La question de l’islam peut-elle faire exploser l’UMP ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon Alain Juppé, l'islamophobie est un "des points de clivage fondamentaux" au sein de l'UMP.
Selon Alain Juppé, l'islamophobie est un "des points de clivage fondamentaux" au sein de l'UMP.
©Reuters

Laïcité

L'ancien Premier ministre Alain Juppé a expliqué mardi que l'islamophobie était un "des points de clivage fondamentaux" au sein de l'UMP. Cette question centrale est-elle de nature à créer de fortes dissensions au sein du parti ?

Caroline  Fourest,Ivan Rioufol et Alain Auffray

Caroline Fourest,Ivan Rioufol et Alain Auffray

Caroline Fourest est essayiste et journaliste.

Ivan Rioufol est essayiste et éditorialiste au Figaro

Alain Auffray est journaliste politique à Libération, spécialiste de l'UMP.

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Atlantico : Interrogé sur sa préférence pour la présidence de l'UMP, Alain Juppé a expliqué que l'islamophobie était un « des points de clivage fondamentaux » au sein du parti d'opposition. Partagez-vous ce constat ?

Caroline Fourest : Tout dépend de ce qu'on entend par le mot « islamophobie ». Si on l'entend, à l'instar des alliés objectifs de l'intégrisme, comme le fait de critiquer les abus de l'intégrisme musulman, on ne peut alors pas se revendiquer de la défense des principes de la république et de la laïcité. Mais si on l'entend comme du racisme envers les musulmans, on peut se réjouir de voir une des figures de la droite républicaine faire enfin un bilan critique de ce qu'a été la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Le candidat de l'UMP et son équipe se sont trop souvent servis du prétexte de la laïcité pour souffler sur les braises de ce qui pouvait mener à un racisme anti-musulmans.

Mais je suis mal à l'aise d'entendre cette critique dans la bouche d'Alain Juppé, qui a une tendance assez régulière à confondre laïcité avec ouverture à toutes les religions, même dans leurs formes intégristes. Par exemple, lorsqu'il a facilité à Bordeaux l'installation d'une communauté catholique intégriste en plein centre-ville, ou lorsqu'au lendemain de la révolution en Egypte, le quai d'Orsay qu'il dirigeait a choisi de dialoguer avec les Frères musulmans plutôt qu'avec les mouvements progressistes et syndicalistes, à qui la France avait aussi des choses à dire.

Ivan Rioufol : Il est intéressant qu’Alain Juppé fasse cette analyse-là car cela relève du non-dit de savoir si oui ou non on peut aborder l’islam en France et le critiquer. Il existe deux grands marqueurs du politiquement correct en France : la xénophobie et l’islamophobie. La xénophobie pour interdire d’aborder  le problème posé par l’immigration et l’islamophobie pour interdire d’aborder le problème posé, non pas par l’Islam en tant que religion, mais par l’islam en tant qu’idéologie qui entend subvertir l’espace public.

Alain Juppé a au moins l’honnêteté d’avouer, qu’en effet, il partage cette analyse du politiquement correct qui est de dire que l’on ne juge pas l’Islam, même politique. C’est pour moi une aberration dans un pays laïc où le catholicisme a été conspué pendant deux siècles. Certains à droite sont en train de faire de l’Islam une religion surprotégée, surtout en reprenant un argument qui est d’autant plus grave qu’il a été construit par les ayatollahs iraniens pour laisser l’Islam en dehors de toute critique.

Alain Auffray : Je crois que cette remarque – surprenante d'ailleurs – était un cri du cœur d'Alain Juppé. Je pense qu'il a frappé de voir, durant les meetings de l'élection présidentielle et des législatives, que lorsque les orateurs abordaient la question du hallal, de la burqa, de toutes ces exemples qui posent la question de la présence d'un islam intégriste en France, ça faisait un tabac auprès des militants.

Mon interprétation, c'est qu'il met en garde les candidats – et plutôt Jean-François Copé qu'un autre – contre d'éventuelles surenchères sur cette thématique. Je ne vise pas Copé personnellement, mais plutôt son entourage, la Droite populaire, etc, qui pourraient dans une campagne, être tentés d'aller sur ce terrain là. C'est ce que veut éviter Alain Juppé, je pense.

Existe-t-il réellement une frange islamophobe à l’UMP ou Alain Juppé exagère-t-il ?

Caroline Fourest : Encore une fois, je n'aime pas ce mot, car il permet aux intégristes d'accuser les laïcs, et à de vrais racistes de se faire passer pour des laïcs. Mais est-ce qu'il y a une frange qui a dérivé vers la xénophobie décomplexée ? Oui, je le crois. Mais je ne pense pas que la réponse à cette xénophobie soit l'ouverture aux Frères musulmans ou aux intégristes.

Ivan Rioufol : Je sais qu’au sein de l’UMP, il y a malgré tout un désir de casser ces codes du politiquement correct. On a entendu Jean-François Copé dire qu’il voulait s’en débarrasser. Si, sur le problème de l’immigration, on voit que les esprits s’ouvrent enfin et qu’il semble possible d’aborder le sujet de l’immigration de peuplement sans réciter ce crédo qui voudrait que l’immigration soit une chance pour la France. En revanche, dire que l’islam n'est pas forcément une religion de paix et de tolérance reste encore une sorte de tabou, difficile à franchir. Tabou infranchissable pour Alain Juppé, mais également difficilement franchissable par une certaine frange de l’UMP, car je sens bien que Jean-François Copé, même s’il fait des efforts pour se débarrasser du politiquement correct, reste lui aussi prisonnier de beaucoup de réserves.

Il n’est pas question de stigmatiser les musulmans à travers l’islam. Il y a une ligne de crête sur laquelle se tenir, et ce n’est pas rendre service aux musulmans démocrates que d’empêcher de critiquer l’idéologie régressive et antisémite qui peut exister dans l'islam.

Alain Juppé n’a jamais admis que l’on puisse critiquer les religions. Cela part d’un bon sentiment, mais dans ce cas, il faut accepter que toutes les religions soient également protégées. Mgr Barbarin dit que l’Eglise catholique a pris l’habitude qu’on s’essuie les pieds sur elle. L’Eglise catholique est depuis toujours conspuée, ridiculisée. Je n’ai pas entendu Alain Juppé s’insurger. Il y a ici une sorte de soumission à une idéologie qui fait peur, notamment à ceux qui y sont confrontés directement, et Alain Juppé l’est dans le cadre de son mandat à Bordeaux.

Quelles peuvent être les conséquences de ce clivage sur l’unité du parti ?

Caroline Fourest : Le regard plus ou moins critique porté sur la tonalité de la campagne présidentielle va être déterminant pour que les écuries au sein de la droite se repartissent. Il y a ceux qui vont assumer tout le sarkozysme, et les autres – qui ont avalé beaucoup de couleuvres ces dernières années - qui vont se revendiquer de valeurs républicains et essayer de revenir à une droite plus chiraquienne et moins compatible avec le Front national. Mais c'est lors des prochaines élections locales que nous verront les fissures dans le barrage et des élus locaux moins décomplexés pour faire des alliances. En attendant, ça sera un critère discursif pour se compter au sein des écuries.

Ivan Rioufol : La déclaration d’Alain Juppé risque d’énerver terriblement une large partie de l’UMP qui a envie d’entendre un discours de vérité. La droite qui se veut décomplexée ne peut pas cautionner un discours si complexé. Alain Juppé se met ici à la marge d’un mouvement qui assure qu’il a entendu la détresse économique, sociale, identitaire et culturelle des Français. Les Français ont peur de la survenue d’un islam radical. Quand on voit l’émergence du « fascisme vert », notamment dans les pays du Maghreb, je crois qu’ils s’inquiètent à juste titre.

Alain Auffray : Il y a sans doute un risque d'une dérive de certains vers le FN. C'est une des raisons pour lesquelles l'UMP ne eut pas renoncer complétement à ces sujets. C'est subtil : je pense que Juppé veut dire qu'il faut y aller avec doigté et diplomatie. Lors des débats organisés par l'UMP, notamment sur la laïcité, Alain Juppé était déjà un de ceux qui mettaient en garde contre le risque de stigmatisation, sans contester qu'il y ait matière à débattre, à légiférer, à mettre en garde sur ces questions. Peut-être parce qu'il a été ministre des Affaires étrangères et qu'il connait le monde musulman mieux que d'autres, Alain Juppé est plus attentif que d'autres à cela au sein de l'UMP.

Par sa déclaration, Alain Juppé fait-il le jeu du Front national ?

Caroline Fourest : Ne pas se poser de questions quant au nombre de trous percés dans le barrage qui existait entre la droite républicaine et l’extrême droite, c'est faire en sorte que les eaux se mélangent. Se poser la question – même si elle est mal posée et peut être par la mauvaise personne – pourra peut-être permettre à certains de boucher les trous. Il est logique de tirer les leçons des cinq dernières années et de voir où en est la droite et où elle doit aller.

Ivan Rioufol : Vraisemblablement. Ce sujet n’alimente pas simplement le vote pour Marine Le Pen mais également la crainte des Français de voir leur pays se fragiliser par un communautarisme qui ne respecterait plus les codes de la république. Alain Juppé alimente donc les bonnes raisons qu’avaient un certain nombre de Français de se méfier de lui.

Peut-on critiquer l’islam en France sans être taxé d’islamophobie ?

Caroline Fourest : Ca ne s'est pas arrangé, et c'est aussi le produit des cinq dernières années. Ce sont deux facettes du sarkozysme : la xénophobie d'un côté, et de l'autre, en coulisse, une vraie ouverture aux intégristes religieux et une pratique de la laïcité à l'anglo-saxonne, ouverte. Nicolas Sarkozy a ouvert des brèches partout : dans l'antiracisme et dans la laïcité en même temps. Tout est à reconstruire.

Le fait qu'un gouvernement de gauche apaise les esprits sur le fond de la xénophobie dans les mots qu'il choisit, dans la pédagogie et le calme avec lequel il essaye de mener certaines politiques permettra peut-être de renforcer la laïcité sans générer d'hystérie ou d'accusation systématique d'être dans le camp des xénophobes. A condition que cette gauche soit courageuse et responsable, c'est à dire qu'elle dise les choses comme elles sont : non au racisme et à l'intégrisme, en même temps.

Ivan Rioufol : L’héritage des Lumières est d’avoir fait comprendre qu’une religion est une idéologie et est donc critiquable, comme n’importe quelle idéologie. Il y a aujourd’hui une remise en question de cet héritage, par Alain Juppé mais aussi par Manuel Valls qui a récemment dit que " toute attaque contre une religion est une attaque délibérée contre la République et ses valeurs ". Cette phrase-là revient à rendre possible le délit de blasphème, ce qui encore une fois est une aberration dans une république laïque qui s’est précisément débarrassée en 1789 du poids de l’Eglise catholique. Nous sommes en train de nous relier avec une autre religion : l’islam.

Il faut donner des lieux de culte aux musulmans s’ils n’en n’ont pas suffisamment, tout cela est d’une évidence biblique. Mais il faut également ne pas hésiter à critiquer l’islam politique quand il cherche à devenir visible et surtout quand il cherche à imposer ses règles dans le domaine public.

Alain Auffray : Je pense que oui. En fait, tout le monde est à peu près d'accord pour dire qu'il ne faut pas de burqas dans la rue. Ce n'est pas un sujet de clivage. C'est justement en tentant d'en faire un sujet de clivage gauche/droite, ou même droite/droite, c'est en construisant cette opposition qui n'existe pas vraiment que Copé ou d'autres prennent le risque de laisser s'exprimer dans le parti une xénophobie.

L’intervention d’Alain Juppé peut-elle profiter à la gauche, en lui donnant des armes contre la droite ?


Caroline Fourest : C'est le cas à chaque fois qu'un camp est dans l'opposition et doit se reconstruire. Quand quelqu'un de gauche critique la gauche, il est accusé de faire le jeu de la droite, et inversement. Mais c'est une étape nécessaire quand on veut essayer de tracer une autre voie.

Ivan Rioufol : Alain Juppé cherche à diaboliser les opposants. Il rejoint le camp du politiquement correct et de la bien-pensance en acquiesçant de la sorte sur les « interdits de dire » imposés par la gauche.

Alain Auffray : Je ne pense pas. Alain Juppé a un peu une position de sage dans cette compétition, je pense donc que sa mise en garde n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Les candidats l'ont entendu et vont faire attention. C'est comme une sorte d'avertissement qu'il a prononcé, et ça peut inciter à la prudence, voire à la mesure, les candidats à la présidence de l'UMP.

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud et Morgan Bourven

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