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A droite toute : l’étrange victoire “posthume” de la ligne Buisson
©MIGUEL MEDINA / AFP

Retour gagnant

Alors que l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy avait été largement rejeté par les leaders de la droite, sa ligne politique fait un retour en force d’autant plus remarqué qu’elle est de facto assumée -sans le dire- par ceux qui la jugeaient la plus insoutenable.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : On associe régulièrement le triptyque immigration-sécurité-identité porté lors du quinquennat Sarkozy à Patrick Buisson, l’ancien conseiller du candidat. Après 2012, certains cadres de LR continuaient de défendre la ligne tandis que d’autres y voyaient une dérive ayant mené à la défaite de 2012. Aujourd’hui, les discours semblent beaucoup plus homogènes sur le sujet venant des candidats de la droite (LR et affiliés). Comment définir cette « ligne Buisson », telle que défendue par Patrick Buisson lui-même mais aussi dans sa traduction au sein de LR sur les quinze dernières années ? Quel impact a-t-elle eu ? 

Christophe Boutin : Vous me proposez ici un exercice difficile, car résumer l'analyse de Patrick Buisson à l'intégration dans le discours de Nicolas Sarkozy de ce triptyque - immigration, insécurité, identité - semble quelque peu réducteur. Patrick Buisson, analyste de la vie politique depuis quelques décennies, avait attiré l’attention de Nicolas Sarkozy avant 2007 en étant l’un des rares à avoir pronostiqué l'échec du référendum de 2005 portant sur la constitution européenne. Dès lors, sa mission consistait, entre autres, à aider le candidat Sarkozy à comprendre l’évolution de l'opinion publique et à trouver des thèmes de campagne qui conviendraient. L’un des points centraux de l'analyse de Patrick Buisson, si on veut la résumer, partait de l’idée que le progressisme des « élites » était en complet décalage avec les attentes d’une grande partie de nos concitoyens. Et le refus des premiers de se saisir des problématiques de l'immigration, dont l'ampleur était niée par les spécialistes, de l’insécurité, réduite à un « sentiment », et de l'identité, toujours plus critiquée et déconstruite, lui semblait être l’un des éléments révélateurs de cette « révolte et des élites », pour reprendre le titre de l'ouvrage de Christopher Lasch, vécue par beaucoup comme une véritable trahison.

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Et si une primaire sauvage à droite était la moins mauvaise des solutions ? 

Effectivement ensuite, lorsque Nicolas Sarkozy échoue à sa réélection en 2012, la question se pose au sein des cadres des Républicains de savoir si cet échec est causé par le maintien de la « ligne Buisson », ou, au contraire, par son abandon. Car s’il peut être « clivant » de traiter de telles problématiques, comme on l’a parfois dit, écartant donc certains électeurs potentiels, on peut aussi penser qu’une partie au moins de l'électorat de 2007 d’un Nicolas Sarkozy qui avait alors largement mordu sur les terres du Front National, sans pour cela entamer son capital au centre, avait été déçue par un certain nombre de choix faits par la suite par le Président de la République. Le maintien d'une immigration à un niveau très élevé, le tour de passe-passe de la ratification parlementaire d’un traité de Lisbonne qui reprenait les principales dispositions du texte de 2005 repoussé par les Français, le pseudo débat sur l'identité française, réduit à sa plus simple expression, tout cela avait pu détourner en 2012 de Nicolas Sarkozy une partie de son électorat de 2007, tandis que son attitude ne lui attirait aucune autre voix du centre ou moins encore de la gauche – malgré son « ouverture » à des transfuges. Lassés de son agitation, les Français se seraient alors tournés vers le « président normal », François Hollande.

Toujours est-il qu’en 2012 la question se pose : tourner la page de la « ligne Buisson » ou, au contraire, la revivifier ? Les choix ne seront pas simples. En 2012, quand Nathalie Kokiusko-Morizet  déclare que Patrick Buisson voulait « faire gagner Charles Maurras », c’est Valérie Pécresse qui défend le choix de cette ligne. Mais quelques années plus tard, en 2017 la même Valérie Pécresse défend sa propre ligne, « ni Macron, ni Buisson ». Il est vrai qu’entre temps l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy a raconté son expérience et ses déceptions dans La cause du peuple… La ligne Buisson aurait alors été incarnée par un Laurent Wauquiez… qui devra laisser sa place à la tête du parti à Christian Jacob. Par ailleurs, lors de la campagne de François Fillon s’est aussi posée la question de la ligne à suivre, et le retour, avec Sens commun, à des éléments proches de la « ligne Buisson », a sans doute limité la défaite du candidat LR.

Si l'on tentait donc, comme vous m’y invitez, de faire un bilan de l'impact de la « ligne Buisson » sur les Républicains, je dirais qu’il a été double. Le premier impact tient, encore une fois, à son rôle dans la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007. Mais, second impact, elle a aussi joué comme un révélateur de la fracture majeure qui traverse depuis la création de l’UMP le parti de droite devenu LR. Cette ligne en effet, avec son aspect parfois populiste, souvent souverainiste, anti-progressiste et conservatrice, sépare les héritiers d’un gaullisme clairement ancré à droite – quoiqu’en aient les centristes qui espèrent récupérer l’ombre du fondateur de la Ve avec l’expression de « gaullisme social » -, des centristes de l’ancienne UDF avec lesquels ils ont fusionné. Entendons-nous bien : la ligne Buisson n’a pas créé de fracture au sein de LR ; elle a révélé l’incompatibilité doctrinale entre ses deux composantes, incompatibilité cachée derrière des intérêts électoraux communs.

Comment peut-on expliquer que les candidats de droite se soient tous alignés sur cette ligne Buisson alors même que certains étaient des farouches opposants ? Faut-il y voir une victoire de la bataille des idées, d’inspiration gramscienne ? Un mouvement naturel de la société ou encore une confrontation au réel ?

Penser que la « bataille des idées » est une réalité au sein des partis politiques français en 2021 traduit une admirable confiance en la nature humaine. Sans écarter totalement cette intéressante hypothèse, il est aussi permis de penser qu’il s’agit surtout ici de reprendre à des fins électorales des thèmes qui sont devenus des points de passage obligés du discours politique tant ils sont présents dans l'opinion publique. Si l'on regarde les sondages faits de manière régulière, on retrouve effectivement à chaque fois depuis des décennies les trois questions essentielles de l'immigration - avec une forte opposition des Français au maintien de son niveau actuel -, de l’insécurité - avec leur inquiétude devant la multiplication des actions violentes, bien au-delà du seul terrorisme -, et de cette identité qui constitue la nation française. Il y a donc pas de mouvement de la société en la matière, car cela fait bien longtemps déjà que ces thèmes sont au cœur des préoccupations des Français, avant même la question de l'emploi, du chômage, et mille fois plus que ces questions sociétales concernant des minorités toujours plus agressives dont les partis au pouvoir et les médias mainstream nous rebattent les oreilles. 

Confrontation avec le réel donc de la part de nos nouveaux convertis ? Peut-être, mais aussi visées électorales. Le problème politique le plus important de nos jours est celui de la participation, et la montée de l'abstention, constatée à toutes les élections, y compris la présidentielle ou les municipales, ne s’explique pas uniquement par la peur du Covid.  Nombre de Français ont en fait l'impression que « les politiques » dans leur ensemble, le pouvoir politique pris de manière globale, et ce depuis des dizaines d’années, alternance ou pas, « révolution » ou pas, se refusent à traiter de leurs principaux problèmes et désertent pour cela un vote dont ils doutent de l’utilité. Or l'un des enjeux principaux de la présidentielle de 2022 sera certainement de savoir qui pourra faire revenir aux urnes cet électorat potentiel, ces citoyens français s’estimant trahis et abandonnés. Et puisque, manifestement, le désaveu ou le désamour des Français tourne autour de l’oubli de ces  trois questions, ne pas les traiter serait s’interdire d’espérer leur retour aux urnes… et une victoire politique. 

Cette reprise des thèmes sarkozistes d’inspiration Buisson par les candidats actuels est-elle en capacité de parler à l’électorat ?

Il faut distinguer deux choses, la crédibilité et/ou le pouvoir de séduction des thèmes, et celles de ceux qui les portent. Encore une fois, il est permis de penser que l’approche de ces thématiques telle que pouvait la faire Patrick Buisson en 2007 est encore à même de séduire un électorat en 2022, tant ces questions, non résolues, restent au cœur des attentes prioritaires des Français. Reste la crédibilité de ces candidats qui vont utiliser ces thématiques pour gagner la confiance des électeurs. La même question se posait en quelque sorte en 2012, lorsque Nicolas Sarkozy avait repris des éléments de langage utilisés en 2007, la réserve manifestée par une partie de son électorat de 2007 alors laissant à penser que cette crédibilité n'était plus très grande. Dans cette perspective, on voit mal comment certaines des personnalités politiques chiraquiennes ou sarkozystes – voire chiraquo-sarkozystes, redoutable mixte – qui usent de ces thématiques pourraient prétendre à une crédibilité dans ces domaines en ayant déjà été aux affaires. 

« À tout pécheur, miséricorde », me dira-ton, et il fallut à Saint-Paul le chemin de Damas, mais on n’a pas l’impression qu’il s’agisse ici de futurs martyrs brûlant d’une foi nouvelle. Discrets sur l’immigration, évanescents sur l’identité – les deux ayant été liés par leur maître à penser, Alain Juppé, dans ce thème de « l’identité heureuse » qui cachait mal l’entre-soi et l’aveuglement d’une oligarchie vivant dans un monde préservé -, il ne leur reste en fait que la thématique de la sécurité – qui, cela tombe bien, est la préférée de leur électorat très âgé. Mais les politiques menées sur ce plan sont révélatrices : loin de s’attaquer aux causes du mal, de s’interroger sur les catégories de fauteurs de troubles et la manière de les empêcher de nuire, il ne s’agit jamais que d’organiser les conditions d’une surveillance généralisée de la population. Caméras partout, contrôle facial, on fait perdre peu à peu à tous nos concitoyens leurs libertés en se refusant d’assumer une politique répressive différenciée qui tienne compte de la réalité des nuisances – le politiquement correct que l’on n’ose remettre en cause, l’interdisant absolument. C’est la vielle tradition de la punition collective organisée par celui qui n’a pas le courage d’affronter le seul coupable.

Dans ces conditions ou même ses politiques sécuritaires n’entraînent une totale conviction, l’homme – ou la femme – du passé peut sembler celui ou celle du passif, pour reprendre le jeu de mots assassin de François Mitterrand dans son débat de 1981 avec Valéry Giscard d’Estaing. Mais les Français sont aussi réputés avoir la mémoire courte...

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