Alexandre D., cas isolé... vraiment ? Ces vérités dérangeantes sur les soldats perdus de l’islam <!-- --> | Atlantico.fr
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"La radicalisation se fait souvent, dans le cas des jihadistes, par la fréquentation de certaines mosquées aux prêches virulentes."
"La radicalisation se fait souvent, dans le cas des jihadistes, par la fréquentation de certaines mosquées aux prêches virulentes."
©Reuters

Déni de réalité

Le suspect interpellé mercredi dans l'enquête sur l'agression d'un militaire à la Défense serait proche de "l'islam radical". Ce qui renforce l'idée introduite par l'affaire Merah et selon laquelle, dans notre pays, le terrorisme prend la forme d'individus isolés. Mais cette vision des choses peut être dangereuse.

Christophe Soullez

Christophe Soullez

Christophe Soullez est criminologue et dirige le département de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il est l'auteur de "Histoires criminelles de la France" chez Odile Jacob, 2012
et de "La criminologie pour les nuls" chez First éditions, 2012. 

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Atlantico : L'attaque à l'arme blanche d'un militaire à La Défense par un jeune homme converti à l'islam radical fait suite à une importante série d'attentats dans le monde occidental, Londres, Boston, et plus loin encore Khaled Kelkal qui ont tous été rangés dans la catégorie "acte isolé" ou "malade mental". Cette grille de lecture unique qui perdure est-elle le signe de notre aveuglement ?

Christophe Soullez : Il est très clair aujourd'hui qu'il peut exister un nombre important d'individus "seuls" ayant le potentiel pour passer à l'acte à travers des actions terroristes qui, dans les cas récents, avaient pour cible des représentants de l'autorité et/ou du pouvoir - militaires, policiers. Ce qu'on appelle "cas isolé" correspond à un individu qui n'est membre d'aucun réseau structuré mais qui s'estradicalisé par des biais différents de ce dont on avait l'habitude jusqu'à présent. Bien souvent cette radicalisation se fait par le biais d'internet ou encore, dans le cas des jihadistes, par celui de la fréquentation de certaines mosquées aux prêches virulentes ou encore par des voyages. Cependant, le manque de structures organisées n'empêchent pas ces individus d'être présents en grand nombre dans les pays européens : ils sont probablement jusqu'à plusieurs centaines même s'il n'y a aucun chiffre officiel.Nous sommes donc face à des gens qui peuvent vivre une vie tout à fait normale, qui ont l'air parfaitement intégrés à la population et qui du jour au lendemain franchissent le Rubicon du terrorisme. C'est là toute la difficulté que rencontrent les services de renseignements pour les détecter.

Est-il dangereux pour les pays occidentaux de les classer un peu facilement dans les actes isolés au lieu d'y voir un phénomène global simplement différent ?

Il faut effectivement changer notre façon actuelle d'appréhender le terrorisme. Il faut se défaire, du moins en partie, de la forme globalisée des réseaux transnationaux dont nous connaissons tous les noms afin de mieux comprendre le nouveau paradigme du terrorisme. En admettant que ces actes peuvent venir de gens qui ne reçoivent pas d'ordres hiérarchisés et qui vont simplement se référer à des discours, il est possible de saisir la nouvelle forme et l'adaptation du terrorisme qui découle du démantèlement de la plupart des gros réseaux par les autorités et les services de renseignements. Tout ceci est la conséquence de l'importante surveillance, de la technologie et de tous les dispositifs de prévention mis en place qui ont créé une sorte d'éclatement des individus.

Le principal risque est notamment celui dit de "mimétisme" qui consiste à reproduire un acte et peut donc provoquer la multiplication des "petites" actions terroristes. Nous ne pouvons toutefois pas pour l'instant être sûrs que cela se produise. A l'inverse, lorsqu'on voit ce qui s'est passé aux Etats-Unis, en Angleterre et en France, on peut espérer que les services de police et de renseignements vont rapidement s'adapter à cette nouvelle forme du terrorisme. Précisons tout de même que cela est plus compliqué et plus complexe car nécessitant une plus grande fluidité du passage de l'information entre tous les services d'informations, surtout ceux qui ne sont pas spécialisés et qui doivent faire remonter l'information au plus vite et le mieux possible. Parfois ces informations peuvent sembler minimes si prises séparément, et une fois recoupées prendre beaucoup de sens.

Existe-t-il derrière cette catégorisation sémantique une vérité que nous ne voulons pas admettre ? L'opinion publique se voile-t-elle la face ?

Je ne représente pas l'opinion publique à moi seul mais il faut être conscient qu'aujourd'hui, bien qu'il s'agisse d'une minorité par rapport au nombre d'habitants sur le territoire, il existe au sein de notre population un pourcentage de gens qui mus par la haine de l'Occident peuvent passer à l'acte pour déstabiliser l'Etat. Car au final, nouvelle forme ou pas, c'est toujours le but du terrorisme : déstabiliser l'Etat et faire peur à la population. Et s'en prendre individuellement à des gens plutôt que de mettre des bombes aveugles a le même but, les mêmes objectifs, juste pas les mêmes moyens.

Bien qu'initialement cela puisse paraitre moins impressionnant, mois concernant par la taille réduite de l'action et du nombre de victimes, l'augmentation des cas finit par faire tout aussi peur. En effet, c'est toujours par l'inquiétude, par le fait de se sentir personnellement en danger et pas protégé dans son intégrité que la terreur arrive.Je ne suis pas tellement convaincu que cette forme de terrorisme fasse moins peur, c'est juste moins spectaculaire. Dès qu'on se dit "ça peut arriver",les terroristes ont réussi.

En fonctionnant sans réseaux, sans "nécessité" d'origines arabes ou musulmanes, cette auto radicalisation est-elle pour autant ad hoc? La vérité qu'on ne veut pas s'avouer n'est-elle pas là, dans le fait que chacun est un terroriste potentiel, blanc, noir ou arabe, "gaulois" ou d'origine étrangère ?

Bien que sans réseaux, cette auto-radicalisation ne fonctionne effectivement pas pour autant de manière auto génératrice. L'individu a besoin de supports pour se radicaliser : ils peuvent prendre la forme de discours, de textes, de sites internet et plus largement d'une idéologie déjà présente. Celui qui se radicalise n'invente rien mais s'alimente par ses propres moyens. Plus personne n'en est à l'abri et cela renforce encore la peur, notamment par la disparition de la possibilité de développer des méfiances "identifiées" qui, bien que très négatives, étaient plus lisibles.

Qu’ils soient isolés ou pas, ces gens ne s’inscrivent-ils finalement dans une grande logique de Jihad qui n’a que faire de la façon dont-elle est mise en place ? A-t-on franchi un nouveau pas dans la terreur et l'insécurité de chacun ?

Les services de renseignements et les responsables politiques savent que le Jihad existe toujours malgré la chute de certains réseaux. La radicalisation est toujours présente, de la même façon que la volonté de certains dirigeants extrémistes d'instaurer un véritable Jihad et de déstabiliser l'Occident dont ils veulent remettre en cause les valeurs.

Pour adapter la réponse étatique et organiser la riposte face à ce nouveau terrorisme qui n'a pas toujours de leaders,il faut développer la surveillance d'internet, la détection précoce des signes de radicalisation, comme cela s'est passé auparavant autour du crime organisé. Celui-ci s'est en effet "atomisé" dans le sens où le combat contre les grandes mafias clairement identifiées a finit par les subdiviser en réseaux plus petits.

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