Abus sexuels : cette nouvelle crise que l’Eglise de France peine terriblement à gérer dignement <!-- --> | Atlantico.fr
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Mgr Michel Santier.
Mgr Michel Santier.
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Sanctions

De nouvelles victimes de Mgr Michel Santier se manifestent.

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Atlantico : De nouvelles victimes de Mgr Michel Santier se manifestent, que savons-nous de cette affaire ? 

Damien Le Guay : Nous ne savons pas tout, mais tout ce que nous en savons est stupéfiant, pour ne pas dire honteux. Un prêtre, dans les années 1990, pratiquait des confessions et ce devant l’eucharistie avec, en échange, une demande d’enlever un habit à chaque fois qu’un péché été reconnu. Au bout de ce « strip-confession » l’absolution était donnée. Ce prêtre, Michel Santier, fondateur d’une communauté nouvelle (Réjouis-toi !) a reconnu les faits. En 2019, deux hommes ont dénoncés, dans le cadre de l’institution, ces faits pour avoir été les victimes de ces pratiques perverses. Entre temps, le dit prêtre est devenu évêque (de Luçon, puis de Créteil). Il est resté évêque pendant vingt ans. Considérant des « problèmes de santé » (seule raison avancée), il a « remis sa démission au pape » qui, le 9 janvier 2021 l’a acceptée. 

Or, voila que nous apprenons, tout dernièrement, qu’une enquête a été menée par le Vatican qui, reconnaissant les faits, a conduit à prononcer « des mesures disciplinaires » pour « abus spirituel à des fins sexuelles » commis sur « deux majeurs il y a trente ans ». Cette enquête, couverte par le sceau de la confidentialité, ne fut connue par personne. Les paroissiens de Créteil n’en surent rien. Et rien ne fut dit lors de la démission de l’évêque. Et ce même évêque devenu émérite fut même invité par son successeur à célébrer la messe chrismale en avril 2022. 

Vous dites qu’il y a là des éléments « honteux ». Pourquoi ? 

Les faits eux-mêmes le sont. Il y a là un schéma d’emprise psychique sur des jeunes gens en demande de Dieu. Il y a là un comportement pervers afin d’obtenir des satisfactions sexuelles. Il y à là un abus d’autorité et d’autorité spirituelle. Tout cela mériterait déjà d’en passer par les tribunaux civils – même si les deux plaignants n’ont pas voulu se faire connaitre au grand jour et refusent de porter plainte. D’un point de vue catholique, il y a là une manipulation et une corruption de deux sacrements – celui de la confession et celui de l’eucharistie. Et c’est sur ce dernier motif que la procédure romaine a porté. Et qu’un prêtre, en conscience, ait pu pratiquer un tel usage frauduleux de sacrement est en soi une honte, mais que le même prêtre ait pu accepter, toujours en conscience, des responsabilités épiscopales ajoute de la honte à la honte. Troisième couche d’infamie : ce goût du secret, ces procédures ecclésiastiques qui produisent des effets restés cachés pour des motifs restés eux aussi cachés. L’évêque en question a démissionné « pour raison de santé » officiellement, alors qu’il avait été jugé indigne de son ministère, indigne de son sacerdoce. Et comme il se doit, ces secrets fermés sur eux-mêmes sont jugés comme un « entre-soi » des prêtres, comme si les « fidèles » ne devaient pas savoir et que l’Institution devait être préservée à tout prix – y compris le prix du mensonge, de la dissimulation, des petits arrangements entre amis-prêtres. Et, par la force des choses, ces secrets, qui disent un souverain mépris pour les victimes, ne peuvent pas produire les effets de révélation qu’ils engendrent toujours. Tout est là : quand une petite vérité d’abus se dit, elle en appelle d’autres. Si cette petite vérité est étouffée dans l’œuf  par l’Institution soucieuse de sa vertu de façade, alors elle reste stérile, amputée de ses ondes de choc et de tous ses effets de libération de la parole pour les autres victimes. Tout cela est évident. Evident pour tous, sauf pour les évêques. Car, depuis que ces faits sont connus de tous, de nouveaux signalements ont été portés à la connaissance de l’Evêque de Rouen. Cinq nouveaux signalements. Cinq nouvelles victimes possibles d’abus sexuels. Comment ne pas comprendre, ne pas savoir, ne pas se douter, que ces mécanismes de perversion spiritualo-sexuelle, ont la vie dure, qu’ils se sont manifestés deux fois mais aussi, à n’en pas douter, de nombreuses autres fois ? Comment ne pas se douter, ne pas comprendre, que les victimes sont d’abord victimes d’elles-mêmes et de la honte ressentie qui s’est refermée sur elles pour n’en rien dire ? Comment ne pas comprendre que le courage de deux victimes, qui osent dire haut et fort qu’elles furent manipulées par un prêtre, donne du courage aux autres, aux victimes taiseuses, culpabilisées d’avoir acceptés une telle humiliation d’avoir été reluquées nues, exposés tout nu aux yeux d’un prêtre voyeur, abuseur, pervers, manipulateur pour obtenir un sacrement d’Eglise ? Comment ne pas comprendre cela, surtout quand on dit haut et fort que tous ces agissements sont intolérables et qu’une vigilance particulière doit être exercée contre eux.   

En effet, l’Église de France a pris un engagement solennel à la transparence lors de la publication du rapport Sauvé, à l’automne 2021. La gestion de cette affaire montre-t-elle que l’Eglise a du mal à, dans les faits, mettre en pratique ses engagements ?

Oui, de toute évidence. La presse, et la presse catholique, a fait des révélations sur cette affaire. S’il y a « affaire » c’est que des journalistes ont posé des questions, ont été y voir de près. Sinon, l’omertaaurait été de mise jusqu’au bout. Omerta qui a conduit l’Evêque en question à « une vie de prière et de pénitence » dans une abbaye de Saint-Sauveur-Le-Vicomte dans la Manche, sans que les religieuses soient (on peut le penser), elles non plus, informées de la sanction canonique et des faits reprochés. De plus, il a fallu une longue semaine pour que le président de la conférence des évêques de France ne fasse à contrecœur, le 21 octobre, une déclaration publique. Mais cette déclaration, qui reconnait les faits, reconnait cette « affaire » et cette pelote de secrets enchâssés les uns dans les autres, est assez elliptique, pour ne pas dire évasive. Mais que dit ce communiqué ? Il reconnait sans dire. Il dit sans mettre en évidence les fautes faites, les perversions commises contre des sacrements d’Eglise, les viols de consciences, les abus de confiance, les abus sexuels. Et dès le début, il est question de « compassion »« pour ceux qui ont soufferts de ces faits ». C’est comme si la « compassion » était là pour cacher les faits précis non reconnus, non dits, non dénoncés. Or faisons aux évêques, un petit rappel de morale chrétienne. Avant la compassion vient la vérité ; avant le pardon vient la justice ; avant la consolation demandée à Dieu la juste reconnaissance des fautes commises. Le besoin de clarté, la nécessité de transparence, la connaissance par tous des sanctions internes sont indispensables. La vérité a un effet de clarification des cœurs, de soulagement des consciences et nous fait entrer dans une dynamique purgative. En bonne théologie chrétienne, il faut confesser ses fautes particulières, et tout reconnaitre pour être sauvé. Et puis surtout, cette transparence devient désormais une question de crédibilité de nos évêques. J’irais même jusqu’à dire qu’il en va même de la survie de l’Eglise de France. 

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