Allemagne : l’étrange comportement de M. Scholz face à la guerre en Ukraine <!-- --> | Atlantico.fr
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Le chancelier allemand Olaf Scholz lors d'une réunion avec le Premier ministre britannique Boris Johnson au 10 Downing Street à Londres, le 8 avril 2022.
Le chancelier allemand Olaf Scholz lors d'une réunion avec le Premier ministre britannique Boris Johnson au 10 Downing Street à Londres, le 8 avril 2022.
©TOM NICHOLSON / POOL / AFP

Outre-Rhin

On sait que l'Allemagne s'oppose à un embargo sur le pétrole et le gaz et nous savons également que le cabinet d'Olaf Scholz est intervenu pour stopper une livraison de chars que l'Allemagne avait promis de livrer à l'Ukraine.

Alexandre Robinet Borgomano

Alexandre Robinet Borgomano

Alexandre Robinet Borgomano est responsable du programme Allemagne de l’Institut Montaigne. Il a rejoint l’Institut Montaigne en 2019. Il a travaillé auparavant au Bundestag, comme attaché parlementaire d’un député allemand. Il a conduit pour la Fondation du patrimoine culturel prussien un projet d’exposition visant à présenter à Berlin les collections d’art moderne du dernier Shah d’Iran. Il a également participé au lancement d’un fonds d’investissement européen dans le domaine de la Smart City et pris part à l’initiative pour l’unification du droit des affaires en Europe. Diplômé de Sciences Po Paris, il est également titulaire d’une maîtrise en histoire moderne de la Sorbonne (Paris IV).

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Atlantico : Outre-Rhin, de nombreuses questions se posent sur la bonne position à adopter face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Si toutes les économies européennes commencent à réfléchir à des sanctions sur les importations d’énergie venues de l’Est, ce n’est pas la position d’Olaf Scholz. Olaf Scholz agit-il différemment vis-à-vis de la Russie que ses partenaires européens ? Quels sont les points qui le différencient ? 

Alexandre Robinet Borgomano : Olaf Scholz apparaît dans cette crise comme le digne héritier d’Angela Merkel, qui aimait à répéter que “La politique commence par le fait de regarder la réalité en face” (Politik beginnt mit der Betrachtung der Wirklichkeit). L’Allemagne a pris trop tardivement conscience du problème majeur que posait sa dépendance aux énergies fossiles venues de Russie. L’agression de l’Ukraine lui a ouvert les yeux et le gouvernement d’Olaf Scholz est désormais bien décidé à corriger cette erreur héritée du passé, en réduisant sa dépendance au charbon, au pétrole et au gaz russe. Mais le pays à besoin de temps pour adapter son appareil productif et préparer l’économie allemande à un choc qui aura sur elle un effet plus important que sur les autres Etats européens -en particulier pour certains secteurs clés de son industrie, comme la chimie et la métallurgie. 

Les engagements du gouvernement sont clairs cependant : grâce à la construction de nouveaux terminaux pour recevoir du gaz naturel liquéfié (GNL), l’Allemagne entend faire passer la part du gaz russe de 55% avant l'agression de l’Ukraine, à 30 % d’ici la fin de l’année. Concernant le charbon et le pétrole russe, l’engagement de l’Allemagne est plus ambitieux, puisqu’il s’agit d'arrêter totalement les importations de charbon d’ici l’été, et de cesser les importations de pétrole russe d’ici la fin de l’année 2022. Olaf Scholz n’agit pas fondamentalement différemment de ses partenaires européens - le Président hongrois Viktor Orban a ainsi annoncé qu’il mettrait son veto à un embargo- mais le leadership qu’il exerce actuellement en Europe et l’attention particulière qu’il porte aux conséquences économiques de ces décisions le fait apparaître comme le principal frein au renforcement des sanctions.          

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Comment peut-on expliquer cet étrange comportement ? Un autre choix aurait-il impacté fortement l’économie allemande ? 

Là encore, Olaf Scholz apparaît comme un héritier d’Angela Merkel, à qui on a souvent reproché d’hésiter trop longuement avant d’agir - lors de la crise grecque notamment- et de ne se résoudre à prendre les décisions nécessaires que lorsqu’elle la pression ne lui laissaient plus d’autres options. Dans le cas de la crise ukrainienne, cette hésitation est criminelle, puisqu’elle coûte chaque jour la vie à des civils innocents et il est probable que le maintien des importations de gaz russe apparaissent de plus intenables dans les jours à venir. Mais il n’est pas certain que la mise en place d’un embargo ait un effet immédiat sur l'arrêt du conflit, ce qui explique que la position allemande se concentre, pour l’instant, sur l’envoi de nouvelles armes. 

Face aux atrocités commises par l’armée russe, la possibilité d’un embargo total est envisagée de plus en plus sérieusement. Les dernières études analysant l’impact économique d’un arrêt des importations d’énergie russes sur l’économie allemande varient dans leurs conclusions. Proche des syndicats, l’Institut pour la macroéconomie et la recherche sur la conjoncture prévoit une chute de 6% du PIB allemand, alors que le DIW s’attend à une chute de 3%, mais anticipe une récession longue, marquée par un taux d’inflation pouvant atteindre 10%. Un groupe d’économistes des universités de Cologne et de Bonn juge quant à lui qu’un arrêt des importations russes serait soutenable pour l’économie allemande avec une récession de l’ordre de 3%, soit un choc comparable à celui provoqué par la pandémie. Le chancelier Olaf Scholz a rejeté ces différents modèles en rappelant qu’un arrêt brutal des importations d'énergies représenterait un changement structurel dont nous sommes aujourd'hui incapables d’anticiper les conséquences.              

Au sein même de son gouvernement y-a-t-il différents points de vues qui s’opposent vis-à-vis de la Russie ? Le SPD tient-il une position inconciliable avec les partis avec lesquels il a construit une coalition ? 

Le SPD a toujours eu vis-à-vis de la Russie une attitude plus conciliante que ses partenaires de coalition. Le soutien que ce parti apportait au projet de gazoduc Nord Stream 2, désormais à l'arrêt, et que les Verts et les Libéraux condamnaient, manifestait le plus clairement ces divergences de vues. Cette politique pro-russe de la gauche allemande a plusieurs racines, qui plongent à la fois dans la politique de rapprochement avec l’Est (Ostpolitik) menée par l’ancien Chancelier SPD Willy Brandt, mais également dans une proximité idéologique avec la Russie entretenue par les courants les plus radicaux de la gauche allemande, animés par un anti-américanisme certain. 

Néanmoins, les réticences que Olaf Scholz exprime vis-à-vis d’un renforcement des sanctions ne sauraient être interprétées comme l’expression d’une attitude plus conciliante propre à son parti. Dans une interview donnée au journal Die Zeit cette semaine, Christian Lindner, le ministre libéral des Finances, a exprimé les inquiétudes qu’il partage avec Robert Habeck, le Ministre vert de l’économie et de l’énergie, vis-à-vis des conséquences économiques d’un possible embargo sur le gaz russe. La cohésion gouvernementale n’est donc pas fondamentalement remise en cause par la guerre en Ukraine. Annalena Baerbock et Robert Habeck, les deux Ministres verts qui dirigent respectivement les affaires étrangères et l’économie, apparaissent comme les principaux acteurs de cette crise, ceux qui font bouger les lignes et forcent le Chancelier à évoluer. Ce sont eux qui bénéficient de cette crise en termes de popularité, alors que le Chancelier est largement critiqué pour son effacement.                 

À terme, le manque de courage du chancelier allemand pourrait-il toucher à la crédibilité de l’Allemagne sur la scène internationale ? 

Les critiques adressées à l’Allemagne dans cette crise sont surtout le reflet de la position prééminente prise par l’Allemagne en Europe, qui lui impose d’assumer davantage de responsabilités que ses partenaires européens. Mais cette position critique, particulièrement représentée en France, ne me paraît pas être la plus courageuse… D’une certaine façon, nous nous abritons derrière les réticences allemandes pour ne pas avoir à assumer des choix qui auraient des conséquences déstabilisatrices sur l’économie et la société européenne dans son ensemble -et pourraient bien contribuer à renforcer les extrêmes dans un pays comme la France. 

Ce qui est vrai en revanche, c’est que le Chancelier a suscité de grandes espérances en livrant le 27 février dernier un discours historique sur le changement d'époque de la politique allemande de sécurité, qui laissait entendre que l’Allemagne assumait enfin le rôle géopolitique que lui conférait son statut de première économie d’Europe. Pour l’instant, force est de constater que ce discours n’a pas été suivi d’effets et que l’Allemagne d’Olaf Scholz peine encore à s’imposer comme une véritable puissance centrale en Europe. 

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