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Adultères : ce que tolérait la société médiévale
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Moyen Âge et érotisme : les deux termes paraissent contradictoires. Ils ne le sont pas. La civilisation médiévale, taxée à tort d’obscurantisme, fut extrêmement inventive dans les domaines du désir et de la sexualité. Extrait de "L'érotisme au Moyen-Age", (Editions Tallandier), Arnaud de La Croix (1/2).

Arnaud de La Croix

Arnaud de La Croix

Arnaud de La Croix est philosophe de formation. On doit à ce jeune historien, qui aborde le Moyen Age avec un regard neuf, "L’Érotisme au Moyen Âge. Le Corps, le désir et l’amour" (Tallandier, 2003), mais aussi "Les Templiers" (Le Rocher, 2002). Ses ouvrages sont traduits en plusieurs langues.

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Ovide, né dans les Abruzzes en 43 av. J.-C., mourut exilé en Roumanie en l’an 17 ou 18. Il doit son exil à l’accusation d’immoralité dont il aurait fait preuve dans L’Art d’aimer. Or, nous savons qu’Ovide était entre-temps devenu le poète favori de la haute société romaine. Que s’est-il passé ? Dans L’Art d’aimer, il prétend enseigner, instruire : apprendre à son lecteur comment séduire, comment ensuite faire durer l’amour. Dieu masculin, fils de Vénus, qui a percé l’auteur de ses flèches, son Amour se rapproche de celui des Grecs. Il est jeune, fils de la déesse qui préside tant à la beauté qu’aux transports du désir, qui se nommait Aphrodite en Grèce. C’est un dieu archer, chasseur. Ovide reprend donc à son compte les caractéristiques propres au dieu grec traditionnel, mais aussi l’aspect masculin et conquérant que lui accordait Platon. Cette facette est, dirons-nous, accusée encore par le poète latin, qui apostrophe ainsi son lecteur : « Soldat qui, pour la première fois, affrontes des combats où tu es neuf (10). »

Rappelons que l’Amour médiéval est mot féminin : c’est une différence de taille. Certes, André le Chapelain, théorisant l’amour courtois au XIIe siècle, comparera, à la suite d’Ovide, le séducteur masculin à un chasseur ou à un oiseau de proie, et la femme convoitée à une biche, serrée de près par l’épieu du prédateur. Mais il insistera aussi, dans des dialogues acérés où s’affrontent hommes et femmes avec les armes de la scolastique, sur la nécessaire réciprocité des désirs.

Plus fondamentalement, il semble que les poètes et théoriciens courtois du Moyen Âge aient saisi, au contraire d’un Platon ou d’un Ovide, combien le séducteur conquérant est toujours lui-même séduit par le charme de sa « victime ». Cette fatale réversibilité de la séduction, pour reprendre le mot du sociologue Jean Baudrillard (11), ni le Grec Platon, ni le Romain Ovide ne semblent en avoir pris conscience. Ce sera un acquis, difficile et progressif, de l’érotisme médiéval.

Remarquons par ailleurs, à la lecture d’Ovide, combien se profile déjà chez lui l’opposition, qui sera reprise par un Ibn Hazm, puis par les poètes courtois, entre amour et mariage.

« Qu’il y ait des discussions pouvant écarter le mari de la femme et la femme du mari et leur faire croire sans cesse qu’ils sont en procès l’un avec l’autre, est permis à des époux ; la dot de la femme, ce sont les discussions ; l’amie, elle, doit toujours entendre les mots qu’elle souhaite. Ce n’est pas un ordre de la loi qui vous a réunis [les amants] dans un même lit ; votre loi à vous, c’est l’amour (12). »

Qu’un poète chéri des Romains, ces inventeurs du droit, en fasse appel à la loi pour qualifier l’union des époux, et lui oppose une loi différente, celle de l’amour, voilà qui relève bien de l’immoralité. Le mariage dans les sociétés romaine, arabe, féodale, on le sait, est d’abord régi par la convenance : il est imposé par le cadre familial et social aux époux, pour ne pas morceler l’héritage ou pour créer des alliances profitables, et ce à tous les niveaux de la société. Que le sentiment amoureux, à Rome, en Andalousie puis dans les cours féodales d’Occident soit d’abord hors-la-loi, rien n’est moins surprenant. Il ne saurait se développer que dans l’adultère, on le vérifiera chez les troubadours ou avec le roman de Tristan et Yseut. Et la condamnation du plaisir sexuel entre époux par l’Église selon laquelle, à la suite du platonisme, le but de la procréation est seulement la génération, ne fera qu’aggraver les choses.

Or que fait Ovide ? Décrivant avec complaisance les moeurs de la société romaine de son temps, il montre dans son Art d’aimer où et comment trouver, séduire et retenir d’excitantes femmes mariées (au cirque, au théâtre, avec la complicité des servantes). Son traité est un véritable guide du tourisme sexuel de la Rome antique, qui écrit tout haut ce que ses concitoyens et concitoyennes faisaient en silence. Qu’il recommande la « discrétion absolue » aux amants ne l’empêche pas de dévoiler, comme Ibn Hazm, les troubadours ou, plus tard, André Le Chapelain, le secret des relations extra-conjugales, raison pour laquelle ils furent condamnés tour à tour. La société tolère certains agissements extralégaux, elle n’accepte pas qu’on les chante pour autant.

C’est aussi pourquoi l’érotisme médiéval se développera comme une véritable contre-culture, tantôt florissante et tantôt marginale, toujours en contradiction avec ce « refus du plaisir » qui va marquer le Moyen Âge chrétien mais ne le dominera pas pour autant.

10) Ovide, L’Art d’aimer, texte établi et traduit par Henri Bornecque, Paris, 1924, 1994, p. 10.

11) De la séduction, Paris, 1979.

12) Ibid., p. 44.

Extrait de "L'érotisme au Moyen-Age", Arnaud de La Croix, (Editions Tallandier), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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