre la société énergétique américaine Symbion Power, basée à New York, et la troisième contre un hôtel de luxe (anciennement détenue par le producteur de films français Charles Gassot et en partie détenue par les administrateurs de Symbion) sont liés par le fait que tous les trois sont des entreprises dirigées par des Américains, et tous les trois ont un actionnaire ou partenaire commercial local en commun : Zouzar Bouka.

L'association de Bouka avec ces entreprises semble suivre un tendance: d'abord, se liant l'amitié des dirigeants ou propriétaires des entreprises par le biais des associations commerciales américaines pour l'Afrique, à savoir le Corporate Council on Africa basé à Washington et la Chambre de commerce américaine à Antananarivo ; puis offrant d'être leur ouvre-porte local; et après l’obtention de petites participations et de commissions - il y a une action en justice locale rapide contre les entreprises étrangères suivie de tentatives de dépouiller des parties beaucoup plus importantes de leurs actifs et fonds en tirant parti de ses relations avec les juges et les tribunaux locaux.

Il serait facile de suggérer que ces grandes entreprises américaines ont été naïves. Certes, Bouka a profité de ses liens avec des puissants malgaches, des diplomates occidentaux et des représentants de gouvernements étrangers pour se présenter comme un partenaire local sûr et fiable. Internet regorge de photos de lui en train de se rapprocher des ambassadeurs américains, anciens présidents de Madagascar, des citations banales de style «cours MBA sur les bonnes pratiques commerciales», et des références à ses fières associations avec Regus, le groupe mondial de bureaux équipés dont il prétend être le franchisé local, et Teleperformance, l’entreprise de centres d'appels française. Pourtant, il ne serait pas la première personne, originaire d'une région du monde où la diligence raisonnable est difficile à effectuer, dont le génie commercial auto-glorifié s'est avéré n'être rien de plus que de la fantaisie.

Lorsque les dirigeants de ces entreprises ont, pendant des décennies, collectivement investi, et négocié avec succès, dans toute l'Afrique et sur d'autres marchés frontaliers extrêmes, de l'Indonésie à l'Afghanistan en passant par le Nigeria et la Colombie, réalisant des bénéfices pour les partenaires internationaux et locaux, il doit y avoir quelque chose de différent. Quelque chose d'uniquement malgache...

Mais y a-t-il quelque chose d'uniquement anti-américain dans ces manigances d'agression légale? Cela semble peu probable – pas lorsque l'arrestation du DG de Madagascar Oil pour la prétendue tentative de coup d'État s'est accompagnée de l'arrestation de deux citoyens français ayant tous deux des connexions militaires sérieuses. Si les autorités malgaches sont prêtes à aller jusqu'à affronter en conflit ouvert des personnes ayant des liens puissants avec l'État français, il semble impossible que les entreprises françaises soient plus à l'abri du démembrement d'actifs et des partenaires commerciaux véreux que leurs homologues américaines.

Une chose est sûre: tant qu’Andry Rajoelina est président du pays - et que les supposés copains de sa première dame et du ministre de la Justice font peu de cas des contrats internationaux et des conventions d'actionnaires - la meilleure chose à faire est d‘éviter le risque d'investir à Madagascar.

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