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Alexandre Benalla, enfant terrible d'une République où triomphent les intérêts particuliers
©Benjamin CREMEL / AFP

Derrière l'arbre

Entre mépris pour les libertés de la presse et les libertés publiques, pour les parlementaires et les flirts avec le conflit d'intérêt, l'affaire Benalla dépasse bel et bien la personne de l'ancien garde du corps du président Emmanuel Macron.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Le nouveau chapitre qui s'ouvre dans l'affaire Benalla confirme le caractère politiquement emblématique de ce personnage haut en couleurs. Macron avait promis une rupture avec le monde ancien et avait d'ailleurs bousculé, en juillet 2017, la procédure parlementaire pour faire adopter au pas de charge une loi de moralisation de la vie politique. À chaque révélation nouvelle, Benalla n'en finit pas de montrer combien cette ambition fut une posture de communication, et combien, avec Emmanuel Macron, la République a perdu l'ensemble de ses mécanismes de contrôle interne du pouvoir présidentiel. 

Tout se passe comme si Emmanuel Macron, élevé au lait de la haute fonction publique, n'avait pris aucune distance critique vis-à-vis de l'antiparlementarisme basique qui sévit dans les couloirs de Bercy et de quelques autres administrations. Sans nuance et sans précaution, il a laissé prospérer dans son entourage l'esprit des petits marquis qui méprisent les contraintes de l'État de droit et se présentent volontiers comme la seule incarnation utile de la République. 

Benalla et le mépris pour la liberté de la presse

Dès la campagne électorale, Alexandre Benalla s'était signalé par de violentes altercations avec des journalistes. Ce faible respect pour la liberté d'informer, cette volonté de montrer à des reporters une toute-puissance sans limite, a continué après l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir. 

Ainsi, en décembre 2017, alors que le Président faisait du ski dans les Pyrénées, Alexandre Benalla avait menacé des journalistes de BFM, pourtant chaîne de télévision peu suspecte d'anti-macronisme primaire. Les menaces étaient directes, sans nuance, personnelles. Benalla avait alors affirmé aux journalistes qu'il connaissait leurs adresses privées. 

Bien entendu, le même Benalla ne pouvait ignorer la façon dont Macron et son entourage maltraitaient la liberté de la presse en faisant régulièrement pression sur les rédactions. Avec une complaisance qui leur est propre, beaucoup de médias ont depuis cette époque occulté de nombreux épisodes désagréables. Mais faut-il rappeler ici que 23 sociétés de journaliste avaient, en juin 2017, publié un communiqué commun dénonçant l'attitude d'Emmanuel Macron et de son entourage vis-à-vis de la liberté d'informer? 

Certains dénoncent régulièrement la haine des journalistes qui sévit parmi les Gilets Jaunes. Mais l'équipe Macron n'a pas nourri autre chose, et Benalla en fut l'un des porte-flingues. 

Benalla et le mépris pour les parlementaires

Une autre caractéristique de la macronie tient au mépris du parlementarisme, poussé jusqu'à vouloir réduire brutalement le nombre de députés, et à vouloir réduire non seulement le droit de l'Assemblée à amender les textes, mais même le droit à les discuter. C'est le propre de la haute fonction publique française que d'affirmer l'inutilité des parlementaires et de vouloir leur retirer le maximum de prérogatives. 

De ce point de vue, Benalla est à l'unisson de ce mépris lorsque, convoqué devant une commission parlementaire, il commence par annoncer publiquement qu'il ne répondra pas à la convocation. Puis, face à l'arsenal juridique déployé pour le menacer, il finit par céder.

Mais tout porte à croire aujourd'hui qu'il a menti à la commission sénatoriale en soutenant qu'il avait rendu ses passeports diplomatiques. Or les récentes révélations sur ses voyages à l'étranger montrent qu'il les possède toujours. Les a-t-il rendus à la demande du Quai d'Orsay puis récupérés en octobre comme il l'affirme aujourd'hui? 

Cette dernière version parait suspecte, mais si elle était vraie, elle ouvrirait une nouvelle grave crise dans la macronie. On comprendrait en effet assez mal pour quelle raison le président aurait accordé des passeports diplomatiques à une personnalité désormais exclue de son entourage et dont l'Élysée soutient qu'il n'est plus chargé d'aucune mission. 

Benalla et le mépris pour les libertés publiques

Autre caractéristique de la haute fonction publique: la faible compréhension des libertés publiques fondamentales, et notamment de la liberté d'expression. D'une manière générale, la haute fonction publique tend à considérer que toute opinion contraire à la sienne relève de l'erreur d'appréciation commise par un idiot qui n'a rien compris à la vérité. 

Lors des manifestations du 1er mai, première étape de "l'affaire", Alexandre Benalla semble avoir pris les mots excessifs qui circulent dans les couloirs du pouvoir à la lettre. Coiffé d'un casque de policier, il semble ne pas avoir hésité à faire le coup de poing avec des manifestants, comme si la répression était une mission salutaire, et non entourée par des textes et des garanties constitutionnelles.

On remarquera que le recours désormais généralisé à l'interpellation et à la garde à vue préventive pour limiter le droit à manifester ne procède pas d'une autre logique que celle-là.

Benalla et le flirt avec les conflits d'intérêt

Mais un autre point est désormais soulevé par Benalla - point qui est le grand tabou de la macronie, mais dont rien ne dit qu'il ne la rattrapera pas un jour: celui des conflits d'intérêt.

Pourquoi Alexandre Benalla allait-il au Tchad en décembre avec un groupe d'homme d'affaires turcs? Si l'on comprend bien ce qui émerge désormais, Benalla mettrait les pieds dans la Françafrique en "apprentissage", où son carnet d'adresses et sa connaissance d'un appareil de pouvoir pourraient être utiles. Est-on ou non dans la conflit d'intérêts?

La réaction "préventive" de l'Élysée sur le sujet montre toute la sensibilité du dossier, qui concerne Benalla comme d'autres avant lui. Alexis Kohler lui-même, secrétaire général de l'Élysée, a fait l'objet d'une campagne de presse sur cette question. À la différence de Kohler, toutefois, Benalla ne relève pas du contrôle très erratique de la commission de déontologie de la fonction publique, chargée de vérifier la régularité des pantouflages: un contractuel de cabinet n'est pas soumis aux règles supposément drastiques (mais à géométrie variable) qui s'appliquent aux agents publics. 

C'est peut-être sur ce point que la macronie a le plus à s'en faire désormais. Car l'opinion publique est chauffée à blanc sur la question du conflit d'intérêt. Et l'équipe Macron, qui se targue de croiser allègrement parcours dans le secteur public et le secteur privé, exposera tôt ou tard la flanc à la critique. 

Reste à savoir si Benalla sera ou non le premier de la série destructrice qui pourrait s'annoncer. 

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