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60 ans du Traité de Rome : ce qui nous rassemble + ce qui nous sépare = des intérêts suffisamment alignés pour sauver l'UE ?
©Reuters

60 ans UE

Voilà 60 ans que la Communauté économique européenne (CEE) fut fondée par 6 états. Aujourd’hui, l’Union Européenne compte 27 membres. Mais le contexte a drastiquement changé , et les perspectives pour le futur européen aussi.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Atlantico: Les chefs d'Etat européens et de gouvernement de l'Union européenne se réunissent samedi 25 mars à Rome à l'occasion des 60 ans de la signature du traité de Rome. Si à l'époque le désir d'assurer la prospérité économique et la paix au sein du continent constituait un projet suffisant pour faire tenir cet ensemble politique, que peut-on en dire aujourd'hui ?

Christophe Bouillaud : Il est évident que ces deux priorités ne sont plus assez prégnantes pour faire tenir à elles seules ensemble l’Union européenne.

D’une part, la paix est assurée à l’ouest du continent depuis 1945, et les vieux conflits entre les puissances de l’ouest européen qui ont marqué l’histoire européenne de la Renaissance à 1945 sont vraiment de l’histoire ancienne. Qui se souvient encore de la rivalité séculaire entre Vienne et Paris ? La situation n’est pas similaire évidemment dans les Balkans ou sur les marges orientales de l’Europe, mais il reste qu’à l’ouest, la guerre n’est plus envisageable entre nations européennes, parce qu’il n’y a plus d’enjeux pensables de ce niveau. Les risques de conflit sont devenus désormais internes aux nations de l’ouest européen. Il y a ainsi plus de risque de violence ou même de guerre entre Barcelone et Madrid, ou entre Edimbourg et Londres, ou même entre la périphérie flamande de Bruxelles et le centre francophone de Bruxelles qu’entre Paris et Berlin. Par ailleurs, sauf à être vraiment naïf, il faut rappeler que la paix règne à l’ouest du continent depuis 1945, parce que tous les grands contentieux territoriaux ont été soldés manu militari après deux guerres mondiales, et parce la puissance hégémonique américaine a protégé, via l’OTAN en particulier depuis 1949, cette partie du monde de la menace soviétique et de ses propres divisions internes. 

D’autre part, depuis la crise économique commencée en 2007/08, il est évident que le projet européen n’apporte plus une prospérité partagée à tous les pays membres. Le cœur de l’Eurozone, en particulier l’ancienne Allemagne de l’ouest, se porte en effet bien mieux  que la périphérie méridionale de cette dernière (Grèce, Italie, Espagne, Portugal). L’existence de l’Euro a entraîné une double divergence : en son sein entre nord et sud, centre et périphérie, et entre l’Eurozone et le reste de l’Union, qui, souvent, se porte bien mieux économiquement que l’Eurozone – comme le Royaume-Uni en particulier. Ce n’est pas un hasard si l’on parle peu des difficultés de l’économie suédoise ou tchèque, et un peu plus des difficultés espagnoles ou bien sûr grecques, pour ne pas parler du pur bonheur d’être suisse ou norvégien, donc européen mais en dehors de l’UE. 

Ces difficultés économiques, très inégalement partagées, sont durement ressenties par les populations : selon les sondages Eurobaromètres, les mêmes années voient des populations entières, comme les Grecs, les Italiens ou les Bulgares, sombrer dans la plus noire déprime et d’autres, comme les Luxembourgeois, les Allemands ou les Suédois, se réjouir de leur propre sort. De facto, la crise a donné lieu à des vécus très différents entre sous-régions de l’Union européenne, et cela joue beaucoup sur la difficulté à bâtir un projet commun. Dans les années 1950, tous les pays participants de la « petite Europe » avaient connu les affres de la Seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, au sein de l’UE, vous avez des pays qui vont globalement bien comme l’Allemagne ou la Suède, et des pays qui vont mal ou très mal comme la Grèce ou la Bulgarie, que peut-on alors faire ensemble ? 

Sans compter qu’aujourd’hui, en plus, la perception des menaces géopolitiques n’est pas exactement la même partout. Dans les années 1950, les dirigeants des pays qui ont fait l’Europe des Six étaient farouchement anticommunistes : le péril de Moscou était évident. Désormais les choses sont plus compliquées : la France, l’Italie ou l’Espagne n’ont pas la même vision du péril russe que la Pologne ou les trois pays baltes ou même la Suède. 

Guillaume Klossa : Le contexte d’aujourd’hui est radicalement différent de celui de l’après-guerre, où les Européens se retrouvent, fait nouveau, avec peu d’alliés sûrs, dans une compétition internationale renforcée, et un voisinage extrêmement fragile.

L’Europe doit rééquilibrer son projet, comme le rapport d’une cinquantaine de personnalités européennes le recommande (rapport Civico – la Voix Européenne pour un Futur meilleur) et se reconstruire autour de 7 piliers : la démocratie (la dimension éducative et culturelle), la dimension sociale, le développement durable, l ‘économie, l’industrie, la monnaie, et le volet sécurité-politique étrangère-migration.

Des personnalités différentes, comme Daniel Cohn-Bendit, l’ancien Premier Ministre estonien et d’autres personnalités qui y ont participé à ce rapport estiment que le projet européen doit être de se transformer en puissance globale et transformatrice dans la globalisation, avec une ambition d’être l’acteur qui promeut une coopération et un multilatéralisme renouvelé

Le résultat du référendum de sortie du Royaume-Uni a ébranlé les dirigeants européens. Début mars, Angela Merkel, François Hollande et Matteo Renzi notamment se sont rencontrés à Versailles pour y répondre, notamment avec l'idée d'une Europe à plusieurs vitesses. Au niveau des intérêts politiques, économiques, culturels mais aussi sécuritaires, les différents blocs qui constituent l'Union européenne sont-ils toujours sur la même longueur d'onde ? 

Christophe Bouillaud : Les fractures entre pays européens sont effectivement nombreuses. L’idée d’Europe à plusieurs vitesses existe depuis au moins les années 1990, et en dehors de l’Euro, qui fonctionne de fait ainsi alors même que cela n’était pas prévu dans les traités, il n’y a pas de grandes réalisations à faire valoir en ce sens. Le plus grand obstacle vient actuellement de l’opposition des ex-Pays de l’est. Ceux-ci sont dominés politiquement par des forces souverainistes ou nationalistes, qui ne veulent pas entendre parler de fédéralisme européen, dont les populations sont bien plus conservatrices du point de vue des mœurs qu’à l’ouest, et qui n’ont aucune envie de voir l’ouest du continent entrer dans une phase fédérale qui les oublierait. Le second problème, essentiellement interne à la zone euro, est constitué par la centralisation de la production à haute valeur ajoutée et de la richesse financière dans quelques régions des pays dominants. Il faudrait pouvoir compenser cet effet d’accumulation au centre des richesses et du pouvoir qui va avec. Or, sauf à imaginer créer des transferts importants de fonds publics entre pays de l’Eurozone, il n’y a guère de solution à cet effet de divergence – sauf à dissoudre la zone Euro, mais là, pour le coup, l’Union européenne n’y résistera pas. 

Guillaume Klossa : Deux choses doivent être distinguées : il y a un consensus aujourd’hui de personnalités de tout le continent pour dire que les Européens ont des intérêts communs, et qu’il y a la nécessité commune de faire de l’Europe une puissance de la globalisation.

Cependant, l’Europe à plusieurs vitesses est une réalité au niveau de la monnaie, au niveau de Schengen, en matière d’engagement de politique étrangère. L’Europe à plusieurs niveaux, telle qu ‘elle existe depuis le Traité de Maastricht, a vocation, à tous les états qui le peuvent, de rejoindre aussi bien l’Euro que Schengen. C’est cette philosophie qui doit prévaloir.Autrement, le risque de mettre en avant des divergences est de faire imploser l’Union européenne.

Donc il faut rester dans l’idée que l’Europe à plusieurs vitesses est une Europe d’avant-garde rassemblant les états volontaires qui peuvent avancer le plus vite, et les autres états membres, ne participant pas aux coopérations renforcées dans un premier temps, auront vocation à rejoindre quand ils sont prêts ces coopérations.

Quels sont les scénarios qui s'ouvrent aujourd'hui pour l'Union européenne ? 

Christophe Bouillaud : La Commission européenne a elle-même produit à la veille des célébrations des 60 ans des Traités de Rome un travail de perspective sur l’avenir de l’Union européenne. Je ne me lancerais pas moi-même dans un tel travail. Par contre, je ferais remarquer que cela traduit bien l’incertitude de l’heure. Plus personne ne sait vraiment dans quelle direction aller. Surtout, il faut noter que, contrairement aux années 1950 ou aux années 1980, il n’existe pas de toute évidence une véritable communauté d’esprit entre les dirigeants politiques européens – les dirigeants du patronat européen eux sont pour le statut quo du grand marché et de la zone euro. Dans les années 1950, au niveau politique, il y avait le ciment libéral, démocrate-chrétien et social-démocrate, entre des dirigeants qui avaient eux-mêmes vécu deux guerres mondiales et qui voulaient éviter à tout prix le triomphe du communisme.

Dans les années 1980, tout le monde a été emporté par la vague de ferveur néo-libérale qui devait apporter un sursaut de la croissance, et qui a encore été amplifiée par la « chute du Mur de Berlin », et là encore les principaux dirigeants avaient vécu directement la Seconde guerre mondiale ou ses suites immédiates. Aujourd’hui, tous les dirigeants ont des expériences très différenciés dans une Europe en paix par ailleurs, et aucun n’a connu un vrai conflit entre Européens (à l’exception des dirigeants issus des deux pays de l’ex-Yougoslavie). Et puis, soyons lucides, par absence totale de culture historique, ou de culture tout court, certains tiennent des propos que les « pères de l’Europe » des années 1950 auraient sans doute rejetés comme de la bonne grosse bêtise à l’état brut. Quand le toujours président néerlandais de l’Eurogroupe, le socialiste Jeroen Dijsselbloem déclare lors d’un entretien avec un grand journal conservateur allemand à propos de l’Europe du sud, « Vous ne pouvez pas dépenser tout l'argent dans l'alcool et les femmes et ensuite demander de l'aide », en imposant encore une fois une vision moralisatrice de la crise européenne en cours, on se trouve à mille lieux de ce qui a fait l’Europe dans les années 1948-1957. Toute la stigmatisation des Européens du sud, fainéants, dragueurs et sans doute en plus alcooliques désormais, qu’on a vu s’opérer au cours de la crise, ressort dans cette déclaration : comment veut-on espérer que l’Union européenne comme ensemble unifié ou en voie d’unification s’en sorte alors  avec de tels dirigeants ? Imaginez les mêmes propos tenus en France par un ministre sur les habitants de la Creuse ou de la Meurthe-et-Moselle, qui sont  effectivement subventionnés par les départements plus riches ?

Et de fait, c’est peut-être là le problème principal de l’Union européenne : des dirigeants nationaux qui dirigent le navire européen sans stratégie vraiment européenne. Et en plus des dirigeants comme Angela Merkel ou Jean-Claude Juncker, qui sont eux-mêmes les premiers responsables de l’échec actuel de l’Union. Parce qu’après tout la vision de la « solidarité européenne » entre des gros guillemets à la Djisselbloem, c’est aussi celle en pratique de Madame Merkel, les insultes en moins.  Et le triomphe de « l’Union européenne de l’optimisation fiscale », à qui la doit-on si ce n’est entre autres à l’ancien Premier Ministre luxembourgeois ? Bref, avant de penser scénarios, il faudrait d’abord avoir de meilleurs leaders ! Et qui, en plus, arrêtent de se toiser les uns les autres au nom de leur nationalité ! 

Guillaume Klossa : Quatre scénarios sont possibles : un effet lié au Brexit qui mènerait à moyen terme à l’implosion du projet européen, le statut-quo qui menacerait la cohésion et mènerait aussi à l’implosion, il y a la possibilité d’avancer sur un nombre limité de priorités, et utiliser toutes les potentialités des traités existants pour faire une construction européenne qui soit plus efficace et qui répond plus aux attentes de transformation du système européen.

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