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Airbus : affaire de corruption ou conséquence d’une guerre économique discrète menée par les États-Unis ?
©REUTERS/Luke MacGregor

Troubles en vue

En 2016, Airbus s’accuse de pratiques fautives devant le SFO (Serious Fraud Office) britannique. Cette autocritique est-elle « spontanée » ou est-elle la conséquence d’une guerre économique discrète menée par les États-Unis ?

François Géry

François Géry

François Géry est Avocat au Barreau de Paris, François est diplômé de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr – filière droit et gestion. François a débuté sa carrière en tant qu’Officier de Gendarmerie au sein du Ministère de la Défense où il a occupé plusieurs postes lui ayant permis d’acquérir une expertise dans les domaines du droit pénal et des sociétés ainsi que de la gestion de crise. 

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Alain Juillet, ancien directeur de la DGSE (Direction générale de la Sécurité extérieure), commente sobrement : " Nous sommes face à une affaire d’État qui touche aux questions de souveraineté nationale de plusieurs États européens " (propos rapportés dans Le Monde daté du 14 octobre). Il est vrai qu’Airbus, dont la France et l’Allemagne détiennent chacun 11% du capital, l’Espagne 4%, fabrique non seulement des avions de ligne, mais aussi des avions militaires (A400M) et des hélicoptères de combat. Une telle entreprise, qui compte 134000 salariés (sans compter la myriade de sous-traitants), a un chiffre d’affaires de 66 milliards d’euros et un résultat net de près d’1 milliard d’euros, serait même sans cela d’une importance stratégique pour l’Europe. Il est donc préoccupant de la voir menacée d’une très lourde amende comprise entre 1 et 3 milliards d’euros. Celle-ci viendrait sanctionner une omission de déclaration d’intermédiaires lors de la négociation de contrats à l’étranger. Certes, le versement de pots-de-vin n’est pas admissible et doit être condamné, mais il serait naïf d’envisager uniquement la dimension morale de cette affaire, qui est aussi révélatrice de la guerre économique que les États-Unis livrent à l’Europe à travers le droit.

Airbus se serait " spontanément " dénoncé au SFO (Serious Fraud Office) britannique en 2016 à la suite d’audits internes portant sur le caractère " incomplet " de certaines déclarations. C’est possible. Mais dans son enquête titrée " Airbus. Des menaces dans l’air ", Le Monde propose une autre explication : le Ministère de la Justice américain aurait averti Airbus qu’il avait connaissance d’éléments susceptibles de déclencher une enquête au titre du FCPA (Foreign Corrupt Practices Act), qui permet de poursuivre des entreprises étrangères pour des faits commis hors des États-Unis sur la base d’informations réunies par leurs services de renseignement. Airbus aurait donc préféré se dénoncer auprès des Britanniques, plutôt que de prendre le risque de poursuites aux États-Unis, ce que l’on peut comprendre au vu du traitement réservé par la justice américaine à Technip, Alstom ou BNP Paribas…

Le danger que fait peser sur l’économie française et européenne la multiplication de ce type d’affaires n’est pas tout à fait ignoré. Un des bons connaisseurs de cette question, Pierre Lellouche, fondateur de l’IFRI (Institut français des relations internationales), ancien ministre du Commerce extérieur et ancien président d’une mission d’information parlementaire sur l’extraterritorialité de la législation américaine, déclare à ce sujet : " Au fil de mon travail à la commission des Affaires étrangères, j’ai découvert la puissance du rouleau compresseur normatif américain qui revêt la forme d’un véritable impérialisme juridique et économique. Sous couvert de grands principes avec lesquels tout le monde ne peut être que d’accord, comme la lutte contre la corruption, les États-Unis imposent leurs lois aux entreprises étrangères, même quand leurs activités n’ont aucun lien avec le territoire américain. Cette extraterritorialité de la justice américaine a coûté plus de 10 milliards de dollars aux entreprises françaises ces dernières années " (Entretien du 5 juin 2016 dans L’Opinion). 

Dans le cas présent, on s’interroge à nouveau sur l’usage fait par les États-Unis du FCPA (destiné à assurer une concurrence juste et loyale en luttant contre la corruption) : n’a-t-il pas été instrumentalisé pour affaiblir Airbus, le seul concurrent de Boeing ? Contrôler l’usage que les États-Unis font du FCPA, et riposter en cas d’abus, paraît plus que jamais nécessaire.  Cela ne pourra être fait qu’au niveau européen, mais une réaction de Bruxelles se fait encore cruellement attendre.

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