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Alerte sur l’Etat providence : la double bombe de la présidentielle que ni la droite ni la gauche ne voyaient venir
©Sebomari.com

Paradoxe

Alors que des études ont montré que la préservation de l'Etat providence et les questions de santé ont été déterminantes dans le vote pro-Brexit, certains candidats de la primaire de la droite proposent des programmes axés sur une réduction des dépenses sociales. De son côté, la gauche continue de promouvoir la diversité alors même qu'ouverture de la société et protection sociale semblent de plus en plus incompatibles.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Dans un livre publié en 2006 (Combattre les inégalités et la pauvreté. Les États-Unis face à l'Europe), le directeur de la recherche économique de Harvard, Alberto Alesina, et son collège Edward Glaeser montrent "la relation fondamentale entre fragmentation raciale et dépenses sociales en pourcentage de PIB", indiquant que plus un pays est fragmenté "racialement", moins les dépenses sociales en faveur des plus démunis seront soutenues par une majorité de la population. De la même façon, en 2007, le sociologue américain Robert Putnam a pu, sur la base d'une large enquête menée sur 30 000 personnes, faire un lien négatif entre diversité des populations, capital social (confiance mutuelle, abstentionnisme etc..) et solidarité sociale. A l'inverse, les études relatives au Brexit ont pu mettre en avant l'importance donnée par la population aux questions de santé et d'Etat providence, tout comme les Français sont attachés au modèle social du pays (pour 77% d'entre eux, IFOP, 2014). Alors que les candidats actuels de la primaire de la droite et du centre basent leurs discours sur la question identitaire, tout en proposant des baisses massives de dépenses sociales, notamment au travers des larges coupes prévues pour la sécurité sociale, ne peut-on pas voir ici une injonction contradictoire que les programmes de droite semblent oublier ? A l'opposé, peut on parler de paradoxe lorsque les programmes de gauche prônent ouverture de la société tout en souhaitant maintenir l'Etat providence ?

Laurent Chalard : Effectivement, il semblerait que les candidats à la primaire de la droite et du centre tentent de ménager la chèvre et le chou, c’est-à-dire qu’ils cherchent à satisfaire d’un côté, les 1 % les plus riches, qui souhaitent mettre à mort l’Etat-Providence, et, de l’autre côté, les classes moyennes d’origine européenne très attachées à la défense de l’identité, mais aussi à l’Etat-Providence de manière exclusive, c’est-à-dire seulement pour les Français de naissance. En effet, les candidats à la primaire de la droite et du centre, craignant le basculement massif d’une partie de leur électorat potentiel vers l’extrême-droite, se sentent obligés de tenir un discours identitaire, mais, finalement, l’intérêt de la classe avec qui ils partagent le plus d’affinités, c’est-à-dire les 1 % les plus riches, ne va pas vraiment dans ce sens, d’autant que la sécurité sociale profite à tous les Français ! La soumission totale des leaders de la droite républicaine à ce qu’il est traditionnellement convenu d’appeler le Grand Capital constitue son principal point faible, qui, risque de faire le jeu de l’extrême-droite, qui, elle, promet la défense de l’identité et le maintien de l’Etat-Providence pour les Français de naissance.   

Alexandre Delaigue : L'idée qu'il existe une incompatibilité entre une protection sociale très élevée et une société très diverse -  la diversité venant soit de l'histoire (comme c'est le cas des Etats-Unis avec la présence d'une population noire et d'une population blanche) soit de flux migratoires récents  - est une vieille idée, et a été développée, entre autres, par Friedman. Selon ses défenseurs, des flux migratoires ouverts sont incompatibles avec la protection sociale car une protection sociale attractive pousserait des migrants à venir uniquement pour en profiter sans y contribuer.

L'autre théorie, qui est celle d'Alesina et Glaeser, est que dans une société très diverse, circule toujours l'idée que les dépenses sociales risquent de bénéficier aux "autres" (c’est-à-dire aux autres catégories de population). Par exemple, dans les Etats du Sud des Etats-Unis, l'hostilité envers les dépenses sociales est forte parce que les blancs, qu'ils soient riches ou pauvres, ont l'impression que les dépenses sociales élevées vont plutôt bénéficier aux noirs qu'à eux-mêmes. Ils vont ainsi préférer qu'il n'y ait pas de dépense sociale du tout plutôt que de voir l'essentiel de leurs impôts aller vers les populations noires. Cet argument-là, auquel s'ajoutent des facteurs historiques, explique selon Alesina et Glaeser le fait qu'il n'y ait pas vraiment eu aux Etats-Unis de syndicalisme, ni de mouvements ouvriers très développés mais que se soient en revanche installés des mouvements communautaires. Aux Etats-Unis, les populations se sont constituées autour de communautés et les oppositions se sont faites par communauté. Tout cela expliquerait donc l'incompatibilité entre la diversité et ce qui est la conséquence d'un mouvement ouvrier important : de fortes dépenses sociales.

Dans ces conditions, alors que les questions de l'identité et de l'immigration sont au cœur des débats aujourd'hui, la France pourrait-elle évoluer vers cette configuration, c'est à dire moins de dépenses sociales à cause du sentiment que celles-ci bénéficient majoritairement aux autres - et par "autres", nous entendons les migrants - ? L'assistance médicale d'urgence, dont on dit que même les immigrants clandestins en France peuvent en bénéficier, a été récupérée par beaucoup de politiciens à droite qui considèrent que cela devrait être supprimé car ça conduit les pauvres immigrés à venir pour se faire soigner gratuitement en France.

Néanmoins, très vite ce type d'arguments va rencontrer un écueil. Le plus gros morceau de la dépense de sécurité sociale en France, c'est la politique de santé et l'essentiel des dépenses de santé repose sur l'hôpital et le remboursement des soins médicaux. Or tous les Français bénéficient de ces politiques.

Le deuxième gros morceau des dépenses sociales, ce sont les retraites. Or les retraites bénéficient majoritairement aux Français dits "de souche" et non aux Français issus de l'immigration.

Le dernier gros morceau, c'est la politique familiale, qui est très largement défendue par le monde conservateur.

Ainsi, quiconque souhaite toucher à la protection sociale en jouant sur cette dimension identitaire sera très vite confronté  à un mur : il est en pratique impossible de baisser les dépenses sociales en France en espérant s'appuyer sur cet aspect identitaire. 

En 2013, un sondage IFOP révélait que 66% des Français étaient prêts à "Payer plus pour la protection sociale et maintenir le niveau de couverture sociale des Français", un chiffre qui atteignait 54% pour les sympathisants de droite. En quoi l'élaboration de tels programmes économiques visant à réduire les dépenses sociales peut-elle être une bombe à retardement pour les candidats de la droite et du centre ?

Laurent Chalard : Pour les Français, qu’ils se revendiquent de droite ou de gauche, ou, de plus en plus, sans affiliation partisane, le programme économique de la droite confirme que les leaders politiques de notre pays apparaissent complètement déconnectés du réel. Ces derniers semblent vivre dans un monde parallèle, s’imaginant que les patrons et les actionnaires des entreprises du CAC 40 sont les seuls à avoir une vision réaliste du monde, alors qu’ils ne font que défendre leur propre intérêt, qui est de s’enrichir au maximum, se moquant éperdument du devenir de la nation française. La soumission des politiques de droite aux puissances économiques, certains apparaissant comme de simples "laquais", les délégitimise complètement auprès de nos concitoyens, qui souhaitent l’émergence de personnalités politiques fortes capables d’imposer leurs vues au monde économique, comme ce fut le cas par le passé avec le général de Gaulle ou comme c’est le cas aujourd’hui en Russie avec Vladimir Poutine, qui a remis à leur place les oligarques. La destruction de l’Etat providence ne conduirait qu’à l’accentuation du rejet des élites, aboutissant à un climat pré-révolutionnaire.

Alexandre Delaigue : C'est effectivement une bombe à retardement à une seule condition : que ces questions économiques, de chiffrage et de mesure rentrent véritablement dans le débat public. Or, à chaque campagne électorale depuis bien longtemps, des candidats disent qu'il faut baisser les déficits mais dès qu'il s'agit d'être plus précis, ils s'arrêtent.

La France est confrontée à une équation insoluble : les Français veulent une réduction des déficits publics, le maintien des dépenses publiques, et une baisse des impôts.

Il est impossible de sortir de cette équation-là. Si un candidat veut se lancer dans un programme de baisse des dépenses, il risque très vite de se faire doubler par un candidat qui dira qu'il ne le fera pas, et qui d'une manière ou d'une autre, promettra un miracle quelconque. Le miracle de François Hollande a ainsi été de promettre qu'il irait renégocier les traités européens afin de permettre le maintien d'un déficit élevé, promesse qui n'a pas été tenue mais qui dans le cadre d'une campagne électorale a été audible.  

La question des dépenses génèrera des difficultés dans le cadre de la primaire de la droite : le candidat dont le programme sera de faire baisser les dépenses sociales se fera doubler soit sur sa gauche soit sur sa droite car comme vous le rappelez, l'électeur médian français ne veut pas de baisse des dépenses sociales, tout simplement parce que c'est lui qui va les payer. Par ailleurs, l'électeur médian français a plus de 50 ans : il n'est pas d'accord avec le fait de baisser les retraites car il voit le moment où sa retraite va arriver, il ne veut pas qu'on baisse les dépenses de santé car il anticipe le moment où sa santé va coûter cher.

Dans le cadre démocratique actuel, quelles sont les solutions, les choix, offerts aux gouvernements pour répondre à ce paradoxe de l'Etat Providence ? La question se résume-t-elle à un choix entre d'une part ouverture à la mobilité des personnes et réduction de l'Etat social et d'autre part Etat providence fermé ?

Laurent Chalard : Comme bien souvent, il est difficile de répondre à une question aussi complexe en quelques lignes. La première solution serait déjà que les hommes politiques s’émancipent des puissances économiques, qui ne voient l’Etat Providence que sous un aspect de coût, sans se rendre compte que s’il venait à disparaître, la situation sociale serait intenable. La deuxième serait de faire la chasse aux gaspillages au sein de l’Etat Providence, en particulier à travers la chasse aux multiples fraudes, qui sont considérables, et menacent de tuer le système. L’Etat Providence nous coûte cher d’autant plus qu’il est très mal géré. Ensuite, se poserait, inévitablement, la question du lien entre Etat-Providence et immigration. Est-il possible de maintenir l’Etat Providence à son niveau actuel sans immigration de masse ? Dans ce cadre, l’Etat Providence doit-il s’appliquer à tout le monde ou seulement aux nationaux, puisque l’immigration de masse pèse beaucoup sur le budget de l’Etat Providence lorsqu’elle ne trouve pas à s’insérer sur le marché du travail ?

C’est un vaste débat. A l’heure actuelle, la France suit le modèle imposé par l’Union européenne, qui considère que l’Etat Providence ne peut se maintenir sans immigration de masse du fait de la dénatalité européenne. Par exemple, le financement des systèmes de retraite et de santé paraît impossible dans l’état actuel de la structure par âge de l’Europe. Cependant, ce choix sociétal n’a jamais fait l’objet d’un débat public, aucune autre solution sérieuse pour remédier au problème du financement de l’Etat Providence n’ayant été envisagée, à commencer par la plus évidente d’entre elle, qui était la mise en place d’une vraie politique visant à remonter la natalité européenne. En effet, les dirigeants de l’Union européenne ont complètement démissionné sur la question démographique, sans se rendre compte de ses conséquences : la déstabilisation du continent du fait d’une diversification trop rapide de son peuplement, d’autant que beaucoup de nouveaux arrivants proviennent d’une civilisation historiquement hostile à l’Europe.

Alexandre Delaigue : Il existe une solution en réalité à la préservation du modèle social : une politique de forte croissance économique.

La politique de croissance qui bénéficierait à la protection sociale aujourd'hui est une politique migratoire fondée sur l'immigration économique dans laquelle, sur la base de critères économiques, on déciderait d'augmenter massivement les entrées de migrants en essayant de se focaliser sur des compétences (ou des formations, des niveaux de diplôme) qui soient complémentaires de celles des Français.

Une telle politique aurait à la fois pour effet d'augmenter la croissance et résoudrait l'équation difficile des retraites, qui est que l'on va avoir de plus en plus de retraités pour des moins en moins d'actifs. Cela permettrait également de répondre au problème des comptes de la sécurité sociale car les migrants qui sont actifs sont des contributeurs nets à la protection sociale. Mais c'est là qu'apparait le paradoxe : la politique immédiate qui permettrait de résoudre le problème de la protection sociale (des flux migratoires accrus), est aussi la politique qui à terme risque de nuire à la légitimité de la protection sociale en donnant le sentiment que celle-ci bénéficie plus à ces nouveaux arrivants.

Ainsi, pour sauver la protection sociale, il faudrait une politique de croissance qui passerait, entre autres, par des flux migratoires plus élevés, mais ces entrées de migrants plus élevées, si elles deviennent importantes, risquent de nuire à la légitimité de la protection sociale. 

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