Algérie : la vaine obsession d’Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors d'une conférence de presse conjointe au palais présidentiel à Alger, le 25 août 2022
Emmanuel Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors d'une conférence de presse conjointe au palais présidentiel à Alger, le 25 août 2022
©LUDOVIC MARIN / AFP

Relations franco-algériennes

Emmanuel Macron s’est rendu le jeudi 25 août en Algérie, dans le cadre d’une visite officielle de trois jours. La délégation française, composée de plus de 90 personnes, avait pour mission de « refonder » la relation entre Paris et Alger. Pour quel bilan ?

Malika Sorel

Malika Sorel est Ancien membre du Haut Conseil à l’intégration. Auteur de "Les Dindons de la Farce" (Albin Michel, février 2022) et "Décomposition française" (Fayard, 2015) qui a reçu le prix « Honneur et Patrie » de la Société des Membres de la Légion d’Honneur.

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Atlantico : Emmanuel Macron s’est rendu en Algérie pour une visite de trois jours. Au vu des déclarations et actions de ces derniers jours, était-ce un voyage pour rien ?

Malika Sorel : C’est la réflexion qui m’est spontanément venue à l’esprit au vu des différentes déclarations, d’autant qu’il a été annoncé qu’il rentrerait bredouille. De même, je n’ai pas compris quel était le sens d’une délégation comprenant pas moins de 90 personnes au moment où on avertit les Français de la fin d’une prétendue abondance. Quelle empreinte carbone pour un tel voyage, et quels coûts financiers ? J’avoue que cela me choque.


Quand on connaît la posture du régime actuel vis-à-vis de la France, ce voyage paraissait au mieux risqué. Pourquoi Emmanuel Macron l’a-t-il entrepris ?

C’est un mystère. On pouvait penser que l’intention était d’obtenir davantage de gaz, mais le Président Macron a souligné lui-même le « faible poids du gaz dans le mix énergétique » de la France. Par contre, il a tenu à remercier l'Algérie d'avoir augmenté les volumes injectés dans le gazoduc qui approvisionne l'Italie. Cela me dépasse d’entendre notre président se mêler de questions qui concernent d’autres pays, d’autant qu’il n’est plus à la tête du Conseil de l’Union européenne. 

Je pense que les Algériens doivent se réjouir de voir l’ancienne puissance coloniale venir leur baiser la main. Cela doit être un grand motif de fierté, et les Algériens sont très sensibles à la fierté. Cela fait même l’objet d’une expression, « avoir du nif ». Le nif, c’est le nez et cela signifie savoir garder tête haute. Les Algériens, dont je connais bien la mentalité – et pour cause !, doivent bien rigoler. Mais cela peut malheureusement renforcer un certain mépris et alimenter des comportements violents que l’on voit parfois se manifester sur le territoire français, car dans la culture musulmane, le fort inspire le respect, et le faible le mépris. Or bien des comportements des Occidentaux – pas seulement des Français – les amènent à ne pas savoir se faire respecter ni faire respecter leurs nations. Les exemples abondent, et j’ai eu tout le loisir de les développer dans mes livres. Pour asseoir une relation saine et gagnant-gagnant, il faut donc savoir rester debout.

“J'entends souvent que, sur la question mémorielle et la question franco-algérienne, nous sommes sommés en permanence de choisir entre la fierté et la repentance”, a déclaré Emmanuel Macron “Moi, je veux la vérité, la reconnaissance (car) sinon on n'avancera jamais.” Le président a-t-il la bonne analyse selon vous ? Ses annonces vont-elles dans le bon sens ?

Emmanuel Macron est né après la guerre d’Algérie. Cette page d’histoire ne semble pas l’avoir concerné personnellement, ni de près ni de loin, et encore moins l’avoir fait vibrer ; donc j’avoue ne pas comprendre, là non plus, ce qui l’amène à remettre régulièrement ce sujet sur la table quand il faudrait, bien au contraire, tourner la page. Existe en outre dans son raisonnement un problème de logique car d’une part, il fustige la « rente mémorielle » du pouvoir algérien et d’autre part, il participe de lui-même à alimenter le moulin. Par contre, je suis à 100% d'accord avec le Président Macron lorsqu'il dit que la France n'a pas de leçon à donner. En effet, l'État français, qui s'est révélé au fil du temps impuissant à juguler l'insécurité galopante sur son territoire et à maintenir son école à un bon niveau, est très mal placé pour donner des leçons à d'autres gouvernants, quels qu'ils soient. 

Parlons aussi de la question des visas, qui semble revêtir grande importance dans la relation bilatérale. Les Algériens ne sont nullement masochistes. De surcroît, comme je l’ai mentionné, ils ont « du nif ». Pourquoi diantre réclameraient-ils des visas pour fouler le sol d’une terre qui les aurait fait tant souffrir qu’ils ne parviennent pas à tourner la page, au point qu’ils la vilipendent à la moindre occasion ? On voit là à quel point mettre la France en accusation constitue en réalité un stratagème dont ils entendent tirer bénéfice. C’est cette même partition qui est jouée, ici en France, par tous ceux de l'immigration extra-européenne qui ont fait profession d’exiger repentance en espérant ainsi obtenir un retour sur investissement, ceux que j’ai baptisés les « matérialistes de la mémoire ». Tant qu’ils en tireront bénéfice, ils persisteront dans leur entreprise avec les conséquences délétères que nous connaissons sur le « vivre ensemble ». Il est temps d'en tirer enseignement.

Cette visite va-t-elle renforcer l’Algérie dans ses positions vis-à-vis de la France ? Comme nombre de pays musulmans – mais pas seulement –, l’Algérie est un pays qui a un rapport compliqué à l’Occident. De leur côté, du fait de leur matérialisme, les Occidentaux minimisent la dimension culturelle dans la construction des relations ; ils pensent que c’est le business qui prime et qu’il suffit de commercer ensemble pour que l’on puisse avoir envie de se faire des accolades. Je vais vous donner un exemple. Pendant bien plus longtemps que la France, les Turcs ont dominé l’Algérie. Or je n’y ai jamais entendu quiconque demander aux Turcs et à la Turquie de faire acte de repentance ou de formuler des excuses pour quoi que ce soit. Pourtant, comparativement à tout ce que la France et les Français ont laissé derrière eux aux Algériens comme infrastructures et comme moyens, à commencer par la découverte des hydrocarbures ou encore en matière médicale ou sanitaire, les Turcs n’ont pas laissé grand héritage matériel derrière eux. Il est certain que l’appartenance à la même sphère culturelle, avec le sentiment de respect que cela induit, joue ici son rôle.

Cette visite changera-telle quoi que ce soit ? Je ne le crois pas. Autre exemple : j’avais été frappée de découvrir qu’en France, l’Émir Abd-El-Kader était présenté comme un ami de la France ; car en Algérie, à l’école, on nous enseignait qu’il était un ennemi féroce des Français, et à ce titre une figure vénérable. Bien plus que la langue, la manière dont on enseigne l’histoire aux enfants, que ce soit à l’école ou au sein des familles, joue un rôle décisif dans la qualité des relations. Soixante ans après la fin d’une guerre qui a pourtant été gagnée par les Algériens, comme le disait avec force et fermeté Kamel Daoud à l’historien Dimitri Casali (*), la relation ne semble pas vouloir s’apaiser. L’oubli des pages sombres de l’histoire, pour reprendre l’expression d’Ernest Renan dans sa conférence en Sorbonne, ne semble toujours pas à l’ordre du jour. Aussi, comme dans un couple, lorsque l’amertume, les récriminations et la rancœur prennent le pas, il faut savoir raison garder et avoir le courage de partir chercher le bonheur et la paix chacun de son côté.

(*) 28’. Arte. La France peu-elle regarder en face son passé colonial. 20 février 2017

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