Absentéisme, résultats, idéologie, mixité… : à quel point l’enseignement privé se distingue-t-il du public ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre Gabriel Attal et la ministre de l'Education, des Sports et des Jeux Olympiques Amélie Oudéa-Castéra rencontrent des élèves lors d'une visite au collège Saint-Exupéry, à ​​Andresy, le 12 janvier 2024.
Le Premier ministre Gabriel Attal et la ministre de l'Education, des Sports et des Jeux Olympiques Amélie Oudéa-Castéra rencontrent des élèves lors d'une visite au collège Saint-Exupéry, à ​​Andresy, le 12 janvier 2024.
©ALAIN JOCARD / POOL / AFP

Education nationale

La ministre de l’Education nationale, Amélie Oudéa-Castéra, a récemment dénoncé l'absentéisme des professeurs au sein de l’école publique. Le public et le privé diffèrent-ils radicalement, notamment en matière de résultats scolaires ?

Baptiste Larseneur

Baptiste Larseneur

Baptiste Larseneur est expert résident à l'Institut Montaigne sur les questions d'éducation et responsable de projets liés au développement du capital humain et au développement économique des territoires.

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Jean-Pierre Obin

Jean-Pierre Obin

Jean-Pierre Obin est ancien inspecteur général de l'Éducation nationale. Il a publié Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école (Hermann, 2020) et Les profs ont peur (Éditions de l’Observatoire, 2023).

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Atlantico : La ministre de l’Education nationale, Amélie Oudéa-Castéra, a récemment tenu des propos qui ne passent pas auprès des enseignants, lesquels envisagent désormais une grève le 1er février. Celle-ci s’était offusquée de l'absentéisme des professeurs au sein de l’école publique. Que sait-on de ce problème, exactement ? A quel point touche-t-il l’enseignement privé ?

Baptiste Larseneur : Une étude de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) menée sur l’année 2020-2021 évaluait à 15 millions le nombre d’heures d’enseignement perdues du fait de l’absence de remplacement de professeurs dans le second degré (collège et lycée).  Ce sont donc environ 8 % des heures de cours qui ne seraient pas remplacées en moyenne dans le second degré.

Selon la cour des comptes, ce sont principalement les remplacements pour « absence de courte durée » (inférieures à 15 jours) qui posent problème. Ces absences représentent à elles seules près de 2,5 millions d’heures dans le secondaire dont seules un peu plus de 500 000 seraient remplacées.

Ce que nous constatons, de manière générale, c’est que nous manquons de données objectives sur l’absence de remplacement des professeurs. Pour autant, il y a fort à parier que ces absences touchent davantage les établissements situés dans les zones d’éducation prioritaires que les établissements situés dans des quartiers favorisés au cœur des métropoles. Ainsi, une fédération de parents d’élèves avait estimé, il y a quelques années, que du fait des absences non remplacées, certains élèves manqueraient l’équivalent d’une année scolaire sur l’ensemble de leur scolarité au sein de l’académie de Créteil.

Plus préoccupant, les résultats issus de l’enquête PISA 2022 font état d’une forte dégradation en ce qui concerne la question du remplacement des professeurs absents. Ainsi, 67 % des élèves français sont scolarisés dans des établissements dont le chef d’établissement a déclaré que la capacité à dispenser l’enseignement était entravée par un manque de personnel enseignant. En 2018, la proportion n’était seulement que de 17 %.

La politique du « pacte enseignant » doit permettre de remédier à cette difficulté majeure en offrant la possibilité aux enseignants d’effectuer jusqu’à 18 heures de remplacement de courte durée. Les résultats issus de cette politique seront un marqueur fort de l’action engagée par le gouvernement. Ils doivent être évalués. 

Concernant l’enseignement privé, les élèves sont vraisemblablement moins sujets à ces absences, même si nous ne disposons pas de données objectives, du fait de la plus grande autonomie d’organisation dont disposent les établissements privés. En effet, les pouvoirs des chefs d’établissement sont plus étendus que ceux de leurs collègues du public : ils peuvent imposer des remplacements en cas d’absence. 

Au sein des établissements privés, l’adhésion des personnels enseignants au projet d’établissement tend à modifier leur contribution volontaire à l’effort de remplacement des professeurs absents. Ainsi, les professeurs acceptent davantage d’effectuer les remplacements de courte durée de leurs collègues, sans pour autant que cela n’altère leur bien-être au sein de l’établissement : 89,7 % des enseignants du secteur privé sont tout à fait ou plutôt satisfaits du climat scolaire dans leur établissement, contre 67,4 % des enseignants du secteur public.

Jean-Pierre Obin : Je me permets, pour commencer, une précision qui fera office de préambule. La nouvelle ministre de l’Education nationale a, semble-t-il, menti : son fils, inscrit en petite section de maternelle publique pendant un trimestre, était scolarisé auprès d’une institutrice qui a déclaré ne pas avoir été absente sur cette période de l’année. Elle semble avoir le privé un peu honteux et elle n’assume tout simplement pas d’avoir placé ses enfants en dehors du public. Parce qu’elle est désormais ministre de l’Education nationale et qu’il lui est demandé de s'expliquer à ce propos, elle n’a rien trouvé de mieux que de mettre sur le dos de l’école publique une décision qui relève pourtant du choix personnel. Cela ne m’apparaît pas bon signe pour la suite : je pense que son autorité de ministre est sérieusement entamée.

Ceci étant dit, pour parler correctement d’absentéisme dans le public, il faut bien distinguer le premier degré du second, où les remplacements ne sont pas assurés de la même manière. Ainsi, il n’est pas rare que les remplacements de professeurs soient mieux assurés dans le primaire que dans le secondaire, puisqu’il le primaire bénéficie de titulaires sur zone de remplacement (TZR). De plus, la formation des instituteurs est réalisée en dehors du temps de service devant élèves. Ce n’est malheureusement pas le cas dans le secondaire, où nous sommes confrontés à beaucoup plus de difficultés. Jean-Michel Blanquer l’avait d’ailleurs bien identifié et avait tenté d’y répondre en proposant une revalorisation des professeurs en deux volets, le premier étant accordé à tous les enseignants et le second étant réservé à ceux qui acceptaient de signer un "Pacte" consistant en premier lieu à assurer les remplacements de courte durée.

Pour l’heure, il est encore un peu tôt pour identifier les résultats d’une telle initiative. Gabriel Attal, alors encore ministre de l’Education nationale, a déclaré qu’environ 25% des enseignants avaient décidé de signer le Pacte cette année, ce qui me semble un peu élevé, mais de toute façon nous ne pourrons pas faire le bilan avant la fin de l’année scolaire. A ce moment-là, il sera possible d’observer et de comparer les taux de remplacement.

Dans le privé, l’enjeu n’est pas tout à fait le même. Et pour cause ! Un grand nombre des enseignants appartiennent au personnel contractuel de l’établissement dans lequel ils exercent, ce qui signifie qu’ils sont soumis à l’autorité du chef d'établissement et ils assurent donc les remplacements de courte durée dans la majorité des cas. Cela fait partie de leur contrat. A cet égard, ils font face à une réelle contrainte avec laquelle leurs homologues du public n’ont pas à composer. Parce que la question est réglée de façon locale, il y a aussi moins de délai une fois le besoin de remplacement identifié. Dans le public, c’est le rectorat qui désigne et envoie le remplaçant, ce qui est long et dépend d’un vivier parfois peu alimenté.

Le public et le privé diffèrent-ils radicalement, notamment en matière de résultats scolaires ? Quelles sont les écoles qui s’en sortent le mieux, de ce point de vue ?

Baptiste Larseneur : Les résultats scolaires du secteur privé sous contrat sont globalement meilleurs que ceux du secteur public. Toutefois, si l'on tient compte des résultats antérieurs des élèves ou de leur milieu socio-économique, les travaux de recherche montrent qu'il y a peu de différence entre les résultats des écoles privées et ceux des écoles publiques.

Les écoles privées font souvent valoir qu'elles ont de meilleurs enseignants, des classes plus petites, de meilleurs équipements, plus d'activités extrascolaires etc. mais les travaux de recherche actuellement disponibles ne permettent pas d’identifier dans le privé sous contrat une plus-value supérieure à celle de l’enseignement public.

Notre système scolaire permet aux parents de faire un choix - même si en pratique ce sont particulièrement les plus aisés qui peuvent particulièrement exercer ce choix - entre les écoles privées et les écoles publiques. Malheureusement, trop de parents prennent leurs décisions en se basant sur des indicateurs de réussite scolaire ou pire sur le statut socio-économique des élèves. Mais, si les niveaux moyens de réussite peuvent être inférieurs dans les écoles à faible statut socio-économique, il n'est pas prouvé que les enseignants des écoles à faible statut socio-économique sont moins performants que ceux des écoles à statut socio-économique élevé.

Jean-Pierre Obin : Force est de constater que les établissements privés affichent, en moyenne, de meilleurs résultats que les établissements publics. On ne peut pas le nier. Cependant, il serait malhonnête de ne pas expliquer les véritables raisons de ce succès : il s’agit évidemment des élèves. Si l’on tient compte de l'origine sociale des élèves, les classements ne sont plus du tout les mêmes. Ainsi, il y a quelques années, le meilleur lycée de France était le lycée Gustave Eiffel de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis, Île-de-France) où 92% des élèves étaient issus des classes défavorisées.

En prenant en compte ces données, il apparaît évident que les établissements privés ne fournissent pas une plus value plus élevée que les établissements publics, au contraire. Ils enseignent simplement à des élèves qui sont meilleurs, issus d’une catégorie sociale relativement homogène, recrutés sur dossier scolaire et qui auraient de toute façon réussi dans la majorité des cas. C’est la question du recrutement des élèves que traduisent ces données, pas celle de la qualité de l’enseignement. Si l'enseignement privé obtient de meilleurs résultats ce n'est pas parce que les profs y sont meilleurs mais parce que les élèves le sont. Comme l'écrit Corneille dans le Cid: " à vaincre sans péril on triomphe sans gloire". Or, l’enseignement privé se glorifie de ses résultats ! C’est un problème. Il recrute et maintient ses élèves à un bon niveau mais ne les aide pas particulièrement à progresser, ainsi que peut pourtant le faire l’enseignement public pour beaucoup d'élèves.

L’enjeu de la réussite scolaire est aussi marqué par celui de la mixité au sein des classes. Comment le privé se distingue-t-il du public à ce niveau ?

Baptiste Larseneur : Aujourd’hui de nombreux parents considèrent que l'herbe est plus verte dans le système privé. Cela se traduit par la fuite des classes supérieures et de la classe moyenne aisée vers l’enseignement privé.

A titre d’exemple, les élèves de familles très favorisées constituaient 26,4 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, ils représentent 40,2 % en 2021 (soit + 13,8 points contre + 3,5 points pour le public). Les élèves de milieux favorisés ou très favorisés sont désormais majoritaires au sein des établissements privés (55,4 % en 2021) alors qu’ils ne représentent que 32,3 % des élèves dans le public. À l’inverse, la part des élèves boursiers s’élève à 11,8 %, contre 29,1 % dans le public.

Il apparaît ainsi que pour les familles les plus favorisées, l’enseignement privé agit comme une échappatoire à l’enseignement public, d’autant plus attrayante que la qualité de l’enseignement y est garantie par l’État et que les frais de scolarité y demeurent, dans la majorité des établissements, à des niveaux qu’un financement public prépondérant permet de maintenir modérés.

Ces constats conduisent à poser particulièrement deux questions : comment rétablir la confiance des familles dans l’enseignement public ? Quel rôle doit jouer l’enseignement privé dans la politique de mixité sociale, dès lors qu’il est majoritairement financé par des fonds publics ?

Si personne ne remet en cause le fait que la mixité sociale soit un objectif de société, essentielle pour faire nation, il est essentiel de se questionner sur le fait de savoir si la mixité sociale est l’objectif prioritaire à poursuivre pour réduire les inégalités scolaires.

Il faut sans doute ne pas trop attendre des politiques de mixité sociale à l’école. Leurs effets semblent relativement limités : ce n’est pas la solution miracle comme on semble parfois avoir tendance à le croire en France.

Jean-Pierre Obin : Effectivement, et nous avons d’ailleurs déjà commencé à répondre à cette question. Les classes, au sein de l’enseignement privé, ne sont pas mixtes à l’exception de quelques rares établissements qui dérogent à la règle (et qui sont extrêmement minoritaires, et il s’agit le plus souvent de lycées professionnels). Les indicateurs de proximité sociale (IPS), qui sont publiés par le ministère de l’Education nationale, illustrent bien ce problème : ils permettent de voir combien les établissements privés concentrent les élèves issues de catégories sociales élevées tandis que l’enseignement public regroupe les enfants des classes populaires et d’une grande partie des classes moyenne.

Ceci ne signifie pas que tout est parfait au sein de l’enseignement public, loin s’en faut. Il y a une véritable ségrégation en son sein, entre les établissements. Ce point est d’ailleurs souvent utilisé comme argument par l’enseignement privé lorsque l’Education nationale, comme avec le ministre Pp Ndiaye, tente de s’attaquer au manque de mixité sociale constaté dans le privé : "Commencez par balayer devant votre porte !".

La sociologie des professeurs a longtemps été présentée comme marquée à gauche. Dans quelle mesure les idéologies qui traversent le public et le privé diffèrent-elles, au juste ?

Baptiste Larseneur : Les motivations des familles pour scolariser leurs enfants sont relativement fondées sur des motifs confessionnels. L’enseignement privé sous contrat apparaît aujourd’hui majoritairement, pour les familles, comme un enseignement « de recours » face à un enseignement public qui est désormais perçu par une partie des familles comme moins performant et moins sécurisant.

Jean-Pierre Obin : C’est une question sur laquelle les données objectives manquent. J’ai l’impression que, auparavant, les parents se tournaient vers le privé – majoritairement détenu par l’enseignement catholique en France – pour des raisons de sensibilité ou de conviction religieuse. Ce n’est plus du tout le cas, au moins pour la grande majorité des familles. Il en va de même pour les professeurs, qui pouvaient auparavant se tourner vers ce type d’établissements pour les mêmes raisons. Ce qui amenait logiquement à une sur-représentation d’enseignants marqués à droite (comme l’étaient la plupart des catholiques) comparativement au domaine public. Cependant, il me semble que ces différences se sont beaucoup atténuées aujourd’hui.

J’ai tendance à penser que ce sont d’autres préoccupations qui poussent les enseignants vers le privé dorénavant. Parce qu’il s’agit de classes plus uniformes et dont les élèves proviennent essentiellement de milieux favorisés, c’est l’assurance d’avoir de meilleures classes, sans trop de difficulté de discipline, où le métier sera plus facile à exercer. De plus, on sait qu’un certain nombre de syndicats, dont certains peuvent être assez marqués à gauche, comptent des adhérents issus d’établissements privés. Cela illustre une sociologie électorale sans doute plus complexe que l’on aurait pu le penser de prime abord.

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