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A chacun sa vérité : et Emmanuel Macron souligna à son corps défendant la maladie qui ronge la démocratie française et la plonge dans la confrontation générale
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Ni dieu, ni maître

L’entretien de dimanche soir entre le chef de l'Etat et Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, mais aussi l'attitude des deux journalistes, pose de nombreuses questions sur notre rapport à la démocratie.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : L'interview d'Emmanuel Macron et les réactions qu'il a suscité aussi bien dans la presse que sur les réseaux sociaux ne montrent-elles pas que notre démocratie, faute de pouvoir faire discuter des idées antagonistes, souffre du "à chacun vérité", ou de l'idée que tous les avis se valent ?

Christophe Boutin : Je ne le pense pas, pour la bonne raison que l’entretien d’Emmanuel Macron n’a jamais été un lieu de débat et de discussion. Mais faisons d’abord quelques précisions.

Dans notre démocratie, les idées antagonistes trouvent largement à s’exprimer : c’est le cas lors des élections, lorsque les candidats présentent leurs programmes ; c’est le cas, après ces élections, lorsqu’au Parlement on débat des textes à voter ; c’est le cas lorsque, par la grève, les syndicats s’opposent à un nouveau texte ; c’est le cas, dans la presse, lorsque les éditorialistes expriment sans fard leurs opinions. On peut s’interroger sur la réalité de ces débats : le débat électoral n’est-il pas biaisé par les puissances d’argent ?; les parlementaires de l’opposition ont-ils une influence réelle sur les textes ?; les grévistes sont-ils légitimes quand une minorité d’une profession permet un blocage de la société tout entière ?; les journaux sont-ils vraiment indépendants ? Autant de questions clefs, mais on ne pas dire qu’il n’y a pas d’espaces de discussion dans notre démocratie.

Second élément, le débat démocratique suppose en effet qu’au moins dans un premier temps « tous les avis se valent ». C’est même le principe du pluralisme politique. Comme l’écrivait John Stuart Mill on ne peut décider avoir raison et s’arroger une omniscience. Ce qui fait la validité d’une proposition, c’est qu’elle résiste aux critiques, qu’elle s’impose par la raison. Une fois le débat terminé, par contre, la minorité a vocation à accepter les choix de la majorité, sous réserve qu’elle puisse continuer de s’exprimer librement, espérant devenir la prochaine majorité. Le « à chacun sa vérité » ne vaut donc que dans la phase de débat, et ne peut conduire, dans notre démocratie, à une diversité de choix politiques ni même de manifestations sociales qui se traduiraient, par exemple, par un multiculturalisme à l’anglo-saxonne.

 Si l’entretien de dimanche soir a suscité des interrogations sur ce point du relativisme, c’est peut-être que, bien à tort, il a été considéré par les deux journalistes participants comme étant un débat, un débat « entre égaux » a même tenté de plaider Edwy Plenel, convoquant les fantômes de la Déclaration universelle des droits de l’homme du Palais de Chaillot. Mais il ne s’agissait aucunement de cela, il s’agissait, comme Emmanuel Macron l’a fort justement rappelé, d’une interview donnée par le Président de la République à deux journalistes. Ni plus, ni moins. Et, dans un tel cadre, la « vérité » présentée dans leurs questions par les journalistes a vocation à être la moins subjective possible, ce qui n’a pas été le cas dimanche soir, ni chez un Edwy Plenel, dont les questions, biaisées, contenaient la réponse, ni chez un Jean-Claude Bourdin volontiers moralisateur.

Le citoyen devient journaliste, le journaliste politique... La crise démocratique n'est-elle pas au fond une crise de légitimité, chacun ne sachant pas trouver les limites de sa place ?

Bien sûr. C’est d’ailleurs pourquoi, lors de cet entretien, les deux journalistes ont, de diverses manières, et tant dans la forme que par des questions de fond, tenté de mettre à mal la légitimité du Chef de l’État. Sur la forme, on a largement commenté le fait, pour les deux journalistes, de ne pas user de la formule : « Monsieur le Président », pourtant de circonstance dans un entretien officiel. On aura relevé aussi l’excessive décontraction de leur tenue, col ouvert. Sur le fond, Edwy Plenel a dénoncé l’exercice du pouvoir absolu et solitaire du Président chef des armées, ou le fait qu’Emmanuel Macron aurait été élu par défaut en 2017, à la suite du rejet de Marine Le Pen de la part des électeurs, mais pas sur son programme. Jean-Jacques Bourdin n’hésita pas pour sa part à citer un Paul Ricoeur dont Macron fut proche pour accuser ce dernier d’être un oligarque à l’occidentale. Dans tous les cas, Emmanuel Macron sut faire le lit de ces critiques en renvoyant à ce qui fonde son statut : la Constitution

 Il s’agissait d’affirmer une pseudo-égalité de débatteurs, mais il convient de différencier hommes et statuts. Il y a, bien sûr, une égalité foncière entre tous les hommes ; mais il n’y en a aucune entre leurs statuts, et l’entretien de dimanche soir ne confrontait que ces derniers. « Nous sommes tous sur le même plateau », déclara le lendemain Bourdin pour expliquer son attitude. Oui, mais pas pour y être soi, mais pour y incarner un statut. Ce n’était pas parce qu’il était le brave et honnête Jean-Claude Bourdin, né en 1949, qu’il était présent dimanche, mais parce qu’il est un journaliste reconnu de RMC. Et Emmanuel Macron (né lui en 1977) n’était dimanche soir au Trocadéro ni le mari de Brigitte, ni l’ex banquier, mais le Président de la République française. Or c’est bien cette confrontation entre statuts, entre un président et deux journalistes, qu’attendaient ces Français dont Plenel et Bourdin se sont prétendus les hérauts tout au long de la soirée, sans aucun mandat pour cela.

Car, qu’on le veuille ou non, la légitimité démocratique repose sur « l’onction électorale ». Et, qu’ils le veuillent ou non, Plenel et Bourdin ne l’ont pas, quand Macron l’a, et à son stade le plus absolu, celui du suffrage universel direct national. À partir de là, chacun doit assumer sa place et jouer son rôle. Le « second rôle » n’est d’ailleurs pas toujours celui qu’on croit, et l’on a connu des journalistes qui mettaient à bas des régimes politiques.

Dans cette perspective, peut-on considérer qu'Emmanuel Macron profite de cette crise en se posant plus facilement, étant donné que quand tous les avis se valent, il ne reste plus que les rapports de force ?

Si Emmanuel Macron a largement remporté cette soirée de dimanche, ce n’est pas vraiment à la suite d’un rapport de force. Il l’a fait, certes, en se posant en Chef de l’État, mais sans se réfugier derrière son statut, et à aucun moment il ne l’a utilisé pour éviter de répondre à une question ou pour imposer une solution. Il a rappelé bien sûr qui il était, « d’où » il parlait aurait dit Lacan, bref sa légitimité. Mais il aussi déconstruit avec art les questions biaisées d’Edwy Plenel, refusé de succomber aux « émotions de plateau » de Jean-Jacques Bourdin, et su répondre avec clarté aux questions les plus complexes. Certes, il n’a cédé en rien, pas plus sur la CSG ou la fraude électorale que sur Notre Dame des Landes ou la politique migratoire, mais ce n’est pas là faire jouer un rapport de force mais simplement défendre un programme et des convictions, jouer donc son rôle, tout en laissant voir parfois au spectateur le caractère difficile de certains choix politiques.

 En fait, toutes les tentatives des deux journalistes pour porter atteinte à cette légitimité et à ce statut du Président se sont retournées contre eux. Leur débraillé volontaire a simplement crûment placé face à face des sexagénaires avancés, dont les choix politiques de leur génération - et peut-être même les choix personnels - ont conduit le pays au désastre actuel, et un à peine quadragénaire brillant qui tente de sauver ce qui peut l’être – bien ou mal, là n’est pas la question.

On l’a bien compris à une question d’Edwy Plenel : dimanche soir, les fantômes de 68 venaient demander des comptes. Ils auraient pourtant dû se rendre compte que leur légitimité n’existe plus guère que dans certaines salles de rédaction, et qu’ils allaient jouer un rôle de repoussoir tellement satisfaisant qu’Emmanuel Macron se dit prêt à recommencer l’expérience dans un an…

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