Adolescents et réseaux sociaux : l’étrange épidémie de tics apparue sous l’influence de TikTok depuis les confinements<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
On a beaucoup parlé, pendant la pandémie, de tics, notamment s’apparentant à des syndromes de la Tourette, apparus chez des jeunes après avoir utilisé TikTok.
On a beaucoup parlé, pendant la pandémie, de tics, notamment s’apparentant à des syndromes de la Tourette, apparus chez des jeunes après avoir utilisé TikTok.
©MANJUNATH KIRAN / AFP

Santé mentale

Malgré des milliers de cas constatés dans le monde, l'épidémie semble s’être dissipée aussi rapidement qu’elle était apparue mais est très révélatrice des défis qui se posent à la santé mentale des jeunes.

Andreas Hartmann

Médecin des hôpitaux, neurologue, et responsable du centre de référence maladie de Gilles de la Tourette à l'hôpital de la Salpêtrière.

Voir la bio »

Atlantico : On a beaucoup parlé, pendant la pandémie, de tics, notamment s’apparentant à des syndromes de la Tourette, apparus chez des jeunes après avoir utilisé TikTok. De quoi retourne-t-il ?

Andreas Hartmann : Il est important de préciser que ce ne sont PAS des patients Tourette. C’est un autre trouble qui se manifeste par des mouvements, des vocalises, qu’on voit se matérialiser de manière brutale, soudaine, à des périodes plutôt tardives pour l’apparition de tics (qui commencent plus tôt dans l’enfance). Nous parlons de Functional tic-like behaviors. Souvent, l’on observe beaucoup de ces manifestations en même temps, ils sont très complexes, avec des mots, des phrases, des gros mots, des comportements auto et hetero-agressifs. Or un certain nombre d’influenceurs, sur Instagram et TikTok notamment, prétendent avoir la Tourette - difficile de dire si c’est vraiment le cas ou pas ou s’ils font exprès - ce qui laisse penser à un effet de mimétisme. Le phénomène est global, puisqu’il a été observé de San Francisco à Tokyo en passant par Rome et Melbourne. En France et dans la plupart du monde, ce sont principalement des jeunes femmes, là où généralement la Tourette touche plutôt les garçons. Et tout cela a été observé sur fond de pandémie. On a supposé que c’était une manifestation liée au stress de la pandémie, à l’isolement social et probablement une surconsommation des réseaux sociaux.

Pourquoi un mimétisme de la Tourette ?

Il est important de préciser que le phénomène n’était pas limité au tics. Il y a eu une augmentation des cas de personnalités multiples, d’anorexie, de TDAH, etc. Tous les domaines touchant de près ou de loin à la santé mentale ont vu des phénomènes de mimétisme par l’observation des réseaux sociaux.

À Lire Aussi

Derrière le filtre viral TikTok qui rend leur tête d’adolescent aux adultes, une gigantesque collecte de données de reconnaissance faciale ?

Mais la Tourette peut être l’occasion de faire des actions, de dire des choses, et de ne pas en assumer les conséquences en faisant porter le chapeau au syndrome. Et cela a un bon potentiel de divertissement. Evie Meg, une influenceuse qui a plus de 15 millions d’abonnés, en joue et se montre toujours en train de rire de cela.

La pandémie n’est pas terminée mais sa phase aigüe, et les restrictions, oui. Les patients ont-ils disparu ?

Nous voyons moins de cas maintenant. Que ce soit moi à Paris ou mes collègues à l’international, nous avons le sentiment d’une stagnation du phénomène, même si les choses ne sont pas tout à fait finies non plus. Et l’on se demande vraiment si cela finira définitivement un jour puisqu’on peut penser qu’il y aura toujours des personnes anxieuses ou fragiles qui seront susceptibles de regarder ces vidéos et de développer ces réactions.

Comment ont évolué les patients qui ont manifesté ces troubles durant la pandémie ?

Ce n’est pas facile à dire car la plupart des patients ne sont jamais revenus. Normalement, c’est plutôt bon signe car cela signifie qu’ils vont mieux. J’ai systématiquement proposé aux patients que je voyais de revenir s’ils le souhaitaient pour faire un point. Ce n’est pas parce que ce n’était pas un Tourette classique que je n’étais pas concerné pour autant. Je pense qu’une grande partie a du connaitre une amélioration de sa situation. Et pour ceux que j’ai revu, ils allaient tous mieux au second rendez-vous. Ce que nous proposons dans ces cas-là est une psychothérapie à visée anxiolytique. Ceux qui l’ont fait en ont tiré des bénéfices.  

Qu’est-ce qui peut expliquer l’ampleur de ce phénomène ?

Du temps de Jean-Martin Charcot, on parlait d’hystérie, pas dans le sens péjoratif qu’il a pris aujourd’hui mais pour parler d’une forme de trouble neurologique avec une base organique. On a aussi parlé de troubles conversifs. C’est une manifestation subconsciente, la somatisation d’une certaine souffrance psychique par des symptômes physiques. Cela a existé à chaque époque, ce n’est pas nouveau. En revanche, le fait que ce soient des tics est assez nouveau, on était plutôt habitué à des tremblements ou des tétanies. Ce qu’on sait, sur les patients fonctionnels, c’est qu’ils sont souvent anxieux, mal dans leur peau, ce qui laisse à penser que c’est une expression physique de leur mal-être. Et surtout, le phénomène semble global, ce qui pointe la responsabilité des réseaux sociaux.

Pourquoi les filles ont été particulièrement touchées ?

Je pense que l’explication est que la plupart des influenceurs qui affichent ce trouble sont de sexe féminin. En Allemagne cependant, c’est un Youtubeur masculin, Jan Zimmerman qui s’est fait remarquer avec ce syndrome. Et dans les cliniques allemandes, on a vu presque la moitié de garçons, ce qui n’était pas le cas ailleurs.

Que dire à des parents dont les enfants feraient face à ce problème ?

Le premier conseil, c’est de rester calme même si le phénomène est assez impressionnant à regarder. On peut être effrayé par la force des manifestations. Mais la meilleure chose à faire est sans doute d’attendre que cela passe. Il est toujours mieux de consulter, même si cela embolise nos salles d'attente. Il faut, de préférence, se tourner vers un psychiatre ou pédopsychiatre.

Ces phénomènes doivent-ils nous pousser à mener une réflexion plus poussée sur les réseaux sociaux et leurs effets ?

Cela paraît compliqué. Il y a évidemment des discussions importantes sur les méfaits des réseaux sociaux sur la santé mentale des gens, mais je vois mal comment réguler le phénomène. Il faut que tout un chacun apprenne à réguler sa consommation des réseaux sociaux, puisque le phénomène nous concerne tous.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !