Afrique : extension du domaine du djihad <!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que la France envisage un redéploiement dans la zone, les groupes djihadistes progressent.
Alors que la France envisage un redéploiement dans la zone, les groupes djihadistes progressent.
©Daphné BENOIT / AFP

Progression au sud

La zone traditionnelle des groupes armés terroristes a progressé vers le sud.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : La pauvreté et le changement climatique ont fourni un terrain fertile aux criminels et aux extrémistes en Afrique. Le Nord du Bénin est au centre d'une crise sécuritaire qui s'est déplacée vers le Sud depuis le Sahel. Comment expliquer l’extension de la menace de ces groupes djihadistes ?

Emmanuel Dupuy : Cette réalité perdure depuis plusieurs années maintenant. L’élasticité géographique des groupes armés terroristes s’est concrétisée à travers leurs déplacements vers les pays du Golfe de Guinée : en témoigne la mise en place de l’état d’urgence depuis le mois de juin au Togo ou bien encore avec des attaques de plus en plus régulières au Nord-Ouest du Bénin ou au Nord-Est de la Côte d’Ivoire et à l’Ouest du Sénégal. La zone traditionnelle des groupes armés terroristes s’est étendue sous l’égide de la création de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) en 2015 et du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) sous l’égide de Iyad Ag Ghali. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso restent l’épicentre du plus grand nombre d’attaques et évoquent 900 attaques pour la seule année 2021. Ces attaques touchent désormais les pays voisins qui jusqu’à présent s’étaient montrés solidaires des pays sahéliens mais sans participer à leurs côtés aux opérations de contre-terrorisme. Cette réalité est désormais dépassée. Le G5-Sahel, créé en 2014, a désormais besoin de s’étendre à d’autres pays.

Cette extension géographique est également visible au-delà de la seule menace djihadiste sahélienne, à l’instar de la menace résiduelle depuis 2009 autour du lac Tchad, aux frontières du Nigeria, du Niger et du Cameroun.

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Il y a désormais, comme en attestait le déplacement d’Emmanuel Macron en Guinée-Bissau, au Bénin et au Cameroun, une extension de la menace ciblant les pays riverains du Golfe de Guinée, sans oublier la continuation de la menace en Afrique du Nord, au Maghreb, où le risque d’attentats reste élevé et permanent comme en témoignent les nombreuses  tentatives d’attentats qui ont été avortées, récemment au Maroc.

Qu’est-ce qui explique qu’il y ait cette extension progressive ? Ces pays n’ont-ils pas suffisamment de résistance ?

Il y a plusieurs raisons. La faiblesse institutionnelle des Etats est l’une des explications à cette situation. Les Etats du Sahel n’ont pas su ni résister, ni marginaliser seuls les groupes armés terroristes. De facto, ces groupes se sont étendus dans différents Etats, depuis l’Algérie vers le Mali, du Mali vers le Niger et le Burkina Faso et désormais en direction du Bénin, du Togo, du Ghana, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal.

25% du territoire burkinabé échappe désormais à la souveraineté sécuritaire de Ouagadougou. Cela est aussi vrai pour une vaste étendue de la partie Nord et Est du Mali dans ce qu’il convient d’appeler la boucle du fleuve Niger, ainsi qu’à la frontière entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, dans la région dite des trois frontières.

Les Etats du Sahel ne sont plus en mesure d’assurer leur propre sécurité sur leur propre territoire. Cela a donc permis aux groupes terroristes de progresser inexorablement. Depuis une semaine, la ville de Bamako est encerclée par des combattants du GSIM. La menace s’étend de plus en plus dans des zones qui jusqu’ici étaient peu ou prou contrôlables. Les Etats en question, le Bénin, le Ghana, le Togo, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Sénégal, n’étaient pas, a priori, des pays qui étaient des cibles prioritaires pour les groupes terroristes. Ils le sont devenus par le fait que ces pays sont des partenaires des Etats qui luttent contre les groupes armés ainsi que des alliés des pays occidentaux qui participent aux opérations de contre-terrorisme et de lutte contre le terrorisme, comme c’est le cas avec la France à travers l’opération Barkhane ou les Nations Unies avec la MINUSMA ou encore les opérations EUTM vis-à-vis de l’Union européenne. Des pays comme le Bénin, le Togo, le Rwanda, le Sénégal et le Tchad ont décidé ou sont sur le point de rapatrier une partie des contingents qu’ils avaient fournis à la MINUSMA qui devait aider à la sécurisation du Mali. L’on comprend aisément que ces pays cherchent désormais à sécuriser leur propre territoire.   

Est-ce que le Bénin est devenu la nouvelle ligne de front pour les djihadistes ? Ou est-ce un peu excessif ?            

La nouvelle ligne de front des djihadistes est le Burkina Faso. Il s’agit du pays le plus affaibli actuellement. S’il ne reçoit pas d’aide rapidement, il ne pourra résister longtemps à la pression des GAT (groupes armés terroristes). La situation sécuritaire actuellement à Ouagadougou ressemble à celle de la fin 2012 et du début de l’année 2013 au cours de laquelle les groupes armés terroristes avaient progressé très rapidement sur le territoire malien. Cela avait occasionné le déclenchement de l’opération Serval, le 9 janvier 2013. Au-delà du Burkina Faso, la situation au Bénin s’est aggravée ces dernières années comme en témoigne les incursions de djihadistes dans le parc de Pendjari au Bénin : l’on se souvient que deux ressortissants français avaient été pris en otages puis libérés en mai 2019. Le Nord-Ouest et le Nord-Est du Togo sont également concernés tout comme les régions du Nord-Ouest du Cameroun qui sont déjà des lignes de front de longue date. Le Cameroun fait face au phénomène djihadiste de Boko Haram depuis 2009 déjà, tout comme ses voisins nigérians et nigériens et tchadiens.

Un communiqué du gouvernement burkinabé a précisé qu’ils avaient ouvert le dialogue avec les membres de groupes armés. Est-ce le signe que la situation est vraiment critique ?

La position de la junte militaire au Burkina Faso n’est pas totalement partagée par l’ensemble des pays confrontés à la menace terroriste. Le président Mohamed Bazoum du Niger n’est pas tout à fait sur la même position que le président du régime de transition au Burkina Faso, Paul-Henri Sandaogo Damiba, ni sur la même ligne que le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga au Mali. Tout le monde n’ouvre ainsi pas le dialogue avec le même entrain avec les djihadistes. L’idée d’un dialogue avec les djihadistes progresse néanmoins ou de nombreuses voix sur la nécessité des échanges au niveau local avec ces insurgés. Le précédent président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, avait lui-même initié un début de dialogue avec des intermédiaires de ces groupes djihadistes. Le dialogue existe également au Mali, au cercle de Niono, sur la base d’accords locaux avec la Katiba Macina. Cette stratégie n’est pas le signe d’une faiblesse de la part des Etats. Il s’agit plutôt d’une opportunité face à une situation complexe : les forces françaises se redéploient, la MINUSMA est interrogée sur sa pérennité, le G5 Sahel n’existe quasiment plus suite au choix du Mali de ne plus en faire partie… Les pays touchés par le terrorisme essayent donc d’inventer de nouvelles formes de coopérations régionales, incluant des processus de réconciliation et de réintégration (DDR, démobilisation, démilitarisation, réintégration). Le président Bazoum a lui-même lancé un appel pour une forme de coalition régionale élargie au-delà des cinq pays du Sahel. Le  président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló, qui a désormais pris la tête de la présidence tournante de la CEDEAO a lancé l’idée d’une force anti-putsch sur la base des forces africaines en attente. Cette force existe du reste déjà depuis le début des années 1990 à travers l’ECOMOG (Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group, autrement appelée Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la CEDEAO) qui est intervenue au Libéria, au Sierra Leone et en Guinée-Bissau. Le cadre de la CEDEAO est donc privilégié pour essayer de juguler un phénomène désormais bien plus large que la simple région Sahélo-Saharienne. La question du terrorisme est désormais corrélée avec celle de la lutte contre les grandes criminalités, notamment concernant les interconnexions avec le trafic de drogue. Le président de Guinée-Bissau, ancien militaire lui-même et désormais à la tête de la CEDEAO, a lancé l’idée d’une plus forte vigilance contre les trafiquants de drogue qui de facto financent les groupes armés. La sécurité maritime était aussi au cœur du déplacement du président Emmanuel Macron lorsqu’il s’est rendu en Guinée-Bissau, au Bénin et au Cameroun. C’est en juin 2013 que les 19 pays du Golfe de Guinée ont lancé l’initiative des accords de Yaoundé en évoquant le fait que la piraterie maritime peut s’apparenter à une forme de terrorisme en mer. 95 % des prises d’otages et des kidnappings sur des équipages à travers le monde se déroulent dans le Golfe de Guinée.

Avec la volonté pour l’Europe d’être moins dépendant du gaz et du pétrole russe, il y aura, inévitablement, une accélération de la manière dont les pays européens vont dialoguer avec des pays qui sont déjà de grands distributeurs et des pays prometteurs de réserves d’hydrocarbures, comme le Nigeria qui produit 2 à 4 millions de barils / jour. Des gisements ont été récemment découverts au large de la Côte d’Ivoire ainsi qu’au Sénégal. Il y a ainsi une intensification du trafic maritime le long des côtes ouest-africaines. La mise en place de stratégies intégrées pour lutter contre les insécurités se doit d’être le pendant sur mer de ce qui a été fait jusqu’à présent sur Terre.

Quelle est la position française dans le cadre du redéploiement militaire en Afrique et la manière dont elle envisage cette évolution ?

La France envisage un « redéploiement » sous la forme d’un « saupoudrage » de ses hommes. Ces troupes ne seront pas concentrées dans des bases positionnées dans les pays qui désormais font face à la menace terroriste (Bénin et Togo). Du reste, les trois bases françaises au Tchad ainsi que celles du Niger vont rester. Il n’y aura en revanche plus de bases militaires françaises au Mali après la fermeture de celle Gao d’ici la fin de l’année. Les forces françaises seront ainsi repositionnées. Il y aura 2.500 militaires français qui continueront à lutter contre le terrorisme au Sahel. Celles-ci se feront plus discrètes et plus adaptées aux besoins des pays menacés.

Les forces françaises de l’opération licorne resteront en Côte d’Ivoire. Les forces françaises du Sénégal seront également maintenues. Le président du Bénin, Patrice Talon, a aussi appelé à une intensification de la coopération avec la France sous la forme de prêts de matériel, d’échanges de renseignements, et de coopération plus active de formation entre les armées béninoises et les forces armées françaises. En résumé, la France ne quitte pas la région du Sahel. Elle s’adapte à la menace. La France, comprenant la « complexité » de cette menace, envisage désormais sa présence de manière plus intégrée aux besoins exprimés par ses partenaires ouest-africains. C’est du moins l’esprit de la réforme de l’offre sécuritaire française en Afrique que le président Emmanuel Macron est venu présenter à ses trois homologues béninois, camerounais et bissau-guinéen il y a quelques jours. 

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