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Alliées forcées “des 1%” : comment les classes moyennes supérieures sont tenues “en otage” par le biais de l’immobilier
©REGIS DUVIGNAU / POOL / AFP

Chantage à l’effet richesse

Alors que les sondages les plus récents marquent une nouvelle baisse de la popularité d’Emmanuel Macron, un sondage IFOP pour le JDD, publié ce 16 décembre, montrait que le président améliorerait son score de 1er tour à la présidentielle, à 27%, en cas de nouveau vote.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : En quoi pourrait-on voir ici une forme des victoires des intérêts particuliers ?


Michel Ruimy: Cela peut sembler paradoxal qu’Emmanuel Macron batte, en même temps - selon l’adage macroniste -, un record d’impopularité tout en gagnant en intentions de vote en cas d’élection présidentielle. Mais, ces enquêtes, tout en nous éclairant sur la situation politique actuelle, révèlent, à regarder de plus près, deux logiques différentes de l’état de l’opinion : indice de popularité versus intentions de vote.
Rappelons les chiffres. Dans le contexte social actuel très tendu, Marine Le Pen semble capitaliser la colère des gilets jaunes contrairement à Jean-Luc Mélenchon. Elle arriverait en tête en ralliant 27% des suffrages exprimés (contre 21,3% recueillis dans les urnes en 2017). Quant à Emmanuel Macron, il conforterait sa deuxième place en améliorant son score de 2017 avec 25% des voix (+ 1 point de plus qu’il y a 18 mois) alors que le chef de l’État vient encore de voir, en décembre, sa cote de popularité s’effriter : seules 23% des personnes interrogées se déclarent désormais satisfaites de sa politique. Elles étaient 25% au mois de novembre. Au total, Emmanuel Macron a perdu 27 points sur la seule année 2018 !
Tout d’abord, il faut bien comprendre que ces enquêtes évoquent deux situations bien distinctes. Il ne s’agit pas du même instrument de mesure. Sur la popularité, il y a une logique d’évaluation d’une personne, en l’occurrence le chef de l’Etat, vis-à-vis de laquelle il est question d’exprimer une satisfaction ou un mécontentement. Quant aux intentions de vote, elles résument un rapport de force électoral, qui met le sondé devant un choix à faire.
Ensuite, les liens entre popularité et capital électoral sont donc loin d’être manifestes, les deux ne s’alimentant pas forcément. Par exemple, début 2012, juste avant l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, président sortant, n’était qu’à environ 30% de popularité mais parvenait encore à faire jeu égal avec François Hollande dans les sondages (aux alentours de 25% d’intentions de vote chacun). Aujourd’hui, s’agissant d’Emmanuel Macron, l’aspect inédit vient du fait que son réservoir électoral - plus de 25% - est plus élevé que sa popularité (23%). La question essentielle qui se pose est alors celle du débouché que pourrait avoir la popularité ou l’impopularité sur un terrain électoral. Nous pouvons être mécontents d’une personne sans trouver quelqu’un d’autre sur qui se reporter. Ce serait le moins mauvais en quelque sorte. 
En outre, si l’élection avait bien lieu, se poserait la question d’un paramètre essentiel : le niveau de l’abstention. Il faut se rappeler qu’en 2017, son taux avait été de plus 25%. Il s’agissait de la plus forte abstention pour un second tour depuis l’élection présidentielle de 1969 et que c’était également la première fois, depuis 1969, que la participation du second tour avait été plus faible qu’au premier.
L’impopularité actuelle de M. Macron pourrait s’expliquer par le fait que notre président n’est plus capable de suivre une ligne claire. Aujourd’hui, il avance tout en reculant, mettant en défaut ses ministres. Il n’y a plus d’explication globale et donne l’impression de traiter les sujets un par un. Il est confronté aux mêmes problèmes que ces prédécesseurs : du moment où il a accepté le cadre de l’économie néo-libérale (perpétuation du libre-échange, règle des 3% du déficit budgétaire qui nécessite de compresser les dépenses publiques…), il se retrouve, dès lors, à devoir gérer des problèmes alors qu’il n’a plus aucune marge de manœuvre. Il nous a fait croire que lui, aller faire différemment mais il se retrouve avec des entreprises qui ont des carnets de commande vides, des filières industrielles qui périclitent et il ne sait pas répondre à cette situation.
Quant aux intentions de vote, en dépit de ces turpitudes, le socle électoral du président de la République semble être solide, faisant de La République En Marche, le seul parti de gouvernement capable d’offrir une alternative. Ainsi, une partie de ses électeurs, qui sont aujourd’hui mécontents de son action, n’iraient pas jusqu’à un changement de candidat notamment du fait que l’opposition est quasi-inexistante : la Droite républicaine plafonne à 13% (Fillon) ou 10% (Wauquiez), le Parti socialiste autour de 8%.et Jean-Luc Mélenchon, s’il devient le troisième homme du match, est en baisse constante par rapport à ses 19,6% d’avril 2017 : 13 à 14% des interrogés voteraient pour lui aujourd’hui. 
Ainsi, ces sondages ne sont pas aussi contradictoires qu’il n’y paraît. Ils illustrent plus une « stratégie » qu’une fidélité, une adhésion aux idées de M. Macron. En effet, l’électorat du président de la République peut s’appréhender notamment par le niveau de diplôme, qui est plus que jamais la vraie fracture entre une France apte à la compétition mondiale et celle qui se sent délaissée. Dès lors, les uns (« les riches ») acceptent les contraintes libérales de la mondialisation car ils voient un intérêt - le leur -, celui de développer leur talent et donc une chance de s’y retrouver alors que d’autres ne subissent que les contraintes et ne s’y retrouvent pas dans l’environnement actuel (les « laissés-pour-compte »).


Quelles sont ces contraintes financières, notamment liées aux crédits immobiliers, qui peuvent pousser les cadres à voter en faveur d’un candidat perçu comme protégeant ces intérêts, malgré un début de mandat laissant penser que les catégories les plus « favorisées » ont été les « 1% » et non les « 20% » ?


La victoire d’Emmanuel Macron a plus été une victoire par défaut dans un contexte de fort taux d’abstention. Il n’est donc pas totalement étonnant que 18 mois plus tard, une certaine déception se généralise dans l’opinion publique. 
Mais ces sondages soulèvent également une interrogation : si Emmanuel Macron est souvent présenté comme le « président des riches » - cette hypothèse ne se fonde pas sur une étude de son électorat mais sur des mesures qu’il a mises en œuvre, qui semblent clairement être en faveur des « riches » - comment expliquer qu’il a pu être élu par une majorité de votants qui n’est, à l’évidence, pas bénéficiaire des mesures évoquées précédemment ?
Tout d’abord, devant la désertification du territoire français et la « mégalopolisation » de l’économie, la demande d’immobilier, supérieure à l’offre, ne faiblit pas, du moins dans les grandes villes. Ceux qui ont acheté il y a longtemps sont confortés dans l’idée qu’ils ont fait une bonne affaire et les acquéreurs récents sont soulagés, sans réaliser, lorsqu’ils sont jeunes, qu’ils auront besoin de s’agrandir un jour et que les m² supplémentaires coûteront encore plus cher. Mais demain est un autre jour… 
Ensuite, le président de la République a su jouer sur sa capacité à aller à la rencontre de la population, notamment pour y tenir un discours sur l’ambition et la réussite individuelle, fixant comme seul horizon les idéaux du néo-libéralisme. Or, une partie de la base électorale d’Emmanuel Macron, plutôt jeune, urbaine, et à revenus confortables, mais pas encore fortunée au point d’avoir déjà constitué l’apport initial pour un achat, enrage de ne pouvoir se lancer dans des projets immobiliers du fait des niveaux de prix atteints en France, tout particulièrement dans les grandes villes et ses quartiers encore relativement préservés. Les raisons de la hausse ne manquent pas, notamment le faible niveau des taux d’intérêt, menaçant de remonter (sans envisager, là aussi, que ce qui est économisé sur le prêt immobilier est payé en surcoût dans le prix d’achat). Ainsi, certains, séduits par le discours macronien, se sont lancés dans le long parcours de l’acquisition immobilière.
Mais, comme l’affirmait Michel Audiard, « le jour est proche où les Français n'auront plus que l’impôt sur les os » ! Et ce jour est certainement encore plus proche pour la classe moyenne supérieure qui, depuis plusieurs années, subit de plein fouet la frénésie fiscale des gouvernements successifs.
Ainsi, à force d’accumuler les signaux soutenant une image de président de droite, vous prenez le risque de ne plus pouvoir changer votre image. La baisse de sa popularité dans les sondages et celle de son premier ministre indiquent un effritement de leur image et le début de la fin de l’illusion d’un possible ordre social-libéral, qui ne sera, sans surprise, que libéral. 
À condition de prendre en compte l’hétérogénéité de l’électorat de M. Macron, la voie pour récupérer des électeurs déçus du macronisme est donc ouverte à la gauche progressiste.

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