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Air France/Airbus : les impasses 
du "patriotisme économique"
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Zone de turbulences

Alors que le salon de l'aéronautique bat son plein, l'affaire Air France-KLM/Airbus n'est pas encore réglée. Un véritable coup médiatique et malvenu qui pourrait profiter au concurrent Boeing.

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe est vice-président de l'Autorité de la concurrence et professeur affilié à ESCP-Europe. Il est également professeur des universités.

Spécialiste des questions de concurrence et de stratégie d’entreprise, il a publié de nombreux articles et ouvrages, notamment sur le modèle low cost (Le low cost, éditions La Découverte 2011). Il tient à jour un site Internet sur la concurrence.

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Alors qu’Air France-KLM s’apprête à passer une importante commande d’avions de nouvelle génération,  une centaine de députés de tous horizons politiques ont exhorté la compagnie franco-hollandaise à faire preuve de “patriotisme économique” en choisissant le modèle d’Airbus, initiative aussitôt relayée par le secrétaire d’Etat au commerce extérieur. Ces prises de position médiatiques, même si elles sont animées des meilleures intentions - la défense de l’emploi et de la compétitivité européenne - sont en réalité maladroites et malvenues.

Malvenues pour l’entreprise Airbus tout d’abord, qui se retrouve bien malgré elle dans une position délicate. Mettons-nous un instant à la place des clients  potentiels de l’avionneur, qui se trouvent notamment dans les pays émergents : ne vont-ils pas penser que si l’A350 a besoin d’être soutenu politiquement, c’est peut-être parce qu’il n’est pas aussi performant qu’ils pouvaient le penser ? L’interventionnisme politique, surtout lorsqu’il agit à visage découvert, alimente toujours la suspicion et le doute. De manière paradoxale, cette agitation publique pourrait profiter au concurrent Boeing : si d’aventure Air France venait à choisir Airbus, Boeing aurait beau jeu de dénoncer la main visible de l’Etat français et de déterrer la hache de la guerre commerciale. A cet égard, l’argument selon lequel les Américains n’ont pas fait mieux lors de l’appel d’offre sur les avions ravitailleurs ne tient pas la route : il s’agissait d’un marché public lancé par le Pentagone, avec les deniers publics du contribuable américain, alors que dans le cas français nous avons affaire à la décision d’un investisseur privé.

Malvenues pour toutes les entreprises françaises qui travaillent pour Boeing. Nos députés oublient que la construction d’un avion résulte de l’assemblage de milliers de composants, souvent conçus et produits dans différentes régions du monde, dont l’Europe. Par exemple, le nouveau modèle de Boeing, le 787, associe pour une part importante de sa valeur ajoutée des entreprises françaises comme Zodiac, Thalès ou Safran. Jouer le patriotisme économique dans un monde globalisé et interdépendant, c’est prendre le risque de perdre ailleurs ce que l’on vient de gagner ici.

Malvenues pour Air France-KLM ensuite. Air France KLM est aujourd’hui une entreprise à capitaux majoritairement privés, cotée en bourse et dont les décisions doivent être dictées par des considérations exclusivement économiques et non politiques. Air France doit déjà  affronter de redoutables défis,  que ce soit la concurrence des low cost sur le court/moyen courrier ou l’arrivée des compagnies asiatiques et du Moyen-Orient sur le long courrier, sans qu’il soit besoin de lui imposer des contraintes supplémentaires. L’Etat n’a pas à demander à une entreprise de faire de la politique industrielle à sa place. Si l’Etat actionnaire, qui détient encore 15% du capital a son mot à dire sur les grandes orientations stratégiques du groupe et la nomination de ses dirigeants, il outrepasse son rôle lorsqu’il s’immisce dans les décisions qui relèvent de l’expertise technique ; à moins que nos députés s’estiment plus éclairés sur les bons choix d’investissement que le management d’Air France ?

Malvenues enfin pour notre pays, qui n’arrive pas à se défaire des réflexes d’une autre époque, celle des Trente Glorieuses.

Une époque où l’Etat décidait de tout puisqu’il injectait directement des milliards dans quelques grands projets industriels. Avec un résultat mitigé d’ailleurs : de réels succès comme EDF, le train à grande vitesse ou Airbus –qui est une initiative franco-allemande plus que franco-française- mais aussi des échecs industriels et commerciaux que l’on passe souvent sous silence comme le plan Calcul ou le programme Concorde.  Mais les temps ont changé. Les caisses de l’Etat sont presque vides et la politique industrielle n’a plus les moyens de ses ambitions.

Une époque où l’Etat, aux manettes de l’économie, jouait au meccano industriel et construisait de toute pièce des champions nationaux, en ciblant quelques secteurs prioritaires : le nucléaire, les transports, etc. Mais cette idée est révolue : le rythme du progrès technique s’est accéléré, le processus de « destruction créatrice » est aujourd’hui à l’oeuvre dans tous les secteurs et il est impossible de prédire quels seront les champions de demain. Tout miser sur quelques projets et quelques entreprises pendant 20 ans, c’est prendre le risque de passer à côté d’autres pépites que l’on n’avait pas même envisagé, c’est détourner son attention de toutes les PME de croissance. Les champions  ne se décrètent plus ; ils se construisent tout seul, dès lors que le terreau économique est favorable à leur émergence.

Regardez Apple : qui aurait parié il y a 15 ans que la firme moribonde de Cupertino allait renaître de ses cendres et révolutionner l’univers du téléphone portable puis celui de l’ordinateur portable ? Apple vaut aujourd’hui à la bourse américaine 5 fois la valeur de Boeing. Regardez Google, Amazon ou Facebook :  quel gouvernement aurait pu prévoir la fulgurante ascension de ces entreprises issues de la révolution Internet ?

La meilleure politique industrielle aujourd’hui, c’est d’abord une politique économique, qui favorise l’éclosion et la croissance de nouvelles pépites. Une politique de long terme, bien éloignée des coups de menton et des effets d’annonce.

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