Accidents de la route : les femmes meurent plus dans les crashs frontaux et l’industrie automobile vient juste de s’attaquer au problème <!-- --> | Atlantico.fr
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Des chercheurs suédois ont créé un mannequin qui représente mieux le corps féminin pour les crash tests.
Des chercheurs suédois ont créé un mannequin qui représente mieux le corps féminin pour les crash tests.
©Bertrand Guay / AFP

Sécurité routière

Des chercheurs suédois ont créé un mannequin qui représente mieux le corps féminin pour les crash tests afin de mieux adapter les voitures à toutes les morphologies.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Jean-Pierre Corniou : Le développement de l’automobile depuis les années cinquante s’est traduit par un nombre croissant d’accidents et de victimes au fur et à mesure de l’accroissement du parc automobile. C’est en 1949 que la Prévention routière voit le jour à l’initiative des compagnies d’assurances. Elle a un objectif d’information et d’éducation à l’usage de la route. La mortalité routière a été en France jusqu’aux années soixante-dix un fléau considérable. Le nombre de morts a atteint France en 1972 une pointe avec 16 645 morts et 380 000 blessés. Dès 1973, le gouvernement a engagé une série de mesures pour améliorer la sécurité routière dont l’enrichissement a été constant. Une Délégation à la sécurité routière est alors créée et elle engage une vaste campagne de communication destinée à infléchir les comportements des automobilistes en les incitant à respecter scrupuleusement les règles de sécurité. Mais ces campagnes ont un effet limité et on constate que la sécurité routière est le fruit d’une série d’actions complexes et pluridisciplinaires. Elle touche aussi bien le réseau routier, sa conception, son entretien et son mode d’exploitation, la conception des véhicules et la formation et le comportement des usagers, ainsi que les facteurs naturels. Il faut donc agir sur chacun de ces facteurs grâce à une politique globale qui englobe prévention et répression, et fasse intervenir conjointement les pouvoirs publics, les constructeurs et les associations d’usagers.

L’industrie automobile a mis en œuvre des mesures touchant à la fois la sécurité dynamique, par l’amélioration constante de la tenue de route, et a repensé en profondeur la sécurité passive. La modélisation numérique joue désormais un rôle essentiel dans la conception de la sécurité du véhicule mais les tests physiques demeurent le juge absolu.

Euro NCAP, un standard européen

Le port des ceintures de sécurité est rendu obligatoire en 1973. L’accent est graduellement mis sur les équipements de sécurité du véhicule à partir des années quatre-vingt dix avec la généralisation des air bags. Mais il est apparu que c’est la conception du véhicule qui est le premier facteur de sécurité. Pour le démontrer il faut procéder à des test. Mais si les tests avec des mannequins antropomorphes ont été réalisés par les constructeurs depuis les années cinquante, Euro NCAP (European New Car Assesment Program) n’a été créée qu’en 1997. C’est un organisme indépendant  dont la mission est d’évaluer la sécurité passive des véhicules à travers une série de tests de choc.  Sont ainsi restés le choc frontal, le choc latéral, le choc poteau et le choc piétons. La notation est une note globale qui s’appuie sur l’évaluation dans quatre domaines : la protection des occupants adultes, la protection des jeunes passagers, la prtotection des piétons  et le niveau de performances des technologies d’aide à la conduite et d’évitement d’accident. Ces tests font l’objet de protocoles rigoureux  et évolutifs. Les étoiles Euro NCAP sont devenus un label essentiel au moment du choix d’un véhicule car non seulement elles attestent que le véhicule dépasse les normes de sécurité et dispose des équipements de sécurité les plus récents mais l’évolution du système de notation – une citation est valable pour six ans – met aussi en évidence le durcissement des normes.

La sécurité routière est une formidable avancée de l’industrie automobile depuis plusieurs décennies. Mais c’est un chantier continu car le trafic s’accroit, les véhicules évoluent avec l’électrification progressive et les comportements changent ainsi que les morphologies des conducteurs et des passagers.  L’objectif des pouvoirs publics en Europe est zéro mort, et c’est aussi l’objectif des Nations Unies, car on déplore au plan mondial 1,2 million de morts chaque année. Ceci implique des innovations dans la conception des véhicules et ceci passe par une modernisation des tests.

Atlantico : Des chercheurs suédois ont créé un mannequin qui représente mieux le corps féminin, peut-on espérer le voir utiliser par les constructeurs pour mieux adapter leurs voitures à toutes les morphologies ? Cela pourrait-il réduire les dangers ?

Jean-Pierre Corniou : La technologie des tests évolue sans cesse. L’objectif est de rendre compte de la situation la plus réaliste possible. Si les tests ont pris en compte l’évolution des conditions d’accidents, ils n’ont pas intégré la féminisation de la population automobile. Ainsi le mannequin qui représente aujourd’hui les femmes dans les tests est une version « réduite », mais sans modification stracturelle, du mannequin masculin qui pèse 48 kg et mesure 1,49 m. Il n’a d’ailleurs été installé à la position du conducteur que depuis 2015 par EuroNCAP. 

Or la différence de morphologie entre les hommes et les femmes n’est pas anodine. Des études de l’Université de Virginie démontrent  que dans les mêmes conditions de choc les femmes courent le risque de blessures plus graves que les hommes dans 73% des cas. Cette étude a été corroborée par une étude britannique de l’Université de Plymouth sur 70 000 dossiers de traumatologie routière. Les femmes sont deux fois plus nombreuses à être coincées dans un véhicule accidenté, et souffrent  plus au niveau du bassin et de la colonne vertébrale.

Aussi le travail de l’Institut suédois de recherche sur la route et les transports a consisté à mieux représenter la population dans sa diversité pour évaluer les comportements des véhicules dans des conditions encore plus proches de la réalité démographique et physiologique. Le mannequin créé mesure 1,62 m et pèse 62 kg, et adopte une silhouette au niveau du torse et du bassin plus conforme à la situation des femmes.

Optimiser la sécurité des voitures pour des corps masculins et féminin est-il possible, sachant que les hommes sont plus nombreux, quantitativement, à mourir sur la route ?

Jean-Pierre Corniou : Il est exact qu’en France les hommes meurent plus que les femmes d’un accident routier.

2 492 hommes et 756 femmes ont ainsi été tués en 2018. La période COVID a bouleversé les pratiques routières et les données sont altérées par cette situation. Mais les causes de mortalité étant variées, et différenciées selon les pratiques de mobilité, il parait difficile d’envisager avoir des résultats probants à court terme par une amélioration des conditions de sécurité permettant de mieux intégrer les spécificités féminines. Il faut que les tests apportent des informations scientifiques nécessaires à cette intégration dans la conception de l’habitable tout en continuant à protéger tous les occupants.

Sur la décennie 2010, le rapport homme/femme est à peu près constant. 83 % des tués sont des hommes et 82% des accidents mortels sont provoqués par les hommes.  91% des accidents mortels causés par des hommes sont liés à l’alcool, à la vitesse et à l’usage de stupéfiants, pratiques dangereuses auxquelles les femmes sont moins enclines. Sur la décennie 2010, le nombre des accidents corporels a baissé de 20%, ceux des tués de 26% et ceux des blessés de 21%. La mortalité routière en 1926 était de 2 900 personnes alors que le trafic a été multiplié par 50. On constate donc que l’ensemble des mesures de sécurité ont porté leurs fruits. Il reste que la mortalité des populations les plus vulnérables, piétons, cyclistes et deux-roues motorisés représente 52% de la mortalité routière en 2021. La protection des différents pratiquants des mobilités douces fait l’objet de réflexions pour réduire leur vulnérabilité, notamment par les aménagements des cheminements et pistes cyclables.

Doit-on faire évoluer les législations dans le sens de tests incluant des mannequins féminins ?

Jean-Pierre Corniou : Une telle évolution parait aujourd’hui prématurée. Il faut continuer les études, trouver un consensus scientifique et préparer les adaptations pour les nouvelles générations de véhicules ; l’industrie automobile est une industrie de volume mondiale, les évolutions de réglementation sont complexes et lentes. Néanmoins ces résultats apportent un éclairage nouveau sur un aspect de la sécurité routière jusqu’alors assez peu documenté et devront être pris en compte dans le temps. En dix ans en France la sécurité routière a progressé lentement. Ces résultats (-9% de baisse de mortalité sur dix ans avec une amélioration régulière) sont certes significatifs d’autant plus que le trafic a augmenté mais ne sont plus spectaculaires.

De plus, ces mesures d’adaptation de la sécurité pour les morphologies féminines ne seraient applicables que pour le flux des véhicules neufs alors que le problème du stock de véhicules, de conception plus ancienne, ne pourrait trouver de solution. Il faut donc continuer à agir sur tous les paramètres de sécurité tout en étant lucide. Il sera difficile de progresser de façon très visible alors que tout ce qui touche à l’automobile revêt en France, mais pas seulement, un caractère sacré, beaucoup d’automobilistes considérant leur automobile comme le dernier refuge pour l’exercice de leur liberté. Et à ce constat général, on imagine l’interprétation qui pourrait en être faire dans les débats sur le genre. Il faudra donc avancer rigoureusement et scientifiquement pour apporter des résultats visibles pour protéger la population féminine au vu de ces premiers résultats.

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