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Emmanuel Macron prononce un discours à Saint-Lo dans le cadre des commémorations du « jour J », le 5 juin 2024
Emmanuel Macron prononce un discours à Saint-Lo dans le cadre des commémorations du « jour J », le 5 juin 2024
©CHRISTOPHE PETIT TESSON / POOL / AFP

Boussole idéologique

Si la célébration de la mémoire du courage et des vies sacrifiées pour la Libération de l’Europe du nazisme est absolument nécessaire, les schémas idéologiques hérités de 1945 ont-ils encore un sens ?

Stéphane Courtois

Stéphane Courtois

Stéphane Courtois est un historien et universitaire.

Il est directeur de recherche au CNRS (Université de Paris X), professeur à l'Institut Catholique d'Études Supérieures (ICES) de La Roche-sur-Yon, spécialiste de l'histoire des mouvances et des régimes communistes.

On lui doit notamment Le bolchevisme à la française (Fayard - 2010).

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Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Atlantico : Dans quelle mesure les schémas idéologiques hérités de 1945 continuent-ils de guider notre compréhension des conflits actuels et des menaces géopolitiques ? Ont-ils encore un sens ?

Philippe Fabry : Ces schémas idéologiques hérités de 1945 ont eu une très forte influence. Ils ont formé toutes les générations depuis la Seconde Guerre mondiale qui a été le conflit fondateur pour la totalité de l'Occident. Mais même en dehors lorsque l’on voit toutes les références qui font que les Russes et les Japonais n'en parlent pas trop. Pour les Chinois, cela représente une étape vers la vraie fondation de 1949. Pour les Indiens, cela a été suivi en 1947 par l'indépendance. Le conflit et son héritage servent donc encore de véritable grande référence mondiale. Ce dernier conflit est l’élément fondateur pour essayer d'expliquer l'ordre du monde tel qu'il est aujourd'hui. Au-delà de la formation de l'ordre du monde, c'est aussi ce qui a posé la légitimité morale de cet ordre. Le nazisme est devenu la référence universelle de l’ennemi et du mal à affronter en Occident. Cela dicte un certain nombre de débats, notamment en interne, avec cette peur de la menace fasciste.

Stéphane Courtois : L’esprit de 1945 a totalement structuré notre pensée. Cela a commencé en 1940. Tout le monde avait compris qu'il y avait de nouveaux ennemis et des menaces bien réelles : Adolf Hitler et le nazisme. L’idéologie des nazis a été jugée à Nuremberg pour crime contre la paix, pour crime de guerre et pour crime contre l'humanité. A Nuremberg, il y avait parmi les gens du tribunal des Soviétiques qui avaient pratiqué exactement les mêmes choses dans leur régime mais dont personne ne voulait parler. Il y avait à l’époque un aveuglement sur la nature du régime soviétique, qui était un régime totalitaire au même titre que le régime nazi. Comme il était du côté des vainqueurs, personne ne voulait en parler.

Cet aveuglement s’est prolongé durant toute la période de la guerre froide mais il court continuellement depuis 1991 avec la chute de l'URSS et y compris avec la guerre en Ukraine. Vladimir Poutine a publié en septembre 2021 un très grand article de plusieurs dizaines de pages sur l'histoire de l'Ukraine, de la Russie. Il n'y a pas un mot, pas une allusion à l'alliance entre Hitler et Staline. L'alliance Hitler Staline est le point aveugle dont la Russie et Poutine ne veulent pas parler.

C'est la même chose pour tout ce qui concerne l'antifascisme. Ceux qui se battent à l’extrême gauche, au nom de l'antifascisme, contre le fascisme pratiquent en réalité chez eux les méthodes du fascisme. Il y a un conflit idéologique entre la démocratie parlementaire, une société ouverte, la liberté de la presse et la tentation du régime totalitaire, le monopole complet du pouvoir par un parti unique.

Est-ce que la lutte des démocraties contre les fascismes totalitaires a-t-elle encore un sens aujourd'hui ? Menacer des régimes comme la Chine, la Russie et l’Iran et les comparer au nazisme a-t-il un sens ? Dans quelle mesure la présence persistante du nazisme dans notre conscience collective limite-t-elle notre discernement des caractéristiques distinctes des menaces actuelles ?

Philippe Fabry : Le problème du nazisme est qu’il est souvent mal défini ce que c'est et du coup on a du mal à comprendre ce que ça fait. Le nazisme est souvent défini comme le fascisme en général puisque des régimes totalitaires étaient aussi présents en Italie et dans d'autres dictatures à l'époque en Europe plus ou moins rattachées au fascisme comme l'Espagne de Franco. Une grosse erreur d'analyse a été commise. Nous avons tendance à penser que le fascisme est une menace pour la démocratie, y compris à l'intérieur de la démocratie, qu'il y a un risque fasciste inhérent à toute démocratie et que toute démocratie doit se battre en permanence contre la menace fasciste. Or, cela n’est pas vrai. La réalité est que le fascisme a été un phénomène ponctuel qui est apparu uniquement dans des pays qui n'avaient pas de tradition démocratique au XXᵉ siècle. Le cas de la démocratie de Weimar qui serait morte avec l'arrivée de Hitler est souvent évoqué. Mais la démocratie de Weimar a duré en réalité une douzaine d'années et cela ne fonctionnait pas bien. Ce pays n’était pas du tout habitué à la démocratie. Cela a été la même chose pour les autres pays, pour l'Italie, pour l'Espagne. Il n'y a jamais aucune ancienne démocratie qui a succombé au fascisme. La France n'est tombée dans le régime de Vichy que parce qu'elle a été envahie. L'Angleterre a aussi eu un parti fasciste mais qui est toujours resté minoritaire.

Dans des démocraties installées, il n'y a pas de danger fasciste. Or depuis des décennies, nous assistons à l'hégémonie idéologique de la gauche. La gauche est à l’origine de cette idée qui fait peser la menace du fascisme sur la démocratie.

Stéphane Courtois : Cette question est totalement d'actualité. Il est tout à fait clair que la Chine est un régime totalitaire. A sa tête, le parti unique, le parti communiste de 90 millions de membres qui sont le petit doigt sur la couture du pantalon, dirige le pays. Xi Jinping se conduit exactement comme Mao qui a fait le ménage entièrement autour de lui.

Xi Jinping a dit qu’en 2049, pour le centenaire de la révolution de Mao et de la prise de pouvoir, la Chine sera la première puissance mondiale.

Il y avait de l’espoir concernant la Russie. Beaucoup d’observateurs espéraient, après la chute de l’URSS, que la Russie puisse prendre la voie de la démocratie.

Malheureusement, la situation ne s'est pas normalisée. Un lieutenant-colonel du KGB s'est emparé du pouvoir. Dans sa stratégie, Vladimir Poutine a ensuite fait une alliance avec l'Allemagne pour mieux neutraliser Berlin et l’Europe à travers l’arme de l’énergie via le gaz. L'Allemagne était une puissance industrielle qui avait besoin de beaucoup d'énergie et à un faible prix. Gerhard Schröder est le principal responsable de cela.

Mais Vladimir Poutine s'est cru plus fort qu'il ne l'était. Il a cru que les Américains étaient fragilisés suite à l'assaut sur le Capitole, à cause de la débandade en Afghanistan. Le chef du Kremlin était persuadé qu'il allait contrôler l'Europe par l'Allemagne et que l'Europe ne bougerait pas. Il a décidé d'attaquer l'Ukraine et il a commis une erreur fatale. La Russie est en voie de totalitarisation avec toutes les méthodes KGB, les provocations, les assassinats ciblés, la militarisation de la société, la militarisation de la jeunesse.

Qu’est-ce qu’il reste de l’esprit de 1945 et qu’est-ce que l’on projette sur le monde d’aujourd’hui ?

Stéphane Courtois : Il ne reste plus grand-chose en réalité de l’esprit de 1945 maintenant que l'URSS s'est effondrée et que tout le monde a compris ce qui se cachait derrière. L'URSS et le nazisme étaient des régimes totalitaires. Les dérives de l’Union soviétique ont été totalement démontrées par l'ouverture des archives. Cela a été une étape déterminante.

Cela a permis d’ouvrir une porte sur la réalité et de montrer ce qu'était le régime communiste, la réalité de la terreur, des exterminations de masse, de la famine organisée contre l'Ukraine, de la Grande Terreur de 37 - 38.

A partir de ce moment-là, toute la vision antifasciste, qui est régulièrement réactivée, a cherché à diaboliser ses adversaires avec l’accusation de fasciste. Il suffit d'écouter Jean-Luc Mélenchon, le NPA, le Parti communiste. Dès que vous êtes en désaccord avec eux, vous êtes qualifié de fasciste. Ce vieux mantra est réutilisé mais cela n'a plus aucun sens. Les historiens ont montré que cela n'avait pas de sens.

La relation entre le nazisme et le communisme entre 1939 et 1941 était une véritable alliance entre deux régimes totalitaires. Durant cette période, de l'Atlantique jusqu'au Pacifique, il n'y avait plus aucun régime démocratique. Les deux grands régimes totalitaires contrôlaient tout. Il ne restait plus que l'Angleterre.

Il ne reste plus grand chose de toute cette mythologie qui arrangeait tout le monde. Pour faire le tribunal de Nuremberg, il fallait bien mettre en place cette mythologie. L'effondrement de l'URSS et l'ouverture des archives ont ruiné la mythologie.

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