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L'addiction à la pornographie, qui passe notamment par l'ultra accessibilité des contenus sur Internet, fait partie des nouveaux maux du XXIème siècle.
L'addiction à la pornographie, qui passe notamment par l'ultra accessibilité des contenus sur Internet, fait partie des nouveaux maux du XXIème siècle.
©Reuters

Nouvelles addictions

L'addiction à la pornographie, qui passe notamment par l'ultra accessibilité des contenus sur Internet, fait partie des nouveaux maux du XXIème siècle. Alors après avoir mis un mot sur la maladie, Atlantico se penche aujourd'hui les différents moyens de se sevrer. Deuxième épisode de notre diptyque sur l'addiction à la pornographie.

Michelle  Boiron

Michelle Boiron

Michelle Boiron est psychologue clinicienne, thérapeute de couples , sexologue diplomée du DU Sexologie de l’hôpital Necker à Paris, et membre de l’AIUS (Association interuniversitaire de sexologie). Elle est l'auteur de différents articles notamment sur le vaginisme, le rapport entre gourmandise et  sexualité, le XXIème sexe, l’addiction sexuelle, la fragilité masculine, etc. Michelle Boiron est aussi rédactrice invitée du magazine Sexualités Humaines

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Atlantico : Une fois l'addiction pornographique et sexuelle révélée, quels sont les traitements qui existent pour les patients ?

Pour en savoir plus, retrouvez le premier épisode de notre série de la semaine sur les nouvelles addictions : Comment devient-on accro au porno ?

Michelle Boiron : L’addiction pornographique est souvent découverte par un tiers, un conjoint, des amis, la famille. L’accumulation des conduites à risques fait que l’addict donne à voir et se fait prendre. Il laisse toujours des traces. C’est une forme d’appel au secours, une demande d’aide inconsciente. Le sexe peut entraîner très loin et la justice peut être au bout de certaines conduites extrêmes. L’addiction sexuelle et sa médiatisation a bel et bien été activée par une affaire politique récente. La demande de soin et surtout la reconnaissance de l’addiction sexuelle est déjà un pas vers la guérison. Il reste le bon thérapeute à trouver, les sexologues sont pour certains très bien formés aux pathologies addictives. Mais soyons conscient, il est difficile d’effectuer une démarche pour réguler voire se sevrer de sexe ! Ce qui est à l’œuvre dans le sexe c’est d’abord des pulsions de vie même si les pulsions de mort ne sont jamais très loin. 

Il n’y a pas encore de pilules magiques mais des médicaments qui baissent le seuil de l’angoisse et du stress sont parfois à prescrire pour accompagner le patient qui veut s’en sortir. Les laboratoires s’activent et il y a déjà de nouvelles molécules pour l’addiction à l’alcool.

Quelles sont les différentes étapes à franchir jusqu'à la guérison ?

L’étape majeure est la reconnaissance de la pathologie addictive par le sujet lui-même, et pas seulement par son entourage. L’abandon du déni et l’acceptation de la frustration sont la base du traitement.

Le sexe est  le "lit" de toutes les pulsions de vie et de mort qui habite l'humain tout au long de l'existence alors tentons de le garder «possible», car il est nécessaire à l'équilibre de vie. L'apaisement doit venir de l'intérieur pour se conjuguer avec un objet extérieur, pas l'inverse ! Or l'acte sexuel, quand il prend la forme d'un objet drogue, va  nier le sujet qui sera «consommé». Nous devons soigner nos patients pour qu'ils puissent acquérir une santé sexuelle et pourquoi pas les accompagner par une réflexion analytique vers un équivalent spirituel. C'est notre ambition que de proposer selon chaque patient une thérapie singulière afin qu'il puisse trouver la voie qui le mènera à mieux se connaitre dans un premier temps; puis dans un second temps à trouver un équilibre sans lequel on est toujours sur le fil du rasoir ! En langage DSM (langage psychiatrique) : le borderline!

On constate que les patients addicts sexuels ne franchissent pas souvent le seuil des cabinets de psy car ils sont dans le déni et ont du mal à admettre la dépendance et l'aliénation. En revanche, ils entendent la souffrance physique. C'est souvent à la faveur d'un incident réel sur le corps qu'ils peuvent prendre conscience de leur conduite addictive et des conséquences nocives qui en résultent. 

Le critère qui doit alarmer, le sujet ou ses proches, est l'amenuisement de la jouissance et que celle-ci cède la place à la souffrance. Cela oblige le sujet à un accroissement des prises et une perte d'effet, ce qui entraîne une désocialisation progressive pouvant aller jusqu'à l'isolement. La demande de soins peut aussi émerger au sein de la famille, dans le groupe d'amis ou encore au travail, même si l'addict sexuel répugne souvent à s'ouvrir à des tiers de son affection. La reconnaissance de la souffrance est cruciale; il restera ensuite le choix du thérapeute : celui qui exerce en libéral et est spécialisé dans les addictions, ou bien certains centres de traitement des addictions comme l’hôpital Marmottan. Quel que soit le choix du patient, il faut lui faire confiance. Il n'y a pas de hasard dans la rencontre du patient avec son psy. Une fois la décision prise, il appartiendra au patient de mesurer l'enjeu dans le contexte de sa vie. Il trouvera une thérapie adaptée à ses besoins.

La difficulté de l'abstinence doit être évoquée sans leurre, une certaine transparence dans les conduites, à propos de la ou les rechutes envisagées etc. Tout cela doit être pensé clairement avant de s'engager dans un protocole de soins qui doit être bien cadré. Reconnaître que l'on est addict nécessite une relation de confiance, dans un lieu où l'on se sent bien et avec un thérapeute voulu. Le mensonge doit être banni, la culpabilité hors champ. Les consignes données doivent être respectées : l'obligation de noter chaque jour la place que prend l'addiction, quelle consommation journalière, ce qui la déclenche, quels bénéfices offre-t-elle encore? Ecrire chaque pulsion comme une constatation sans culpabilité ni honte. Le but thérapeutique : sortir du déni, extraire l'addiction de soi, la soustraire en la nommant, la décrivant, en la "couchant" sur le papier... La parole exprimée de ce qui se vit  à l'intérieur du corps sera confrontée à l'écoute du thérapeute, grâce au transfert et l'alliance thérapeutique. Sera alors mis en lumière le mode de fonctionnement, toujours banalisé et amenuisé dans sa vérité. Le patient pourra alors mesurer la répétition, le rythme effréné, la dimension incontrôlable de sa conduite sexuelle et la perte de plaisir et de jouissance remplacée par la douleur psychique et parfois physique. C’est un long chemin.

Les scientifiques ont-ils conscience de ce problème ? Des recherches sont-elles en cours pour trouver d'autres traitements ?

Même si il n’y a pas de consensus sur la notion même d’addiction, la recrudescence des pathologies addictives avec ou sans produit devient un réel sujet d’inquiétude et commence à mobiliser les laboratoires. Il y a une nette augmentation du nombre de personnes atteintes, et surtout, la population concernée est de plus en plus jeune. La prévention est indispensable. L’information a donc son rôle à jouer, en préconisant la performance et la jouissance sans limite on n’a juste omis de sensibiliser sur le risque de telles conduites excessives.

Faut-il prendre le problème à la source et interdire la pornographie ?

Le monde virtuel d'Internet via la pornographie ne traduit pas à lui seul la crise profonde des représentations du sexe mais il touche à l'image de soi et modifie le sens de l'acte sexuel ainsi que sa finalité dans l'existence même de l'individu. Le "vrai" sexe nécessite une relation incluse dans un mouvement fluide, source de dynamisme, d'inventivité pour ne pas dévier sa trajectoire et rater son envol. Alors que ce voyage via Internet s'il n'est qu'une escale pour initier le profane du sexe ne peut être un support pour remplacer une initiation qui fait défaut. Hélas, parmi les quelques curieux, la machine à créer du besoin va choper ceux qui ont des difficultés à s'investir dans une relation à l'autre, ont une faible d'estime d'eux et les conduire plus ou moins rapidement dans la dépendance. Le "système de récompense" est autonome et il réclame son plaisir. Quand on a été longtemps frustré notamment dans l'enfance, on peut soit jouir de la frustration, soit être avide de comblement et tomber dans l'addiction. Il en résulte une perte du sens de la conduite sexuelle.

Tous ceux qui sont "à risque" d'addiction doivent maintenir une certaine vigilance à vie. La société de consommation et l'exigence de performance sont en partie responsables de ces dérives addictives. Le politiquement correct où  "si tu ne sodomises pas tu es naze", la machine Internet avec ses milliards de chiffres d'affaires à la clé, tous ces facteurs favorisent et incitent l'accès facile à la pornographie. Internet vous donne les clés pour entrer dans ce monde mais pas celles pour en sortir !

L'addiction sexuelle, maladie emblématique du "XXIème SEXE" arrive dans un climat où la norme est explosée, chahutée, sans limite. Du "il est interdit d'interdire" de la libération sexuelle, l'addiction nous questionne sur la liberté. Quand on est addict sexuel, on n'est plus libre. Alors tout ce chemin : 40 années pour acquérir une jouissance libre qui panserait tous les problèmes existentiels va conduire l'homme à subir sa conduite, se laisser dicter ses excès, politiquement corrects par une réglementation sociale. Il est peut être plus vital de redéfinir une norme ; il ne peut y avoir d’addiction sans excès or l’excès se définit bien par une norme. L’être humain ne peut définir sa liberté que par rapport à l’interdit. Aujourd’hui, la quasi-suppression des normes en matière de sexualité, le tout est permis, créent un déséquilibre et favorisent l’addiction notamment à la sexualité.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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