Abaya, laïcité et fermeté républicaine : le gouvernement sera-t-il piégé par les nominations (qu’il a lui-même) faites au Conseil d’Etat ou au Conseil supérieur de la magistrature ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Elisabeth Borne lors d'une réunion du Conseil des ministres.
Emmanuel Macron et Elisabeth Borne lors d'une réunion du Conseil des ministres.
©STEPHANIE LECOCQ / POOL / AFP

L'arroseur arrosé

Alors que Gabriel Attal a annoncé l'interdiction de l'abaya à l'école, certains postes clés au sein du Conseil d'Etat notamment ne vont-ils pas fragiliser les engagements du gouvernement sur la laïcité et la fermeté républicaine ?

Hannah Levy-Leblois

Hannah Levy-Leblois

Hannah Levy-Leblois, est universitaire, maître de conférences des Universités, habilitée à diriger des recherches en droit public ; sans qu’elle ne soit tenue au devoir de réserve, la situation actuelle au sein de l’Université française lui impose pourtant une obligation de prudence.

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Atlantico : Parmi les nominations (qu’il a lui-même) faites au Conseil d’Etat ou au Conseil supérieur de la magistrature, le gouvernement ne s’est-il pas auto-piégé alors qu’une volonté de fermeté républicaine est notamment affichée en cette rentrée politique via l’interdiction de l’abaya ?

Hannah Levy-Leblois : Au-delà de la seule politique des nominations effectuées, il existe aujourd’hui un vrai problème du recrutement de la haute fonction publique. Plus encore sans doute que par le passé, il y règne un entre soi préjudiciable à la démocratie. La haute-fonction publique, très majoritairement issue de Sciences Po Paris (la consultation du profil de ces personnes en atteste), y a été formatée à la culture woke ; elle forme ensuite un microcosme, qui navigant des ministères aux juridictions en passant par la direction des administrations et du secteur parapublic, est chaque jour plus déconnecté des enjeux que doit affronter le pays…

Le Gouvernement devra assurément reprendre les choses en mains pour rappeler à ces juges qu’ils sont là pour dire le Droit et non satisfaire au bon plaisir de leurs convictions idéologiques. L’une des armes principales dont dispose le Gouvernement pour sortir de cette situation réside dans le fait que le courage n’est que très rarement la maque de fabrication de la haute fonction publique en général et des juges en particulier ; il n’y a qu’à se souvenir de ce que fut globalement leur attitude au cours de la Seconde Guerre mondiale. Le Gouvernement devra utiliser tous les moyens qui sont à sa disposition pour gagner ce bras de fer. Il peut notamment pour cela écarter les juges les plus marqués idéologiquement (au regard de leur absence prouvée de neutralité) et promouvoir ceux ayant une véritable formation de juriste… 

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En plus de la nomination de Thierry Tuot comme président de la section de l'intérieur du Conseil d'État, un homme connu pour ses engagements très favorables à l’immigration, quels sont les personnalités ou les exemples concrets de nominations qui peuvent poser problème au sein du Conseil d’Etat et du Conseil supérieur de la magistrature pour le chef de l’Etat et l’application de sa politique, concernant notamment la laïcité et la fermeté républicaine ?

Oh ; mais c’est déjà le cas ; sans même avoir besoin de recourir à des nominations externes ! Il est facile de revenir sur un exemple récent la décision par laquelle le Conseil d'État a suspendu la décision du maire de Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes) d’interdire l’accès aux plages aux personnes portant le burkini et manifestant ainsi de manière ostensible une appartenance religieuse… Si l’on examine un instant le pedigree du rapporteur public dans cette affaire, Maxime Boutron, on ne sera pas surpris de ce qu’il ait conclu à l’annulation de cet arrêté… Maxile Boutron est en effet, notamment, Secrétaire général adjoint et trésorier, de Les Engagés, il s’y occupe de la coordination du pôle Idées et des groupes de travail. Or, ce mouvement se déclare lui-même comme constituant une « gauche de l’action » et veut assurer : « la transition démocratique vers une société réconciliée, fondée sur nos valeurs républicaines » ; on sait le sens de ces mots… Avec un tel programme on peut être à l’avance certain du sens de certaines décisions ! On rappellera encore qu’il a été auparavant dans sa carrière directeur-adjoint de cabinet du très socialiste Christian Eckert, secrétaire d'Etat en charge du budget et des comptes publics (2015-2017) et s’est rapproché de Laurent Joffrin pour mettre en place le site Le Journal.info … Issu de ScPo Paris et ayant travaillé à l’organisation d’une éventuelle candidature de François Hollande en 2022, on est bien en présence d’un profil au formatage idéologique complet et dont il est certain qu’il travaillera au service de sa cause plus que de celui de l’état de droit.

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La haute fonction publique, de plus en plus homogène socialement et politiquement, tend à n’être qu’un domaine de l’entre soi politique et social ; les décisions de justice que rendront des juges ayant ce type de profil ne manqueront pas d’être marquées par cette ligne idéologique. Une étude détaillée et systématique du profil des juges ne manquera pas d’illustrer cette situation. On attend que des journalistes effectuent cette recherche et mettent en lumière des liens et des réalités que l’on ne murmure ordinairement que dans l’entre soi de ceux qui savent.

Annoncée par Gabriel Attal, le ministre de l’Éducation nationale, l’interdiction de l’abaya à l’école est fortement contestée par une partie de la gauche. Le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, va proposer aux députés de son groupe « d’attaquer au Conseil d’État cette réglementation », afin de prouver que celle-ci est « contraire à la Constitution ». Au regard des nominations évoquées précédemment, le cap de la fermeté républicaine pourra-t-il être maintenu ? L’interdiction de l’abaya risque-t-elle d’être censurée par les plus hautes instances suite à des nominations hasardeuses ?

D’abord, oui, il est certain que ce risque existe. Pour autant, le Gouvernement peut y échapper. Comment ?

Parce que, avant toute chose, il est possible de relever que les déclarations de Gabriel Atal relèvent plus du politique que du juridique et qu’il est déjà possible, sans nouveau texte d’interdire l’abaya dans les établissements scolaires.

En effet, au regard de sa formulation, le Code de l’éducation permet d’ors et déjà d’interdire l’abaya, puisque l’article L. 141-5-1 dispose : « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit » ; cette formulation vise bien le « port de signes ou de tenues » sans en préciser la nature et les contours exacts. Dès lors la loi permet de fonder l’interdiction de tels signes… Et le Gouvernement peut, sans aucune difficulté, édicter une circulaire rappelant simplement l’état du droit ; circulaire sans portée impérative et qu’un recours déposé par LFI n’annulerait pas… En tout cas, cette voie permettrait d’éviter le risque de la censure par le Conseil d’Etat.

La vraie difficulté en la matière -elle a déjà été rappelée- sera dans la possibilité des établissements scolaires à faire réellement respecter cette interdiction là où plusieurs dizaines d’élèves arriveraient en même temps vêtues de manière semblables… Les directeurs d’établissements seraient-ils alors soutenus par les rectorats et l’administration centrale du Ministère dans les mesures disciplinaires qu’ils devraient alors prendre ?

Le gouvernement va-t-il pouvoir se relever de cette situation et appliquer ses projets et ses réformes ? Sera-t-il possible de rééquilibrer ces nominations à l’avenir ? L’erreur de ces nominations soulignent-elles les limites de la stratégie politique d’Emmanuel Macron et de sa stratégie du et en même temps ?

Le Conseil d’Etat, tout particulièrement, pâtit plus que jamais de sa double nature de juge et de conseiller de l’Administration. Les allers-retours toujours plus fréquents de ses membres entre les cabinets politiques et les formations de jugements ne peuvent que nuire à l’Institution et à la bonne administration de la Justice.

Au regard de cette situation, il convient probablement de contrebalancer cette politisation par l’accueil de sang neuf au sein du Conseil d’Etat et une meilleure distinction entre ses deux fonctions historiques. En ce qui concerne le sang neuf, une plus grande place devrait sans doute être faite aux magistrats issus des Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel ; si ceux-ci, à l’instar de tous les hommes, possèdent évidemment leurs opinions personnelles, au moins n’ont-ils pas été formatés idéologiquement comme peuvent l’être ceux passés par la rue Saint Guillaume. Les va et vient entre les fonctions politiques et les fonctions juridictionnelles devraient également être plus strictement encadrés. La neutralité devrait enfin être fortement rappelée…

Aujourd’hui nous en sommes loin. Rappelons deux faits.

D’abord, depuis vingt ans ce sont entre 1/4 et 1/3 des voix des magistrats judiciaires sui se portent au cours des élections professionnelles vers le syndicat de la Magistrature ; structure dont le nom de « Syndicat » masque mal l’activisme politique le plus radical ; à gauche évidemment, est-il besoin de le rappeler… Cela ne peut pas durer.

Ensuite, souvenons-nous qu’à l’occasion de la récente décision rendue par le Conseil d’Etat le 30 décembre 2022 et relative à la situation de l’un de nos collègues, professeur à Montpellier. Ayant à juger de cette affaire, le Conseil d’Etat rendit son jugement par une formation dont deux des quatre magistrats étaient d’anciens responsables de l’UNEF passés par les cabinets ministériels de la Gauche ; syndicat précisément à l’origine (avec d’autres) de l’occupation de la mise en cause du Professeur… Cela non plus n’est pas acceptable.

Les juges ne sont pas les gardiens du Bien et de la Morale, ils sont au service des Français et des justiciables ; il convient de le leur rappeler.

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